Passion du Christ et Espérance. (1)
Publié le 7 Avril 2017
A la veille de la grande Semaine qui me remet en mémoire la passion et la mort de mon Sauveur, puis-je encore parler d'espérance? Jusque dans cette mort vraiment affreuse, puis-je encore retrouver les traits tout divins de mon espérance.
Oui, sans nul doute, si je considère la façon dont Jésus s'est relevé de cette mort. Mais je voudrais ne considérer que la façon dont Jésus s'est enfoncé et abîmé dans la mort. Me plaçant par la pensée au moment même où se sont déroulés les faits, à l'instant précis où Jésus agonise et meurt, restant là du jeudi soir au vendredi après-midi entre Gethsémani et Golgotha, j'ose dire qu'une telle agonie, une telle passion, une telle mort sont pour nous remplies et saturées d'espérance.
Si je réussis à vous amener à mon point de vue et à vous faire entrer dans ma manière de voir, je puis vous garantir deux choses. D'abord vous pourrez, ces prochaines semaines, relire vos évangiles et repasser les faits de votre salut avec une particulière intensité, comme si tout s'accomplissait encore sous vos yeux et que vous y fussiez mêlés : la Passion de Jésus vous semblera de la plus brûlante actualité. De plus, vous vous conformerez ainsi à la plus haute antiquité chrétienne, car le point de vue que je vous propose est celui même qu'ont adopté les premiers disciples de Jésus: leur attitude est remarquable et ne peut manquer d'inspirer la nôtre.
Ils ont été les témoins ou bien ils ont fait parler les témoins des faits. Ils sont de la génération qui a vu couler le sang du Christ. Assurément, quand Jésus est entré en agonie, ils se sont sentis dépassés; quand il a été arrêté, battu, bafoué, à peu près tous ils l'ont lâché; quand il a été crucifié, ils ne l'ont que de loin regardé mourir. Ce n'est qu'à la lumière de Pâques et au contact de Jésus ressuscité qu'ils ont compris, qu'ils se sont ressaisis et rapprochés. Mais ils l'ont fait alors avec une pénétration ardente et intelligente qui doit devenir la nôtre.
Il faut voir de quelle âme à la fois bouleversée et rassérénée saint Pierre parle de la Passion à ses compatriotes, cinquante jours après les évènements et dans la ville même où ils ont eu lieu :" Ah ! vous avez fait mourir le Prince de la Vie , dit - il... Mais je sais que vous avez agi par ignorance, ainsi que vos chefs... C'est Dieu qui a réalisé de la sorte ce qu'il avait annoncé par tous ses prophètes et ce qu'il avait arrêté dans sa prescience éternelle : Son Christ devait souffrir. "
Son Christ devait souffrir.
Il y avait dans cette fin tragique tout un plan divin. Les premiers chrétiens se replongent dans cette atroce Passion que d'abord ils n'ont pas comprise, qu'ils comprennent maintenant . Ils ne disent pas : odieuse mort. Ils disent : bienheureuse mort. Ils en rassemblent les détails les plus significatifs. Ils en recueillent les plus beaux fruits. Comme on fait après la mort d'un être aimé. Ils y puisent, pour tout dire, la plus divine espérance. Plus haut que l'espérance de la crèche, celle même de la Croix.
Il faut, pour cela , scruter profondément toutes les choses. Car, à les regarder superficiellement , elles sont désespérantes. A première vue, on serait porté à voir dans cette Croix le contraire de l'espérance.
Vous savez bien qu'on ne s'est pas privé de le dire à la face même du Christ en croix, sans pitié pour sa détresse. Les trois Synoptiques ont trouvé bon de relater ces insultes à l'espérance.
