le pardon. les plus belles pages de l'Evangile.
Publié le 12 Mars 2017
L'avantage d'un sujet comme celui-ci, c'est qu'il n'a pas besoin de préambule. A peine énoncé, il évoque tout de suite une page d'Evangile, une image de Jésus, un pardon qu'il accorde à quelque pécheur.
C'est qu'en effet le pardon est un acte moral. Il est accordé par la personne même qui a eu a souffrir de l'injure, et il a pour effet d'étouffer en elle le ressentiment.
Le pardon s'applique à un offenseur. Ici c'est clair, l'offensé c'est Dieu même; l'offense c'est le péché; l'offenseur, c'est le pécheur, c'est-à-dire nous tous. Et c'est par là que le sujet devient intéressant. Et ce n'est pas seulement la curiosité de l'esprit qu'il éveille, mais c'est encore le coeur qu'il émeut; c'est tout nous-mêmes enfin, puisqu'il y a là une question vitale, à laquelle est suspendue notre destinée.
Il faudrait dire encore que rien n'est plus admiré parmi les hommes que le pardon, tant il nous est coûteux.
Enfin, il y a ceci, que le souvenir et l'expérience de notre faiblesse, de notre misère et de nos défaillances, nous établit, comme d'instinct, dans la crainte; et que, même après que le Christ est venu, même après la source de vie que son sang a ouverte pour chacun, même après les leçons multiples et renforcées de l'Evangile, la chose la plus difficile pour l'homme est de réaliser l'immense, l'infinie pitié de Dieu.
Ce qui paralyse l'élan des meilleurs, c'est la difficulté de croire que nous soyons aimés de Dieu à l'infini, gratuitement et malgré le pire... Et cependant tout, dans l'Evangile, est dans ce sens du pardon, de la miséricorde, de l'amour. C'est fréquement que Jésus s'y définit sous cet aspect, dans sa doctrine et dans ses actes. Lui, il était cette pitié.
On a quelque joie quand on découvre qu'un homme comme Pierre Loti, à la fin d'une carrière aventureuse et fort encombrée de passions satisfaites, faisant rôder sa curiosité autour de la personne du Christ, sur les lieux mêmes de son immolation, conclut, en se jugeant lui-même à la nécessité d'un Dieu de pitié. C'est bien. C'est une amorce. Mais, il y a du chemin encore, de cet appel de pitié à la certitude d'être aimé, à la confiance filiale, à l'abandon sur le coeur du Père.
De notre misère, à l'amour du Père, si long que paraisse le chemin il est cependant facile à parcourir, par ce " Pont " qui est le Christ, comme disait sainte Catherine de Sienne.
la Samaritaine.
Ce récit vient en saint Jean, après la conversation nocturne avec Nicodème, où Jésus déclare qu'il a été envoyé dans le monde, par l'amour de Dieu, non pour juger le monde, mais pour le sauver. Jésus, de même va se révéler, ici, comme le Sauveur du monde; et c'est à propos de cette femme qu'il est salué par le peuple sous cet aspect.
Nous pouvons encore remarquer, avec l'Evangile, que cette femme représente l'âme pécheresse, et cependant religieuse, en dehors du Christianisme. Il y a des cas nombreux dans notre société contemporaine.
Ce n'est pas une femme idéale, mais une femme réelle. On reconnait, dans le récit, la psychologie féminine de tous les temps, cette façon d'avancer une théologie de surface, pour voiler le secret de son coeur, la grâce ondoyante des manières, le revirement soudain, la décision à fouler son amour-propre, quand elle a subi l'ascendant de l'homme qui lui a révélé sa faiblesse.
Il faut savoir encore - et cela est très touchant - qu'en faveur de cette femme pécheresse, Jésus dérange, pour ainsi dire, ses plans les mieux arrêtés. Il a fait de même en faveur de la Cananéenne et de sa fille, païenne, et pécheresse.
En bref, c'est manifestement un effort de Jésus pour éveiller la foi et l'amour, dans une âme étrangère à toute vie spirituelle.
Hostile tout d'abord, avec toute la haine de sa nation contre les Juifs, elle ne se presse pas de donner à boire à Jésus. Elle s'étonne qu'il le lui ait demandé, lui Juif, à elle Samaritaine. Et elle formule sur un ton de mécontentement, et sans dire : " Seigneur... "
Malgré cela, Jésus usera d'une plus grande bonté avec cette femme pécheresse, qu'avec Nicodème. Il mettra plus de complaisance à annoncer les vérités éternelles à cette femme pauvre, dégradée par le péché, décriée parmi son peuple, étrangère et méprisée, qu'au Docteur de la Loi, Juif pieux et prince du peuple de Dieu. Jésus parle ici plus clairement et plus nettement.
Et nous n'oublions pas que non seulement cette femme a l'esprit prévenu et mécontent, mais aussi qu'elle a le coeur rempli d'attache aux plaisirs et encombré d'habitudes mauvaises.
C'est le cas de conversion le plus détaillé, le plus riche de psychologie, que nous ayons dans l'Evangile. Il y a abondance de paroles. Nous y distinguons facilement trois étapes : d'abord la femme prend Jésus pour un Juif ordinaire; puis pour un Prophète; enfin elle le reconnaît pour le Messie.
