"Crucior in hac flamma . " Je suis crucifié dans cette flamme.

Publié le 27 Juin 2017

  

   

   Il y a un mot dans l'Evangile qui est à la fois terrible et grandiose lorsque le mauvais riche, enseveli au fond des enfers, sepultus est in inferno, dit au Père Abraham :" crucior in hac flamma, je suis crucifié dans cette flamme" . 

   Remarquez ce mot: crucior. Il vient du mot crux : il s'agit donc d'une sorte de crucifixion, (rappelez-vous le mot de saint Paul :" je suis crucifié au monde. ")

Le mauvais riche au fond de l'enfer est pour ainsi dire " crucifié au monde du ciel" : ce monde de la béatitude et de la paix lui est inaccessible, il est fermé pour lui.

Je ne veux pas vous parler de l'enfer, j'espère bien qu'il n'en saurait être question pour vous : si j'y fais allusion c'est pour en tirer une analogie étrange, mais qui m'a frappé. Cette idée de crucifixion atroce de l'enfer, vous la trouvez exprimée dans la DIVINE COMEDIE .  Dante, parcourant ces sombres demeures, aperçoit Caïphe crucifié à terre par trois pieux et enveloppé de flammes: " Ch'a gli occhi mi corse - Un Crocifisso in terra con tre pali.  En ce moment s'offrait à mes yeux un damné, gisant par terre et que trois pals tenaient en croix" .

Voyez-vous cette crucifixion dans les flammes, crucior in hac flamma, et ce feu est en même temps de la glace parce que les damnés n'aiment pas; Satan au plus bas de l'enfer est entièrement enfoncé dans la glace.

Admirable image de Dante qui n'est que le commentaire de la parole de sainte Thérèse à propos du démon :" Le malheureux, il n'aime pas ! " Les flammes qui le torturent sont des flammes de glace, si l'on peut imposer une telle violence à nos mots et à nos images, son feu est un feu glacial.

   A l'autre pôle du monde il y a le Coeur Sacré de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Infiniment loin de ce que nous venons de dire, au sommet des régions de l'au-delà , ce coeur divin nous apparait lui aussi enveloppé de flammes. Les statues qui le représentent sont souvent bien peu artistiques.  Dans la plus modeste de ces images, pourtant, vous retrouverez toujours ce symbole mystérieux: un coeur entouré d'une couronne d'épines comme la ligne de l'équateur entoure notre globe, puis les deux pôles marqués par le sang et les flammes : en bas le sang, les larmes de sang qui coulent goutte à goutte , et en haut la flamme . Oui, encore la flamme, crucior in hac flamma...

Voyez ce que sont ces paroles de la sainte Ecriture. Il faut oser s'en servir avec l'audace des enfants qui touchent à tout: cela leur est permis parce qu'ils le font avec beaucoup de respect et beaucoup d'amour.

   " Seigneur Jésus, ces paroles nous osons les appliquer à vous-mêmes. Vous nous dites, Seigneur, en nous montrant ce coeur adorable :" crucior in hac flamma, je suis crucifié dans cette flamme " ( Quelle crucifixion que celle-là !) Il y a la croix de bois, et il y a la croix de flammes : la croix de bois,  j'y ai été suspendu et torturé pendant quelques heures, mais la croix de flammes ! ... elle a duré toujours. Dès le premier instant de mon existence, ingrediens mundum, il y avait cette flamme au milieu de mon coeur legem tuam in medio cordis mei. Père votre volonté est au milieu de mon coeur et elle y est enveloppée de flammes. Cette loi, cette volonté qui sont au milieu de mon coeur, comme la grande blessure elle-même."

