la présence mystérieuse (3)
Publié le 20 Novembre 2016
On peut certes savoir qu'on a Dieu en soit et demeurer pécheur, et s'enliser plus ou moins dans le sensible. Mais ce que je sais n'est qu'une idée en moi; ce qui importe, c'est que j'aime
L'être que j'aime est en moi vivant, il agit et pour ainsi dire me crée et me recrée incessamment à son image. Quand il s'agit de Dieu, c'est à la lettre qu'il me crée et progressivement me recrée avec ma libre coopération quotidienne .
Au vrai, la présence de Dieu en nous n'est utilement perçue qu'en l'absence de tout le reste, y compris soi-même, non par l'oubli ou mépris, mais par un rejet vigoureux de tout le créé en sa vraie place, bien au-dessous du Bien souverain.
Dieu nous habite ; mais il faut sortir de nous-mêmes pour le voir. Dieu habite toutes choses; mais on n'en a le sentiment et le bénéfice qu'en se détachant de toutes choses vues et voulues en elles seules. Il faut être en pensée et en désir hors du temps qui nous mesure et qui mesure tous les êtres, pour concevoir et s'approprier l'éternel.
Quand on vit ainsi en présence de Dieu, éprouvé au dedans, découvert au dehors, on approfondit sa vie et on l'éclaircit jusqu'à une ampleur qui emprunte à celle de Dieu et se mesure exactement à son oeuvre.
L'univers et notre âme ne sont plus alors pour Dieu et pour nous-mêmes qu'un seul ciel. C'est Dieu qui fait l'unité de nous et du monde, l'unité de nous-mêmes et de nous-mêmes, livrés sans cela à la dispersion de nos pouvoirs . Prendre conscience de l'univers en nous, prendre conscience de nous et inclure tout en Dieu, c'est la connaissance souveraine et c'est la grande paix.
Et ce n'est pas encore tout; car nous n'avons fait jusqu'ici qu'une vague allusion au surnaturel.
Dieu en nous créant, nous donne à nous-mêmes et nous donne l'univers pour y mener avec lui notre vie du temps. Dieu, en nous recréant par la grâce, nous donne à nous-mêmes en ce nouvel état et se constitue, lui, notre univers, pour une vie éternelle.
On ne saurait dire que la grâce, s'il s'agissait vraiment de la définir. Ses effets éclatent mieux que sa nature. Par elle, nous sommes très formellement recréés, en une participation de Dieu non plus extérieure, comme un écoulement de glacier, mais intérieure, par emprunt au jaillissement trinitaire en quoi consite la vie propre et quasi incommunicable du Dieu éternel.
En nous donnant sa grâce, Dieu se donne lui-même à nous en intime et amoureuse possession, et c'est un don qui nous enrichit infiniment plus que ne ferait un monde.
Un monde sans Dieu n'est rien. Quand on nous donnerait les étoiles, rien ne pourrait les empêcher de fondre entre nos mains . Dieu Dieu que par son infinie élévation au-dessus de ce qu'on appelle des mondes .
Quand, par la grâce, la Trinité est ainsi en nous, le Verbe, à tout instant, y jaillit donc, avec l'Esprit qu le joint au Père, et nous sommes joints nous-mêmes à tous ceux qui au Fil:s et au Père sont unis.
Quelle vie !
et comme l'idée de la présence intérieure de Dieu en est transformée, quelque sublime déjà qu'elle ait pu apparaître!
" L'oeil par où je vois Dieu est le même oeil par où il me voit", dit le poète mystique. Angelus Silesius: en effet, puisque c'est son Esprit. Cette unité de vision se prolonge d'elle-même en unité de désir, en unité de fins, en unité d'action.
Nous sommes invités à "faire le Dieu" ainsi que dirait Pascal, non dans le sens abusif qu'il visait, mais au contraire par une fidélité aimante, par une connaturalité toute simple une fois l'invraisemblable miracle accompli.
Invraisemblable est bien le mot . Dieu demande de nous un acte de foi désespéré, avant de fonder notre espérance. Dans ces vertigineuses régions, on ne trouve pas Dieu, cette fois, parce qu'on le cherche, et l'on aurait beau le chercher on ne le trouverait pas pas; mais c'est lui qui nous cherche.
Son amour est premier, et il est naturel qu'on le rencontre sur son propre chemin; il est naturel, ensuite qu'on marche.