Dès la première réponse de Jésus, elle a deviné qu'il y a là-dessous quelque chose de surnaturel. Ses préventions tombent. Elle parle avec respect et affection de coeur. Elle dit : " Seigneur" . Mais elle est loin de compte. Si elle demande poliment de cette eau dont on lui parle, elle la désire par intérêt, et pour s'épargner de la peine: " afin que je n'aie plus soif et que je ne vienne pas puiser ici" . Nous constaterons plus d'une fois du terre à terre dans les commencements de conversion, dans leurs causes occasionnelles.
L'intérêt vital de tout ceci, c'est que ce sont des étapes que nous traversons tous, plus ou moins. Nous pouvons passer aussi par ces périodes d'ignorance dans les choses spirituelles et d'obscurité sur les sentiments intérieurs et surnaturels.
Cette femme était donc une occasion de péché; Jésus va le lui faire sentir. Mais avec quelle délicatesse ! Il lui rappelle le souvenir de sa faute, doucement, discrètement, afin qu'elle s'en repente et qu'elle l'avoue.
" Jésus lui dit :" Va, appelle ton mari, et viens ici. La femme réplique: Je n'ai point de mari. Jésus ajoute : Tu as bien dit: Je n'ai point de mari; car tu as eu cinq maris, et celui que tu as maintenant n'est pas ton mari. En cela, tu as bien dit."
C'est pour presser le dénouement et pour éviter les discussions inutiles et irritantes, que Jésus fait un appel sérieux et subit à la conscience de cette femme. Cela détermine un progrès dans son esprit. Il y a ici plus qu'un homme. C'est au moins un Prophète. Elle a cependant essayé de se mettre à l'abri de toute question sur ce terrain. Mais elle se sent démasquée. Elle reconnait ses torts, en avouant que Jésus a vu juste: " Seigneur, je vois que tu es un Prophète. "
Mais, une fois encore - et très femme en cela - elle essaie de détourner une conversation qui n'est pas à son avantage. Elle veut traiter une question religieuse de controverse. ... Il est possible, cependant, qu'elle ait eu le désir sincère de profiter de l'occasion , pour savoir ce qu'elle devait croire et ce qu'elle devait faire. Il semble assez qu'elle avait des préoccupations religieuses. Bien qu'elle ne comprenne pas tout ce que dit Jésus, elle l'entrevoit, cependant, d'une manière confuse. Elle a de la droiture d'esprit. Elle accepte, elle suit Jésus par le chemin où il la conduit et par les étapes. Elle devine que Jésus parle du Messie. Elle est frappée de cela. C'est alors que Jésus se déclare :" C'est moi le Messie, moi qui te parle."
Il est à peine besoin de souligner que tout l'intérêt de la scène, au point de vue qui nous occupe, est en ceci: que cette femme est enlisée dans les pires habitudes, et depuis longtemps; que Jésus la traite avec douceur, avec respect; que sa miséricorde fait toutes les avances; que s'il est acculé à lui révéler l'état de sa conscience, il le fait avec une délicatesse, avec un tact exquis, sans insister, en l'absence de tout témoin, et sans aucun reproche.
Et si Jésus a écarté tout témoin de l'entretien , c'est bien sûr pour éviter à cette femme toute confusion; mais c'est aussi pour qu'elle ait sa liberté d'esprit et d'action, sous l'envahissement progressif de la lumière; pour qu'elle ait toute la noblesse et tout le mérite du retournement de sa conscience.
Et c'est à cette femme que Jésus fait une magnifique révélation , qu'il ne faisait qu'en secret à ses disciples. On voit par la suite du récit, que la Samaritaine était plus touchée qu'elle n'avait voulu l'avouer tout d'abord.
L'arrivée des disciples met fin à l'entretien. Elle court annoncer à ses compatriotes qu'elle a rencontré un vrai Prophète. Elle dit à tous :" Venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait."
Elle en est sûre. Mais elle comprend qu'elle doit s'en rapporter au jugement des personnes plus compétentes. Elle ne dit pas :" Croyez", mais :" Voyez" , pour les amener à se convaincre eux-mêmes , comme le remarque saint Jean Chrysostome. La meilleure preuve qu'elle était convaincue, c'est qu'elle a su persuader.
Mais , en définitive, la bonté de Jésus est si grande, si ingénieuse, si discrète, qu'il faut quelque attention pour marquer, dans le récit, le moment du pardon, coïncidant avec celui de l'aveu soumis, de la clairvoyance de Jésus, et suivi comme récompense d'une révélation de son identité.
La contrition de la femme, qu'elle n'a manifestée par aucune parole, est cependant incluse dans sa démarche. Elle oublie sa cruche, elle ne songe plus à l'eau qu'elle était venue chercher, elle court à la ville, elle n'hésite pas à confesser la clairvoyance surnaturelle de Jésus, au risque de confesser qu'elle s'est exercée à ses dépens.
Entre le refus hautain de donner à boire, et cette démarche de conviction victorieuse, définitive, enthousiaste, il y a l'aveu , le repentir, le pardon.
Et c'est sur ce type que se réalisera presque toujours le pardon dans l'Evangile.
rp Adam. op +