Le peuple était là , qui regardait , nous disent-ils. Les passants passaient, en branlant la tête et en disant :" Hé ! toi qui détruis le Temple et le rebâtis en trois jours , que tu as dit, sauve-toi dont toi-même, descends de ta croix et tire-toi de là. " De même poursuit le texte, et ceci est bien plus grave, les grands prêtres aussi se gaussant entre eux avec les scribes et les anciens disaient :" Il a sauvé les autres, et ne peut seulement pas se sauver lui-même. Il a mis sa confiance en Dieu; que Dieu le sauve donc maintenant s'il tient à lui, lui qui s'est dit le Christ, l'Elu de Dieu, le Fils de Dieu." Les soldats mêmes qui le gardaient se jouèrent de lui :" Si tu es le roi des Juifs, allons, sauve-toi toi-même! " Jusqu'à l'un des malfaiteurs qui étaient en croix à côté de Jésus l'insultait :" Sauve-toi toi-même et nous aussi . "
De telles insultes étaient pour Jésus une sorte de raffinement dans le malheur. Elles lui lançaient au visage ce qui pouvait le plus l'atteindre au coeur, à savoir: qu'on ne peut pas compter sur lui. En apparence , les faits leur donnaient raison. Rien n'était plus pitoyable que cette mort. Aussi les disciples eux-mêmes désespéraient de leur Maître. Témoin ces deux qui s'en retournèrent chez eux le soir de Pâques, on peut dire désespérés :' Ce Jésus de Nazareth, disent-ils, c'était pourtant un prophète puissant en oeuvres et en paroles, devant Dieu comme devant tout le peuple. Nos magistrats l'ont livré pour être condamné à mort. On l'a crucifé ...Pour nous, nous avions pourtant l'espoir que ce serait lui qui délivrerait Israël... Et puis, voilà que tout se termine à rien... "
En vérité, Jésus lui-même l'avait bien prédit :" Tous vous serez démoralisés à mon sujet. Car il est écrit : Je frapperai le pasteur et les brebis seront dispersées. "
C'est bien certain, Seigneur. Et, si j'avais été là au moment, j'aurais fait comme ils ont fait. C'est pourquoi, après coup, je voudrais bien comprendre tout ce que vous avez enfermé d'espérance surhumaine et divine dans votre adorable Passion.
Ecoutez ici, avec beaucoup d'attention , le principe de discernement et d'interprétation que je vous propose. Je le crois capital. Pour saisir à fond toute l'espérance qui doit être exprimée de la Passion du Christ, il faut considérer deux aspects à la fois.
Il y a dans cette Passion quelque chose d'extrêmement humain.
Pilate disait bien plus vrai qu'il ne pouvait penser quand, présentant à la foule ameutée ce pauvre Christ flagellé, couronné d'épines, il leur criait : " Voilà l'homme !"
Oui, voilà l'Homme par excellence, dans la détresse la plus humaine qui se puisse voir. De tous les côtés à la fois, sa mort est empreinte d'humanité. Ce Christ meurt comme nous. Ce Christ meurt par nous. Ce Christ meurt pour nous.
Mais, en même temps, tous les actes de ce drame, l'un des plus inouïs de l'histoire humaine, sont rehaussés, comme dit saint Paul, d'un esprit d'éternité; tout se passe selon la puissance d'une vie impérissable.
" Ma vie, disait Jésus, personne ne me l'enlève, mais de moi-même , je l'offre. j'ai le pouvoir de l'offrir et le pouvoir de la reprendre."
Le fait est qu'il y a dans ce gisant de Gethsémani, dans ce bafoué du prétoire, dans ce moribond du Calvaire, une personnalité surhumaine. C'est elle qui mène tout, c'est elle qui assume tout. Au moment où tout semble crouler au plus bas, Jésus a une façon de poser son Moi, qui relève et sublime tout. Cette Passion si abîmée dans l'humanité, elle flamboie de traits divins, elle est proprement imbibée par la divinité.
Or, c'est ce rapprochement, voyez-vous qui fait tout le mystère.
Ce sont ces deux éléments si bien pris l'un dans l'autre, ce côté humain de la Passion rehaussé à tout moment d'un côté divin, dans l'étreinte d'une Personnalité unique qui est celle même du Fils de Dieu fait homme, c'est cela, dis-je, qui donne à ce grand acte sa réalité prodigieuse, sa valeur infinie.
C'est cela qui fait que la croix du Christ est notre éternelle espérance.
Le Christ se présente à nous dans cette Passion épouvantable comme quelqu'un qui est absolument sûr de ce qu'il fait. Dans toute la force du terme, il est véritablement le Sauveur, le Sauveteur, le Rédempteur, qui se précipite en personne au plus bas fond de la misère humaine pour étendre et porter jusque-là le secours tout puissant et invincible de la divine miséricorde.
O Jésus , Jésus, je comprends que vous ayez fait de votre mort le point culminant de votre vie et le grand acte de votre mission au milieu de nous . Nulle part vous n'êtes vous-mêmes plus que là. Nulle part je ne vous vois plus près de moi. Nulle part je ne vous vois plus Dieu, plus Fils du Père et plus en possession de l'Esprit . C'est prodigieusement rassurant pour moi . O Personnalité divine de mon Sauveur, par cette mort à laquelle vous vous livrez , en réalité vous me possédez , vous me vivifiez . Vous me pardonnez tout le mal que je peux vous faire . Vous me donnez tout le bien que vous voulez me faire. O adorable Passion ! O bienheureuse mort !