"Allez à ma vigne ."
Publié le 27 Janvier 2018
Simile est regnum caelorum
Voici ce que dit l'Evangile d'aujourd'hui: Le royaume des Cieux est semblable à un homme, à un maître de maison qui sortit afin de louer des ouvriers pour sa vigne. Il sortit de bonne heure, à la première heure, à la troisième , à la sixième, et il les engagea pour un denier par jour. Comme le soir tombait, il trouva encore des gens oisifs et il leur dit : Pourquoi vous tenez-vous ici oisifs toute la journée ? Vous aussi, allez à ma vigne et ce qui est juste, je vous le donnerai .
Ce maître de maison , c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ; sa maison, c'est le ciel et la terre, le purgatoire et l'enfer. Il vit que toute la nature s'était désorientée, que sa tout aimable vigne était improductive et que la nature humaine faite pour posséder cette vigne précieuse s'était égarée et laissait en jachère la tout aimable vigne. Le Seigneur voulut ramener de nouveau l'homme à la vigne pour laquelle il l'avait créé et il sortit de bon matin.
En un sens, notre tout aimable Seigneur est sorti de bonne heure, parce que de toute éternité il sort en naissant du coeur de son Père, tout en y demeurant. En un autre sens, , notre aimable Seigneur Jésus-Christ est sorti de bonne heure en revêtant la nature humaine pour nous prendre à gages et nous ramener au travail de sa vigne; et il a engagé des gens à la première heure, à la troisième, à la sixième et à la neuvième . Le soir le maître de maison étant sorti de nouveau, trouva encore des hommes , et ces hommes étaient oisifs. Il les interpella avec sévérité et leur demanda pourquoi ils étaient demeurés là sans rien faire toute la journée, et ils répondirent : Parce que personne n'est venu nous embaucher .
Ces gens sont ceux qui sont demeurés dans leur pureté et leur innocence naturelles, et c'est pour eux un grand bonheur . Dieu a vu qu'ils n'avaient pas encore été engagés au service du monde ou des créatures ou que, si d'aventure ils avaient été pris à gages par eux, ils étaient maintenant libres, affranchis et sans engagement.
Mais ces gens sont oisifs, c'est-à-dire sans amour et sans grâce, car l'homme n'a pas l'amour de Dieu et qui vit encore selon la nature aurait beau faire, si c'était possible, toutes les bonnes oeuvres que le monde a jamais faites, il n'en serait pas moins complètement oisif, occupé à une oeuvre vaine qui ne servirait absolument de rien . La sortie matinale signifie l'envoi de la grâce, car l'aurore est la fin de la nuit; l'obscurité s'en va et le jour de la grâce se lève.
Le Maître de maison dit :" Pourquoi restez-vous à ne rien faire ? Allez à ma vigne, et ce qui est juste, je vous le donnerai.
Ces hommes s'en vont travailler de diverses façons . Voici d'abord les commençants. Ils vont à la vigne par un travail extérieur, par des pratiques sensibles, d'après leurs propres desseins, et ils piétinent sur place, tout en faisant de grandes oeuvres, telles que jeûnes et veilles; et ils prient beaucoup, mais sans donner attention au fond de leur âme. Ils s'arrêtent aux satisfactions de la sensibilité, aux faveurs ou défaveurs (de leur entourage); de là vient qu'ils jugent à tort et à travers et qu'il y a en eux de nombreux défauts: orgueil, irritabilité, amertume, volonté propre, humeur revêche et maintes autres inclinations de même genre.
D'autres ont dédaigné les satisfactions sensibles; ils ont surmonté de gros défauts et se sont appliqués à des pratiques d'un degré plus élevé. Ils s'adonnent à des exercices spirituels et y trouvent un tel plaisir et de telles délices qu'ils n'atteignent pas la vérité la plus intime .
Mais voici une troisième classe d'ouvriers: ce sont ces aimables hommes qui s'élèvent au-dessus de toutes choses et s'en vont à la vigne noblement et comme il convient. Ces hommes , en effet, n'ont de pensée et d'amour que pour Dieu même et pour lui seul; ils ne considèrent ni plaisir, ni profit, ni aucune autre chose, rient de ce qui peut nous venir de Dieu; mais ils se plongent intérieurement en Dieu , sans plus, et ils ne cherchent plus que sa gloire et son honneur; ils ne désirent qu'une chose, c'est que son éternelle et bien-aimée volonté s'accomplisse en eux et en toute créature. C'est ainsi qu'ils accomplissent tout et ne s'attachent à rien, - ils acceptent n'importe quelle souffrance et n'importe quel renoncement - recevant de Dieu et lui apportant en absolue simplicité tout ce qu'ils en ont reçu, ne s'attachant en rien à eux-mêmes . Ils se comportent absolument comme une eau qui s'écoule et puis retourne à sa source, comme la mer qui se répand et puis revient toujours à son point de départ. C'est bien l'image de ces hommes. Tous leurs dons, ils les rapportent au fond d'où proviennent ces dons et ainsi y retournent eux-mêmes. Car s'ils rapportent tout ce qui leur a été donné et ne sont retenus par rien, ni par le plaisir, ni par le profit, ni par ceci, ni comme cela , c'est nécessairement en Dieu qu'intérieurement ils se reposeront.
Ah, mes enfants, ceux qui rapportent ainsi complètement à Dieu ses dons corporels et spirituels, voilà les seuls capables et dignes de recevoir, en tout temps, plus de grâces encore. Ces gens seraient dignes de se nourrir de perles d'or, de tout ce que le monde possède de meilleur. Mais c'est qu'il y a maint homme noble et pauvre qui n'a rien de cela. Qu'il s'en remette à la force toute-puissante de Dieu et se confie en elle: elle lui viendra en aide.
Mes enfants, mes enfants, mes enfants, il en est de ces hommes comme du bois de la vigne. Extérieurement il est noir, sec et de bien peu de valeur. A qui ne le connaîtrait pas, il semblerait n'être bon qu'à être jeté au feu et brûlé. Mais au-dedans , au coeur de ce cep, sont cachés les veines pleines de vie et la noble force qui produit le fruit le plus précieux et le plus doux que bois et arbre aient jamais porté.
Ainsi en est-il de ces gens, les plus aimables de tous qui sont abîmés en Dieu. A l'extérieur, en apparence, ils sont comme des gens qui dépérissent, ils ressemblent au bois noir et sec, car ils sont humbles et petits au dehors. Ce ne sont pas des gens à grandes phrases, à grandes oeuvres et à grandes pratiques; ils sont en apparence et, à ce qu'ils pensent, ne brillent en rien. Mais celui qui connaîtrait la veine pleine de vie qui est dans ce fond où ils renoncent à ce qu'ils sont par leur nature propre, où Dieu est leur partage et leur soutien, ah! - aux armes ! - quelles délices leur procurerait cette connaissance !
Tauler .