   Tout cela , c'est toujours uniquement de l'amour, donc de la flamme. Vous pouvez aussi bien dire: le coeur est dans la flamme ou la flamme est dans le coeur. Cette " blessure est si douce qu'on n'en voudrait jamais guérir" , sainte Thérèse l'a dit en parlant d'elle-meme et c'est encore infiniment plus vrai quand il s'agit de Notre-Seigneur.  Ce crucior in hac flamma, il me semble que Jésus le répète toujours jusqu'au sein de cette gloire inouïe qui l'enveloppe désormais. Bien que Jésus ne puis plus souffrir, que l'hiver et la tempête des douleurs soient passés pour lui, jam hiems transiit; et aient fait place à la plénitude du printemps éternel, cependant là - même se retrouvent encore quelque chose de ces flammes merveilleuses et terribles, de ce buisson ardent qui brûle toujours sans se consumer jamais.  C'est comme une sorte de gémissement qui n'est tout à fait lui-même que grâce à l'écho qu'il trouve sur notre pauvre terre.  Ce quelque chose qui nous arrive comme si c'était un peu un gémissement et une plainte,  il le répète à tous ceux qui veulent bien l'écouter. C'est comme la voix de la colombe que l'on ne  peut entendre que dans notre terre, dans ce pays de la souffrance qui est le nôtre , vox turturis audita est in terra nostra mais même alors il reste très caché à toute créature, mais pas au Père qui voit et entend dans le secret. Gemitus meus a te non est absconditus.

Le privilège des âmes d'oraison qui savent être très fidèles, c'est que ce gémissement est malgré tout moins caché pour elles que pour les autres.  Ce n'est pas la chair et le sang qui peuvent révéler ces choses, mais le Père qui est dans les cieux, le seul qui les voit parfaitement. Beatus es quia caro et sanguis non revelavit tibi, sed Pater meus qui in caelis est . Dans une humble, mais merveilleuse mesure, elles sont révélées aussi un peu aux tout petits, revelasti ea parvulis, qui dans le degré de leur intimité par la divine charité ne font qu'un avec le Très-Haut et le Très-Grand.

Voilà ces mystères d'amour que je livre à vos méditations. A nous donc de comprendre de mieux en mieux les paroles de l'Epoux de Sang, d'entrer de plus en plus dans ses divins secrets.

Crucior in hac flamma !

Les chères âmes du purgatoire (1) pourraient le dire aussi, car elles connaissent bien cette flamme qui, pour elles, est sans doute flamme de justice, mais encore plus et surtout flamme d'amour. Et nous, nous sommes aussi entre la justice et l'amour. Nos souffrances ont tantôt le caractère de punition et tantôt le caractère de pur amour.

(1) une opinion très probable enseigne que ces âmes ne se purifient plus : elles satisfont, elles paient une dette simplement. Pourquoi cela ? Parce que se purifier n'a, au fond, de sens que pour un esprit uni à la matière. Un pur esprit, comme le mot même l'indique, n'a plus à se purifier, il ne peut faire que des actes tout à fait définitifs dans le bien, comme d'ailleurs le damné dans le mal. Ainsi l'âme sauvée, une fois dégagée du corps, dans son premier instant à l'état d'esprit pur ne peut faire qu'un seul acte et c'est un acte de charité tellement intense, tellement ardent qu'elle se purifie immédiatement et à fond. Désormais, elle peut se donner , et elle se donne totalement et sans retour.  Nous disons " les saintes âmes du purgatoire". Voilà pourquoi elles sont saintes: le seul obstacle qui nous empêche de nous donner tout  entier, au fond c'est la matière: elles en sont affranchies.

 

Tâchons de leur donner de plus en plus ce dernier caractère en allumant toujours davantage dans nos coeurs le feu de la divine charité et nous pourrons dire à notre tour :" crucior in hac flamma,  toutes les fois que je suis crucifié, c'est dans cette flamme. J'accepte d'être crucifié à condition que ce soit dans celle flamme-là , in hac flamma : à condition que mes souffrances soient complètement enveloppées par cette flamme , fondues dans cette flamme, que rien de ces souffrances ne reste en dehors de cette flamme, ce serait alors trop dur et impossible à supporter, je me livre, je m'abandonne, faites de moi, Seigneur, tout ce que vous voudrez !

Voilà ce mot, ce mot mystérieux qui est clamé au fond de l'enfer par les réprouvés et qui est murmuré au plus haut des cieux par le coeur adorable de Notre- Seigneur Jésus- Christ. 

" Crucior in hac flamma ."

 

RP Dehau  op +

Rédigé par R.P. Dehau OP +

Publié dans #spiritualité

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