Agonie de Jésus (2)
Publié le 7 Avril 2017
Voilà la grande idée chrétienne que je voudrais vous remettre dans l'esprit relativement à la Passion du Sauveur. Cette grande idée est un des grands articles de notre foi. Il faut se l'assimiler profondément.
Je n'ai malheureusement pas la possibilité d'entrer dans le détail des choses. J'aimerais pourtant vous montrer par le menu ce que je viens d'avancer en bloc. Tâchez donc de revoir cela vous-mêmes, ces temps-ci en relisant minutieusement le quadruple récit évangélique, toujours si poignant pour une âme chrétienne et même simplement pour toute âme humaine, en assistant dévotement aux graves offices liturgiques, en repassant avec ferveur les actes du grand drame, surtout le jeudi et le vendredi saint.
Ce drame se déroule comme en trois phases successives, avec une précipitation singulière. Après la sainte Cène, de dix heures du soir à minuit, au jardin de Gethsémani, Jésus entre dans cette mortelle angoisse que les premiers chrétiens n'ont pas craint de nommer une véritable agonie. De minuit à midi, il est trahi, traduit, villipendé, condamné et finalement livré. De midi à trois heures, cloué à la croix, élevé de terre comme il avait dit, Jésus se meurt, Jésus est mort. Donc ce fut vite fait, à peine plus de douze heures, et tout fut consommé. Mais ce furent des heures d'une plénitude insondable. L'ampleur même de la détresse dénonce l'infinité de la Personne en cause. A tout instant, il y a l'homme. A tout instant, il y a le Dieu.
Voyez Jésus dans son agonie.
Il est seul, la nuit, dans un jardin, avec les trois témoins qu'il s'est choisis et qui ne pourront seulement pas veiller une heure avec lui. Les trois qui l'ont vu un jour transfiguré devant eux, ce soir le voient comme anéanti. Cependant, personne encore n'a mis la main sur lui. Il est néanmoins dans des affres indicibles de corps et d'âme. Il ne s'en cache pas. Il ne se raidit pas dans une attitude stoïque. Sa sueur fut comme des globules de sang qui coulaient jusqu'à terre. Toute une partie même de son âme est envahie par la tristesse, par la frayeur et un indicible ennui. Il est bien comme nous, notre Sauveur. Il dit du reste qu'il a besoin de nous. Il n'est pas fier et pas brillant devant la mort. Oh ! que cette agonie est bien humaine, et que nous sommes fondés à dire : Pauvre, pauvre Jésus !
Toutefois, l'impossibilité même où nous sommes de mesurer les profondeurs de l'immensité de cette agonie est un indice de son mystère. Ne vous y trompez pas. Cet homme en agonie est quelqu'un de divinement grand. Il est dans un grand débat avec la divinité. Ce débat même nous dépasse, et nous transporte dans l'infini, jusqu'en Dieu. Ce colloque avec Dieu, ce contact avec Dieu, ce cri jeté vers Dieu, et qui cependant vient s'apaiser en Dieu, tout cela nous révèle qui est Jésus. La solitude même où il est, nous permet de mieux percevoir de quelles proportions il nous domine, et quelle est l'étendue et quel est l'enjeu de son agonie.
L'enjeu, c'est nous. Comme il le disait tout à l'heure à la sainte Cène, il se livre pour la multitude humaine.
Ce qui se joue au prix de son agonie, ce sont nos destinées spirituelles, c'est à proprement parler notre éternité. Voilà certainement pourquoi Jésus se tourmente tant. Il se donne alors des visions atroces. Se voyant et se sentant chef de tout ce grand corps d'êtres humains et de membres pensants, Lui-même pense à tout et à tous. Il s'afflige cruellement de toute l'opposition que nous lui faisons et lui ferons. Il veut nous avoir et nous ne voulons pas. Voilà de quoi il se frappe et se torture. Car il nous aime, ce Christ, formidablement : l'amour même que Dieu nous porte fait battre ce coeur de Christ, jusqu'à l'angoisse d'âme, jusqu'à la sueur de sang.
Ainsi, en ces deux heures d'agonie, en ce point de l'espace et de la nuit, on peut dire que l'éternité divine passe en rafale sur la boule de notre humanité. Il y a dans cette agonie du Christ, quelque chose et quelqu'un en mesure de diviniser toutes nos agonies.