Lettre ouverte de Nico Pou Gallo, sur son frère Marcos
Publié le 2 Mars 2015
En cette année de la Vie Consacrée, Marcos priez pour nous.
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Chers amis,
Entre 23:30 et minuit du samedi 21 février, mon frère Marcos est décédé dans un accident de moto, à l’âge de 23 ans, une semaine et demie après être entré au séminaire.
Tout cela, comme il est logique, n’a rien de facile. C’est mon frère, avec qui j’ai grandi depuis que je suis né, avec qui j’ai découvert tout petit la vie, avec son bien et son mal, sa souffrance et ses consolations, sa beauté et ses laideurs, ce qu’elle a de divertissant et d’ennuyeux, de grand et de petit. Avec lui je me suis disputé, j’ai ri aux larmes, avec lui j’ai pleuré, avec lui j’ai découvert ce qu’il y a de plus grand qui se puisse jamais découvrir aux yeux d’un pauvre homme, tel que lui et tel que moi.
Ces trois derniers jours ont été les plus durs de ma vie. Le souvenir de Marcos est constant, de tout ce que nous avons vécu ensemble, le bon et le moins bon. C’est dur d’être à la maison, parce qu’il est difficile de se faire à l’idée qu’il ne va pas bientôt rentrer en criant “Minious” à l’intention de Juan et de Mateo, mes petits frères, ou bien d’aller dans ma chambre, où il dormait. C’est dur de vivre, c’est douloureux. Le plus dur, c’est de se réveiller le matin, parce que c’est comme si on m’annonçait encore la mauvaise nouvelle. Elle est douloureuse cette nouvelle vie, sans Marcos, si différente de celle qui a toujours été, de celle que nous connaissions. Tous ceux qui l’ont connu, même depuis peu de temps, même pour n’avoir partagé que quelques mots avec lui, le savent bien. Beaucoup auront entendu parler de lui. Et pour d’autres, peut-être, il était « le frère de », ou « le fils de Itziar et Paco ».
À vous tous, je veux raconter ce que j’ai vu ces deux derniers jours. Avant la messe de dimanche, célébrée pour lui, nous avons eu l’occasion d’embrasser pour la dernière fois mon frère. Il était beau, dans un cercueil simple, comme celui de Jean Paul II. Vêtu de blanc, pur. Ma famille et moi avons pu prier auprès de lui, en demandant pour nous, par son intercession, de comprendre et de faire confiance au Seigneur. La messe fut notre première récompense. Ce fut un véritable spectacle. L’église était comble, les deux jours. Devant moi défilaient tous les visages que le Seigneur avait aimés à travers Marcos. Tout ce que Dieu a réalisé à travers lui, de toute sa personne. Il y avait les religieuses du restaurant social où il apportait son aide (caritative) depuis trois ans, ses compagnons et les miens de notre premier collège, avec ses professeurs, un grand nombre de professeurs de l’Abat Oliba, ainsi que des élèves, les amis avec lesquels il jouait au football à La Salle, quand il était petit, ceux avec lesquels il jouait il n’y a pas si longtemps et ceux avec lesquels il jouait cette année encore, d’innombrables amis de Madrid, les siens, les miens, des couples mariés qui l’ont connu là-bas et qui sont venus nous accompagner et lui rendre hommage, toute la communauté de Communion et Libération de Barcelone, toute ma famille… J’oublie beaucoup de gens, pardonnez-moi. Des messes ont été célébrées pour lui en Sibérie, à New York, Milan, Rome, aux Açores, au Mexique, à Santander… et en bien d’autres lieux encore où l’on a prié pour lui. Je vous remercie tous pour vos prières et votre présence. Ils sont un véritable témoignage de tout ce que Dieu réalise à travers la faible chair de mon frère.
Mes amis et ceux de Marcos. Dieu et mon frère m’offrent à chaque seconde l’amour qu’il a pour vous du haut du ciel, et qu’il a toujours eu pour vous. J’ai la certitude, claire, que Marcos a toujours eu cet amour. J’ai cette paix, ces yeux conquis par le Seigneur, que Marcos a lui-même. Je sens que les embrassades, les baisers et les marques d’affection que je vous adresse viennent de Marcos. Je me surprends à vous aimer d’un peu de ce que lui vous aimait, ce qui est déjà énorme. Je pleure et je souffre, il me manque, j’aimerais l’embrasser encore une fois. Mais il est avec moi. La relation avec Marcos est unique. Je l’entends continuellement me dire d’avoir confiance. Je le vois sourire, je le vois heureux là où il a toute sa vie désiré d'être.
Marcos nous a fait le plus grand cadeau que personne puisse offrir. Il nous a placés devant la vie, et devant le Christ. Telle a toujours été son intention, nous présenter au Christ, voyez : « J’ai vu le visage même du Christ, la tendresse avec laquelle Dieu aime, j’ai vu comme il m’aime et cela donne le vertige. Pourquoi autant ? Dieu me préfère, et selon les mots de Giussani, il me préfère « parce que je ne suis rien, parce que je suis comme cette petite fille de 15 ans de Nazareth, rien. Ou comme son mari, un homme plein de doutes, troublé, humble, charpentier, rien ».
