la présence mystérieuse (2)
Publié le 19 Novembre 2016
Comment ce dernier cas est-il possible? Comment ose-t-on bien au coeur de cet invisible paradis, avilir sa conscience et porter atteinte au droit des autres?
Hélas! le mystère n'est pas grand, bien qu'il soit infiniment triste. Nous ne songeons pas à la présence de Dieu, et ainsi nous la rendons vaine. Plus encore, nous éteignons nos regards, et nous péchons alors dans la nuit. Les meilleurs, quand ils pensent à Dieu, au vrai y repensent, c'est-à-dire qu'ils l'oublient d'abord et doivent sans cesse, en eux, le recréer.
Que cette expression ne choque pas trop; elle a sa vérité pratique, sinon littérale. Ce que nous oublions n'est-il pas aboli pour nous? Il n'y a pas de Dieu pour l'athée; il n'y en a pas non plus pour celui qui oublie entièrement et coupablement la divine présence. Pour le juste oublieux, Dieu est, mais il doit le réveiller, le régénérer pour ainsi dire constamment et en lui le faire renaître. Penser à Dieu, c'est nous le donner, ou plutôt puisque toujours il commence, c'est lui permettre de se donner et consentir pour son compte à le recevoir.
Sa présence en toutes choses se trouve alors particularisée à notre bénéfice; de cosmique elle devient personnelle, et de métaphysique, morale et mystique. Pour le pur philosophe, la présence de Dieu est un cas de la réalité universelle et un terme de la formule du monde;
Pour le chrétien elle est un rendez-vous.
Mais ce rendez-vous, quel est-il?
On a comparé le sentiment de la présence de Dieu a une lampe mystique au-dessus de notre tête, éclairant en avant et traçant notre chemin comme une étoile des mages. C'est une belle similitude, mais trop extérieure.
L'enfant qui joue sur la plage et se laisse imbiber de soleil nous fournit une image un peu plus exacte, en ce que l'astre, intérieur par son action, par ses radiations concourt à transformer la vie même. L'atmosphère, pour nous tous, n'est-elle pas intérieure à nos corps et n'en forme-t-elle pas pour ainsi dire un organe? Ainsi Dieu est intérieur à notre âme, agit en concordance avec notre âme et devient comme un organe de notre âme. Serions-nous, par nature déjà, un "corps de Dieu" ?
Ecartons, si l'on veut , cette expression, mais retenons la vérité qu'elle suggère. Il y a en nous une présence solennelle qui communique à notre âme une divine grandeur et tend à l'épanouir en forme parfaite. Cette présence singulière, propre à l'homme ici-bas, tient à la nature éminente de l'esprit et à la préférence créatrice qu'elle suppose. Dieu est présent dans la mesure de ce qu'il donne et de ce qu'on en reçoit. Quelle que puisse être notre volonté de recevoir, Dieu en nous donnant la pensée, en faisant de nous des immortels, s'est constitué un temple permanent que jamais il ne déserte. Dût ce temple être profané, on dira que Dieu s'en va en ce sens qu'il retire sa grâce; mais la nature reste, et l'Auteur de la nature peut encore moins se séparer d'elle que la nature d'elle-même.
Qu'importerait toutefois cette présence obligée, étrangère à la volonté, désavouée pour ainsi dire par son bénéficiaire forcé de la subir? Subir Dieu ! quelle perversion, quand il est là pour l'accroissement de ce vivant qu'il a créé progressif, pour l'achèvement et l'heureuse glorification de son oeuvre! Satan a Dieu en soi; mais il en est maudit et lui-même il maudit. Un arbre aussi a Dieu en soi et il l'ignore.
Pour que la présence de Dieu soit ressentie et pour qu'elle soit utile, l'attention de l'âme et la rectitude de la conscience sont requises, et en outre un éloignement du visible assez vigilant pour que son irruption ne vienne pas troubler le ciel intérieur, couvrir la voix de l'hôte secret dont la parole n'est que murmure. La vie des sens n'est pas compatible avec l'attrait de Dieu, avec l'action de Dieu. " Tu étais au centre de mon âme, chante le poète hindou, c'est pourquoi, lorsqu'elle vint à errer, elle ne le trouva plus."
(à suivre )