Saint Benoît, priez pour nous , pour la France. (2)
Publié le 17 Mars 2017
la règle de saint Benoît
Un esprit moderne n'est pas déconcerté par la lecture de cette règle. Le désordre semble y régner, les chapitres sur le gouvernement du monastère, la vie religieuse des moines, l'administration des biens temporels et l'organisation liturgique de l'office se suivant et s'emmêlant en une confusion qui défie l'analyse.
Toutes les tentatives faites pour retrouver dans ce texte un plan logique ont échoué. C'est que, il faut bien l'avouer, les esprits de cette époque n'avaient pas les mêmes exigences que les nôtres: il suffit pour s'en rendre compte de parcourir les décrets conciliaires et les collections canoniques rédigés sans aucune suite apparente dans les idées. C'est aussi que la Règle a été composée empiriquement, au fur et à mesure des problèmes et des besoins, et non selon une idée préconçue. C'est d'ailleurs grâce justement à ce caractère empirique que la Règle a pu s'imposer peu à peu: elle était oeuvre d'expérience, elle avait été essayée avant d'être imposée, elle bénéficiait aussi des longues réflexions de Benoît et de sa connaissance des hommes. Encore faut-il ajouter que cette Règle faisait date par rapport à toutes les règles antérieures ou contemporaines. Elle est en effet un code et non seulement une simple liste de statuts, un recueil de sentences spirituelles ou un traité ascétique. Elle contient une législation systématique qui est bien de style romain et sans que le souci du Droit à établir fasse oublier le fondement moral dont il se réclame: les prescriptions essentielles sont en effet accompagnées d'expositions de principes, et par exemple, Benoît ne se contente pas de définir l'autorité de l'abbé, mais y ajoute ses idées sur l'art de gouverner et l'esprit paternel qui doit l'animer.
Ce n'est pas à dire que tout soit clair dans la Règle et qu'elle ne présente aucune difficulté d'interprétation. On sait au contraire que des observances très diverses en sont sorties, toutes se réclamant d'elle avec la même ferveur... et parfois le même exclusivisme. L'interprétation de Cluny n'est pas celle de Citeaux; Mabillon et Rancé n'ont jamais pu s'entendre. Mais cela même est significatif. Le silence de la Règle sur un certain nombre de points, l'imprécision de certaines solutions ou de certaines directives, laissent entrevoir que Benoît n'a pas voulu tout définir, a laissé place à une liberté assez large. Bien loin d'enserrer toute la vie de ses moines dans un réseau d'observances strictes ne varietur, il laisse à la Règle une certaine élasticité et aux abbés successifs la possibilité et le droit de l'infléchir selon leurs conceptions personnelles et les besoins de leur époque.
la personnalité de saint Benoît.
Par là-même sommes-nous invités à nous faire de Benoît une impression moins rigide que celle donnée peut-être par ce qui a déjà été dit de sa vie et de son oeuvre.
Les vertus fortes du vieux Romain sont tempérées chez lui par je ne sais quel souffle de liberté et de douceur. Benoît est énergique et certaines anecdotes de saint Grégoire le montrent même irascible, mais il fait preuve pour ses frères de tendresse et de condescendance;
il est très exigeant quant au détachement et n'a pas pour rien pratiqué lui-même les exercices de l'ascèse égyptienne; mais il sait détendre la rigueur de cette discipline par la place faite aux intimités et aux suavités de l'amour divin; il règle minutieusement l'organisation de l'office liturgique, mais s'interdit de fixer limitativement des heures pour la prière personnelle; il fait de l'office un service public, une tâche à accomplir chaque jour, mais évite de lui donner l'aspect d'une corvée monotone et fait preuve dans la distribution des éléments liturgiques d'un sentiment esthétique délicat qui n'hésite pas à enrichir l'austère rite romain d'ornements empruntés à l'Orient et à Milan; aussi qu'on n'aille point demander à saint benoît la classification méthodique et " les déductions rigoureuses auxquelles les grands scolastiques nous ont habitués. Laissons-lui son allure toute simple et très libre de primitif. "
Mais il ne faudrait pas que la variété même de ces dons et la largeur d'esprit de ces directives fissent perdre de vue en Benoît une personnalité singulièrement forte.
L'obstination avec laquelle il a poursuivi sa perfection personnelle et rompu successivement avec les milieux divers, qui l'avaient l'un après l'autre accueilli ou sollicité, pour assurer la réalisation d'une vocation dont il prenait chaque jour mieux conscience suffirait déjà à révéler un esprit et un caractère exceptionnellement vigoureux. Non moins la netteté de la conception monastique qu'il va proposer de sa propre initiative et qui se substituera rapidement aux règles alors en usage en Occident.
Si l'on recherche les notes dominantes de cette physionomie morale, on est amené à redire, après saint Grégoire lui même ou d'autres interprètes :
discretio, c'est-à-dire équilibre, sens de la mesure et du possible, pondération; gravitas, avec ce que le mot évoque d'autérité, de calme, de virilité; patientia, qui est libre acceptation de la souffrance, abnégation, petites vertus quotidiennes de fidélité et d'humilité; aequitas dont l'expression n'est pas à chercher seulement dans une Règle qui est un monument de droit, mais dans une vie intérieure attentive aux devoirs envers Dieu; pudor enfin, je veux dire cette réserve dont s'enveloppe une haute vie mystique peu désireuse d'expansion et par là moins attachante que cette d'un François d'Assise, mais peut-être non moins profonde.
Il est vain sans doute de chercher à forcer le secret de la ' montagne " mystique de saint Benoît, au dernier chapitre de la Règle, désigne à son disciple comme le but à atteindre au-delà d'une Règle qui n'est qu'un "tout petit commencement" et qu'il a sans doute gravie lui-même.
Mais puisque le saint disparait derrière son oeuvre comme le soleil dans son halo, il est plus sûr de chercher à marquer quelle révolution spirituelle cette Règle avait apportée.
(à suivre )