de la semaine sainte.
Publié le 18 Mars 2016
Venons donc « puiser aux fontaines du Sauveur »; nos âmes en sortiront pleines de vie, toutes pures, tout éclatantes d’une beauté céleste; il ne restera plus en elles la moindre trace de leurs anciennes souillures ; et le Père nous aimera de l’amour même dont il aime son Fils.
N’est-ce pas pour nous recouvrer, nous qui étions perdus, qu’il a livre à la mort ce Fils de sa tendresse ? Nous étions devenus la propriété de Satan par nos pochés; les droits de l’enfer sur nous étaient certains; et voilà que tout à coup nous lui sommes arrachés et nous rentrons dans nos droits primitifs. Dieu cependant n’a point usé de violence pour nous enlever au ravisseur: comment donc sommes-nous redevenus libres ? Écoutez l’Apôtre: « Vous avez été rachetés d’un grand prix ». Et quel est ce prix ? Le Prince des Apôtres nous l’explique : « Ce n’est pas, dit-il, au prix d’un or et d’un argent corruptibles que vous avez été affranchis, mais par le précieux sang de l’Agneau sans tache ». Ce sang divin, déposé dans la balance de la justice céleste, l’a fait pencher en notre faveur: tant il dépassait le poids de nos iniquités! La force de ce sang a brisé les portes mêmes de l’enfer, rompu nos chaînes, « rétabli la paix entre le ciel et la terre ». Recueillons donc sur nous ce sang précieux, lavons-en toutes nos plaies, marquons-en notre front comme d’un sceau ineffaçable et protecteur, afin qu’au jour de la colère le glaive vengeur nous épargne.
Avec le sang de l’Agneau qui enlève nos péchés, la sainte Église nous recommande en ces jours de vénérer aussi la Croix, qui est comme l’autel sur lequel notre incomparable Victime est immolée. Deux fois, dans le cours de l’année, aux fêtes de son Invention et de son Exaltation, ce bois sacré nous sera montré pour recevoir nos hommages, comme trophée de la victoire du Fils de Dieu; à ce moment, il ne nous parle que de ses douleurs, il n’offre qu’une idée de honte et d’ignominie. Le Seigneur avait dit dans l’ancienne alliance : « Maudit celui qui est suspendu au bois ». L’Agneau qui nous sauve a daigné affronter cette malédiction ; mais, par là même, combien nous devient cher ce bois autrefois infâme, désormais sacre! Le voilà devenu l’instrument de notre salut, le gage sublime de l’amour du Fils de Dieu pour nous. C’est pourquoi l’Église va lui rendre chaque jour, en notre nom, les plus chers hommages; et nous, nous joindrons nos adorations aux siennes. La reconnaissance envers le Sang qui nous a rachetés, une tendre vénération envers la sainte Croix seront donc, durant cette quinzaine, les sentiments qui occuperont particulièrement nos cœurs.
Mais que ferons-nous pour l’Agneau lui-même, pour celui qui nous donne ce sang, et qui embrasse avec tant d’amour la croix de notre délivrance ? N’est-il pas juste que nous nous attachions à ses pas ; que, plus fidèles que les Apôtres lors de sa Passion, nous le suivions jour par jour, heure par heure, dans la Voie douloureuse ? Nous lui tiendrons donc fidèle compagnie, dans ces derniers jours où il est réduit à fuir les regards de ses ennemis; nous envierons le sort de ces quelques familles dévouées qui le recueillent dans leurs maisons, s’exposant par cette hospitalité courageuse à toute la rage des Juifs; nous compatirons aux inquiétudes mortelles de la plus tendre des mères ; nous pénétrerons par la pensée dans cet horrible Sanhédrin où se trame l’affreux complot contre la vie du Juste. Tout à coup l’horizon, si chargé de tempêtes, semblera un moment s’éclaircir, et nous entendrons le cri d’Hosannah retentir dans les rues et les places de Jérusalem.
Cet hommage inattendu au fils de David, ces palmes, ces voix naïves des enfants hébreux, feront trêve un instant à tant de noirs pressentiments. Notre amour s’unira à ces hommages rendus au Roi d’Israël qui visite avec tant de douceur la fille de Sion, pour remplir l’oracle prophétique ; mais que ces joies subites seront de peu de durée, et que nous retomberons promptement dans la tristesse ! Le traître disciple ne tardera pas à consommer son odieux marché ; la dernière Pâque arrivera enfin, et nous verrons l’agneau figuratif s’évanouir en présence du véritable Agneau, dont la chair nous sera donnée en nourriture et le sang en breuvage.
Ce sera la Cène du Seigneur. Revêtus de la robe nuptiale, nous y prendrons place avec les disciples; car ce jour est celui de la réconciliation qui réunit à une même table le pécheur repentant et le juste toujours fidèle. Mais le temps presse : il faudra partir pour le fatal jardin ; c’est là que nous pourrons apprécier le poids de nos iniquités, à la vue des défaillances du cœur de Jésus, qui en est oppressé jusqu’à demander grâce. Puis tout à coup, au milieu d’une nuit sombre, les valets et la soldatesque, conduits par l’infâme Judas, mettront leurs mains impies sur le Fils de l’Éternel; et les légions d’Anges qui l’adorent resteront comme désarmées en présence d’un tel forfait. Alors commencera cette série d’injustices dont les tribunaux de Jérusalem seront l’odieux théâtre: le mensonge, la calomnie, la soif du sang innocent, les lâchetés du gouverneur romain, les insultes des valets et des soldats, les cris tumultueux d’une populace aussi ingrate que cruelle; tels sont les incidents dont se rempliront les heures rapides qui doivent s’écouler depuis l’instant où le Rédempteur aura été saisi par ses ennemis, jusqu’à celui où il gravira, sous sa croix, la colline du Calvaire. Nous verrons de près toutes ces choses ; notre amour ne nous permettra pas de nous éloigner dans ces moments où, au milieu de tant d’outrages, le Rédempteur traite la grande affaire de notre salut.
dom Guéranger.