Et ces jours-ci, il le fait d’une manière radicale et spectaculaire, avec la messe, les funérailles et ce qui suivra. Il nous présente l’infini. Chaque chant, chaque lecture, chaque psaume, chaque geste d’affection que vous m’avez manifesté, chaque visage que j’ai embrassé, sont des signes de ce Dieu bon qui habite en Marcos. C’est une surabondance que je n’avais jamais expérimentée et que je ne pouvais imaginer. Je souffre d’une grande douleur, mais je suis profondément heureux. Car qui suis-je, moi, pour recevoir un tel cadeau du ciel, cette certitude de Marcos ? Qui suis-je pour être appelé à partager la relation qu’il avait avec le Mystère ? La miséricorde que Dieu a à mon égard en me donnant cela dépasse toute mesure. Il nous fait ce don : maintenant, seul l’infini pourra nous suffire. Maintenant, seul Dieu suffira à nos cœurs humains déchirés.
La politique, l’économie, ce que nous étudions, là où nous travaillons, ce que nous vivons maintenant, les relations avec les êtres chers et avec nos amis, tout prend une consistance plus réelle. Parce que tout est revêtu de cette attente et de cette question : y a-t-il quelque chose qui soit pour toujours ? Oui. Elle existe. Parce que nous l’avons vue et que nous la voyons. Marcos a toujours voulu présenter Dieu au monde.
Et en ces jours, il le fait sous une forme radicale. Ou tout, ou rien, ainsi a-t-il été. Et le Christ est présent. Mes amis, la souffrance de perdre une “forme” de relation n’est pas incompatible avec la paix et l’assurance de ce que Dieu est présent. La déchirure n’est pas incompatible avec la joie que Dieu présent nous donne. Tout ce que nos cœurs désirent, et aujourd’hui plus que jamais, existe. Nous l’avons vu chez Marcos, et nous le voyons entre nous aujourd’hui. Nous le voyons dans l’unité d’un peuple au milieu duquel le Seigneur a voulu créer Marcos. Il avait pensé à tout. Pour emporter Marcos, il devait être certain de ce qu’il lui donnerait son “oui” librement et heureux. En voici la preuve. Marcos écrivait ceci, le 11 février : « ENTRÉE AU SÉMINAIRE : Vertige et pleine confiance, je suis Tiens, ô Christ. Que ce soit un chemin de sainteté. Je suis heureux de te donner ma vie ! Domine davantage en moi ce qui ne désire pas, ce qui me rend paresseux ou paraît être une fatigue future. Je me recommande à toi, Marie, Vierge de Lourdes, rends-moi heureux ! rends-moi saint ! »
Vous le voyez. Marcos est parti pleinement heureux, comme il ne l’avait jamais été. Et il veut nous offrir cette paix.
Laissez entrer dans vos cœurs la douleur, plongez-vous dans la souffrance pour découvrir le désir d’infini qui caractérisait Marcos. Mais submergez-vous aussi dans la vie. Soyez attentifs à ce que Dieu nous offre, soyez attentifs à la réalité qui fascinait Marcos. Parce que c’est là que vous rencontrerez la paix que Dieu nous donne. N’étouffez pas votre douleur, vos questions, votre souffrance, le vide laissé ou le besoin d’être avec lui. Vivez tout cela jusqu’à ce que ces questions vous conduisent à vos limites. Autrement, nous mépriserons le don que nous a fait Marcos. Pensez à ce qui vous fascinait chez lui, souvenez-vous de ce qu’il disait, pensez et souvenez-vous du Christ qui s’est fait chair à travers mon frère. Que le oui qu’il a donné soit également notre oui à vivre cette souffrance et cette grâce. Demandons sa proximité au Seigneur, sa relation privilégiée avec le Père et réjouissons-nous de ce qu’il soit désormais heureux pour toujours. Reposez dans cette certitude, dans l’image du sourire qu’il nous adresse du haut des cieux.
Ma relation avec Marcos n’a jamais été meilleure que maintenant. A présent que je ne peux plus ni le toucher, ni l’embrasser, il est plus mien, il est davantage en moi que jamais. Il est plus notre ami qu’il ne l’a jamais été.
Me parviennent déjà les choses qui se produisent. De nombreuses personnes m’envoient des témoignages de ce que Dieu et Marcos font du haut du ciel. Je dois remercier Dieu d’être le témoin d’un tel spectacle. Ne cessez pas de me faire part de tout cela, s’il vous plaît, comme c’est déjà le cas.
Je vous demande de vous accompagner les uns les autres, de vous souvenir de tout cela. Je vous demande de ne pas fermer vos cœurs, de l’ouvrir à la douleur et au présent. Priez également pour ma famille : Francisco, Itziar, Natalia, Juan, Mateo et moi. Accompagnez-nous et laissez-nous vous accompagner. Priez pour mes oncles et mes cousins, que je remercie pour avoir pris si spécialement soin de nous.
(…) Lors de notre dernière conversation, Marcos me disait ceci, avant son départ pour le séminaire de Barcelone : « nos chemins nous séparent, et cela est déchirant, mais sur le grand chemin nous marchons ensemble ». Il en est bien ainsi (…).
Nico Pou Gallo
27 février 2015
© traduit de l'espagnol, pour le petit Placide