L’Église du Japon n’a jamais oublié le prêtre de Blanzy
Publié le 13 Mars 2015
"Je conjurais le Seigneur, écrit-il, de mettre sur mes lèvres des paroles propres à toucher les cœurs et à Lui gagner des adorateurs parmi ceux qui m’entouraient". Et voilà que, pendant qu’il priait, trois femmes de cinquante à soixante ans s’agenouillèrent tout près de lui. L’une d’elles mit sa main sur la poitrine et lui dit à voix basse : "Notre cœur à nous tous qui sommes ici est le même que le vôtre". Et la conversation s’engagea : "Vraiment ? Mais d’où êtes-vous donc ?" "Nous sommes tous d’Urakami. A Urakami, presque tous ont le même cœur que nous". Et aussitôt la femme qui avait répondu posa à son tour une question : "Où est la statue de sainte Marie (sancta Maria) ? "Le P. Petitjean n’eut plus alors aucun doute : il était bien en présence de descendants des anciens chrétiens. Il conduisit le groupe devant la statue de la Sainte Vierge. De nouveau tous s’agenouillèrent et se mirent à prier. Mais ils ne pouvaient contenir davantage la joie qui débordait de leur cœur : "Oui, c’est bien la Sainte Vierge. Voyez sur son bras son divin Fils Jésus.
"Nous faisons la fête du Seigneur Jésus au vingt-cinquième jour de la gelée blanche. On nous a enseigné que ce jour-là il est né dans une étable, puis qu’il a grandi dans la pauvreté et la souffrance, et qu’à trente trois ans pour le salut de nos âmes il est mort sur la croix. En ce moment nous sommes au temps du chagrin. Avez-vous vous aussi ces solennités ?"
Le P. Petitjean, qui avait compris qu’il s’agissait du carême, répondit : "Oui, nous sommes aujourd’hui le dix-septième jour du temps chagrin..."
Un jour un chrétien venu des Gotô se présenta accompagné d’un "baptiseur" qui, après avoir exposé sa dévotion au chapelet, récité sans Gloria Patri comme c’était la coutume au XVIIe siècle, posa ensuite deux questions : les missionnaires connaissent-ils le chef du Royaume de Rome ? les missionnaires sont-ils mariés ? Le baptiseur se réjouit d’entendre la réponse : le nom du Pape, Pie IX, et l’annonce que les missionnaires gardaient le célibat. Il sembla que, pour lui, les trois signes les plus évidents de la foi catholique des nouveaux arrivés avaient été la dévotion à Marie, l’union avec le successeur de Pierre et le célibat des prêtres.
L’actualité internationale de ces derniers mois nous a permis de découvrir l’horreur du sort réservé aux chrétiens d’Irak et de Syrie. Mais qui connaît l’histoire tout aussi douloureuse de l’Église du Japon ? Qui sait que celle-ci doit tant à un jeune prêtre de Saône-et-Loire ?
Sur l’archipel, la foi catholique ne concerne que 0,5 % de la population. Une proportion presque anecdotique, mais qui représente tout de même plus de 500 000 fidèles. Pas un de ces catholiques n’ignore le nom de celui qui fut leur tout premier évêque en 1866 : Bernard Petitjean. Un patronyme presque oublié chez nous. L’homme est pourtant né en 1829 à Blanzy. Il fit son séminaire à Autun et fut même prêtre à Verdun-sur-le-Doubs. Aujourd’hui, Monseigneur Petijean est célébré comme celui qui a découvert et ramené au grand jour les kakure kirishitan du Japon : les chrétiens cachés. Le religieux a permis à cette communauté martyrisée, qui vivait sa foi dans le secret le plus total, de sortir de l’ombre et de se développer en bravant la peur.
L’Église du Japon célèbre la découverte des Chrétiens cachés
Cette semaine, les catholiques japonais célèbrent les 150 ans de cette « découverte ». Monseigneur Benoît Rivière, évêque du diocèse d’Autun, a été invité pour l’occasion par l’archevêque de Nagasaki. Il représentera les évêques de France. Cet anniversaire a permis à Mgr Rivière de se pencher sur l’histoire de Mgr Petitjean et des chrétiens cachés du Japon, une histoire qu’il ne connaissait jusqu’alors que très mal. Ce récit est pourtant fondateur pour la nouvelle Église japonaise.
Évoquer les chrétiens cachés oblige à présenter les persécutions terribles dont ont été victimes les catholiques japonais. C’est au XVIe siècle que le christianisme pose son premier pied dans l’archipel, il sera rapidement interdit. 26 catholiques furent même crucifiés à Nagasaki en 1597. Face aux persécutions, les Japonais convaincus par le message du Christ n’ont d’autre choix que de devenir invisibles. Tant et si bien, qu’après plus de deux siècles, on les pense disparus.
C’est alors qu’entre en scène le jeune père Petitjean. Après quelques années en Saône-et-Loire, il a intégré en 1859 les Missions étrangères de Paris. 9 mois plus tard, le bourguignon embarquait pour le Japon. À Nagasaki, il enseigne le français et souhaite bâtir une église dédiée aux 26 martyrs. Les premiers temps sont difficiles et le catholique se sent bien seul en cette terre bouddhiste. Il inaugure pourtant son église en 1865. Un jour, alors que le père Petitjean prie à genoux devant l’autel, un groupe de femmes japonaises vient à sa rencontre. Elles remarquent le chapelet de l’homme d’Église. L’une d’elles lui souffle : « Nous avons dans les cœurs le même sentiment que vous. » Bernard Petitjean vient de rencontrer sa première kakure kirishitan. À l’époque, ils sont en fait encore près de 30 000 à vivre leur foi dans la plus grande clandestinité. Sans prêtre, sans bible, ces Japonais font vivre comme ils le peuvent le catholicisme. Leurs statues de la Vierge sont, par exemple, façonnées comme des bouddhas pour ne pas éveiller les soupçons. Avec le temps, certains rites se sont aussi un peu éloignés de ceux de l’Église de Rome. Le prêtre de Blanzy parcourt alors l’archipel à la recherche de ces catholiques invisibles. C’est grâce à des signes secrets, comme la croix et le chapelet qu’ils parviennent à se reconnaître. Peu à peu ces humbles pécheurs, ces discrets artisans rejoignent le prêtre. Le natif de Blanzy s’emploie à organiser cette Église clandestine et à gommer certaines dérives. Sous son influence ces chrétiens cachés sortent peu à peu de la clandestinité. L’année suivante, le prêtre est nommé évêque du Japon par Pie IX.