l'apôtre fatigué. dédicace à mes amis dans le sacerdoce.
Publié le 25 Janvier 2017
" Seigneur, année après année, j'ai travaillé pour vous, avec vous: à temps et à contre-temps, j'ai annoncé votre vérité. J'ai connu la grande indifférence des hommes; et j'ai su qu'ils préféraient le sommeil à la paix, la passion de détruire et de se détruire à la joie d'aimer et de créer. Vous m'avez donné l'esprit de patience et je n'ai pas été scandalisé. Vous m'avez donné l'esprit d'humilité et j'ai su accuser mon péché. J'ai en moi la force de continuer à écrire, à parler, à agir (est-elle de moi, ou de vous, je ne sais plus, tant nous sommes mêlés et depuis si longtemps l'un à l'autre)
" Faut-il que je travaille jusqu'au bout dans la nuit? Apercevrai-je quelque chose des lueurs annonçant votre signe? le commencement des grands rassemblements que je voudrais pour vous? Verrai-je seulement autour de moi une conversion? un de ceux qui font profession d'être chrétiens prendre au sérieux le Pater, dire la vérité, aimer ses frères. rompre avec l'injustice établie, préférer l'honneur vaincu à la honte régnante? Rencontrerai-je avant de mourir une sainteté incontestable, verrai-je sous mes yeux une âme se consumer d'amour, brûler comme le buisson ardent que Moïse trouva sur sa route.
" Je crois en vous, mais faites, Seigneur que j'ai une expérience de vous dans les hommes. Que je touche de ma main un témoignage vivant. Je sais bien que vous n'avez pas besoin des hommes et que le plus grand héroïsme du monde reste pour vous un service inutile. Je sais bien que tout amour qui cherche des signes, avide d'une prompte réponse sensible est un amour impur. Mais je me découvre inégal à mes certitudes. Et je ne peux m'empêcher de vous demander cette récompense superflue et pourtant bien nécessaire à un coeur usé de fidélité: montrez-vous à moi dans mes frères, découvrez-moi que la grâce est capable de changer des vies.
Je voudrais sentir de la vie divine plein mon âme, comme Siméon autrefois sentit entre ses bras la chaude vie de l'Enfant.
L'enfant et la Mère montent au Temple.
C'était un matin de février gris et sale comme tous les matins de février, mais c'était aussi la première sortie de l'Enfant, le commencement de sa vie publique, l'Epiphanie continuée et, comme le dit Claudel, la rencontre de l'Eglise et de la Synagogue. L'enfant monte au Temple. Confrontation d'un monde, neuf, divinement éternellement neuf avec l'institution la plus justement vénérable du vieux monde. Et cependant aucun prodige ne s'accomplit, le voile du Temple ne se déchire pas, les princes des prêtres et les docteurs de la loi ne viennent pas se jeter, illuminés aux pieds de l'Enfant... Israël ne saura pas. L'Enfant lui-même accepte que par lui soit encore accompli un rite usé.
Seuls, deux vieillards obscurs ont compris. Anne et Siméon ont reconnu dans cette présentation si pareille aux présentations de l'Ancienne Loi le commencement de l'Ordre Nouveau, le plus humble, le plus petit des commencements, et il suffit à Siméon. Prophète, il ignore pourtant le contenu du message, il ne connaîtra pas les merveilles de la vie publique, l'Evangile de charité, la Résurrection triomphale, et il va cependant, heureux, au devant de la mort parce ce que ses yeux ont vu le salut. Ils ont vu et c'est encore la nuit épaisse. C'est à peine si le ciel a légèrement changé de couleur du côté de l'orient.
L'apôtre fatigué a compris la leçon de la Chandeleur. " J'ai eu moi aussi le bonheur de Siméon et je n'ai pas su le nommer. Ma foi dont j'étais si fier est moins robuste que n'était la sienne: lui a oublié ce temple condamné, ces rites sans esprit, ces marchands matérialistes pour ne voir que l'Enfant qui montait. Moi, je vois trop ces routines sociales, ces temps solides des religions idolâtres, ces injustices contentes d'elles-mêmes. Et je ne vois pas l'Enfant qui monte dans ce triste décor et qui ne détruit pas ce monde condamné; l'Enfant qui accepte de se soumettre aux lois communes, la jeunesse et la grâce présente dans ces temps mauvais.
J'ai cru mon travail ingrat et j'aurais voulu voir de mes yeux la conversion d'un marchand ou la chute du Temple pour récompense de ma foi. Mais la grâce est infiniment, divinement patiente; elle sait attendre; elle guette toutes les volontés, les plaintives et les craintives, les roides et les héroïques. Je ne demanderai plus que le Temple s'écroule et que les marchands abandonnent leur négoce. Peut-être avons nous besoin avant l'accomplissement des temps , du Temple et des marchands.
Je serai patient, de la patience de Dieu. Je demandais ce que j'avais. Votre présence vivante en moi. Cette amitié eût-elle survécu à l'usure du temps, aux séparations qui changent les coeurs, aux différences de vocation qui éloignent les vies si la grâce n'avait jalousement veillée sur elle? Cet amour grandirait-il malgré la monotonie des travaux et des jours, serait-il si riche de découvertes inattendues si en lui ne circulait la sève qui ne connait pas d'hiver? Et ma prière fatiguée et sans joie, d'où lui viendrait cette ardeur sombre qui me soutient et m'aide à vivre sinon d'une divine présence?
" J'aurais voulu voir autour de moi des saintetés éclatantes et visibles comme des soleils, des saintetés incontestables qui seraient aussi difficiles à nier que la lumière de midi. Que le cierge de la Chandeleur me soit un symbole de sobriété; il m'enseigne qu'il existe d'autres saintetés d'une lumière plus secrète, qui ne brûlent pas sur la grand'route comme le buisson ardent, qui se consument secrètement dans l'ombre des monastères, et leur silence juge plus implacablement la cruauté et l'injustice du monde que les véhémences des impatients. Saintetés dont la flamme n'éclaire que l'âme qui la porte, comme le cierge n'illumine que le visage d'une courte lueur , pâleurs de mort et d'éternité mêlées. Saintetés des temps mauvais.
Mais il faut des Siméon pour préparer des François d'Assise, l'hymne apaisé du Nunc dimittis pour préparer le cantique brûlant de l'Alverne, de longues attentes pour mûrir les puissants rayonnements.
Des Présentations silencieuses, secrètes et discrètes pour préparer et mûrir les Pâques triomphales.
dominicus +
la vie spirituelle.