le péché originel (3)
Publié le 7 Février 2018

De l'Ancien Testament, saint Thomas retient les deux textes qui sont devenus tout à fait traditionnels, mais plus peut-être par le sens qu l'Eglise y a attaché, surtout en les citant dans la Vulgate, que par celui même qu'ils ont littéralement dans l'Ecriture.
Il est dit dans le psaume Miserere :" J'ai été conçu dans l'iniquité." Et, au livre de Job :" Qui peut rendre pur ce qui a été conçu d'une semence impure? " Evidemment de telles paroles sont pour nous très significatives lorsque nous les lisons et que d'instinct nous les comprenons à la lumière actuelle de la révélation. Mais furent-elles aussi parlantes aux fidèles d'avant le Christ ? Il ne le semble pas.
Que pensait , en effet, l'ancienne vraie Eglise au sujet de la faute originelle? Elle savait d'une manière précise que le premier homme avait péché, et d'une manière déjà moins précise, qu'en péchant ainsi, il avait nui gravement non seulement à lui--même mais à tous les siens. Mais elle ne parait pas avoir soupçonné que le péché d'Adam se fût transmis ni même qu'il pût se transmettre aux générations successives, non seulement par les peines qu'il entraîne mais comme une véritable faute.
Or , c'est pourtant tout l'essentiel: nous n'avons pas qu'à supporter la peine de la première faute, nous avons formellement part à cette faute. Autrement dit, le genre humain n'est pas seulement puni pour la faute de son chef, il est tout entier coupable avec lui. Et cela, ni les écrits inspirés de l'Ancien Testament ni les écrits théologiques des Juifs ne semblent le dire. Ainsi que saint Thomas le fait observer, le livre de la Sagesse nous éloigne plutôt de l'affirmation de cette vérité lorsqu'il dit que " la mort est venue dans le monde par l'envie du diable " , et de même l'Ecclésiastique lorsqu'il juge bon de rappeler que ' le péché a commencé par une femme " . Tout ceci est parfaitement vrai, mais il s'agit d'autre chose.
Assurément l'on possédait le grand texte de la Genèse, portant sentence de condamnation à mort sur l'humanité tout entière. Sentence souverainement révélatrice , qui mérite d'être alléguée en premier lieu , nous déclare saint Thomas, et de laquelle il déduit effectivement une preuve décisive de la faute originelle.
Il est manifeste, par le récit de la Genèse, que la mort n'est pas d'institution divine. Elle est décrétée comme un châtiment: donc pour punir une faute . Cette faute n'est pas le péché actuel puisque même ceux qui ne sont ni coupables ni capables de ce péché ont cependant la peine de mourir. Il y a donc un autre péché que le péché actuel et personnel, un péché qui est inhérent à la nature et que chaque individu y contracte en naissant. C'est à cause de ce péché que nous sommes condamnés à mourir. Cette déduction est rigoureusement juste . Mais pour la tirer des paroles et des faits de la Genèse avec autant de force et d'assurance que le fait notre théologie, il eût fallu aux croyants de l'ancienne Loi une lumière, qui bien probablement, ne leur était pas accordée.
Il est donc vraisemblable que le dogme du péché originel n'a pas fait partie de la révélation ancienne, à moins d'admettre que la Providence ait permis qu'après avoir été inscrit dans la révélation primitive, il se soit effacé au cours des temps. Volontiers même on serait tenté de voir en cette divine réticence, relativement au mystère le plus lourd des origines humaines, un signe délicat de la miséricorde de Dieu.
C'est une idée chère à Pascal et, selon lui, une marque de la vraie religion:
Dieu aurait toujours eu soin de proportionner la connaissance des maux qui nous perdent à celle des remèdes qui nous sauvent, et l'humanité n'aurait bien connu tout le mal que lui a fait son premier père qu'après avoir éprouvé tout le bien que lui fait son rédempteur. Cependant il y aurait sans doute quelque excès à croire que cette même Providence ne se fût pas souciée de préparer les humains à la connaissance d'une vérité les intéressant si profondément.
On peut donc penser que cette intention providentielle se faisait déjà jour dans les données scripturaires que nous avons rapportées . De sorte qu'il est permis de dire que tous ces textes ont réellement une certaine référence au péché originel. C'est cette référence qu'a accentuée la Vulgate et qu'a finalement saisie saint Thomas.
Même dans le Nouveau Testament, on dirait que la pleine lumière ne s'est pas faite tout d'un coup. Notre-Seigneur a ménagé ses vérités. Il ne semble pas voir révélé la déchéance morale et spirituelle de notre nature autrement que d'une manière implicite, en promulguant la nécessité , pour tous sans exception, de la pénitence et d'une véritable renaissance.
" Jésus commence à dire : Faites pénitence, car le règne des Cieux est proche ." Et au docteur d'Israël il fait cette profonde déclaration : " En vérité, en vérité, je te le dis, nul, s'il ne naît d'en-haut, en peut voir le royaume de Dieu... Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui né de l'esprit est esprit. Ne t'étonne pas si je t'ai dit :" Il vous faut naître d'en haut ..."
Le divin Maître, infiniment discret et miséricordieux, insinue et suggère plus qu'il n'insiste et n'explique , comme s'il craignait de nous accabler par une trop vive révélation de notre misère. C'est pourquoi on est tenté de se demander si le dogme du péché originel a été clairement connu dans l'Eglise chrétienne avant que l'Apôtre y ait insisté, lui , en termes si poignants.
Admirable économie des divines révélations ! Le même à qui il était donné de nous faire connaître " l'insondable richesse " du Christ est aussi celui à qui il aurait été réservé de dénoncer toute la profondeur de notre détresse en Adam. Détail plus émouvant encore, la grandeur de notre condamnation et notre culpabilité dans le premier homme sert à mesurer celle de notre justification en Jésus-Christ.
Pour l'Apôtre , le péché du premier homme c'est le péché par antonomase, on peut dire le péché tout court.
Un pécheur unique, un péché unique, et toute l'humanité englobée comme un seul homme en cet unique péché, voilà sans contredit , la grandiose et tragique vision qui frappe l'esprit de saint Paul.
Il voit dans le cours implacable de la mort la plus formidable attestation du règne du péché et de la pérennité de sa transmission. Là est à ses yeux le signe certain que tous ont péché, que tous sont en faute. Le texte dit littéralement ceci :" Tous meurent parce que tous ont péché." Ou peut-être ceci :" Ils meurent tous, eux qui tous ont péché. " La Vulgate a renchéri sur le sens littéral , en traduisant ainsi :" La mort les a frappés tous (dans celui ) en qui tous ont péché ." Mais cette version ne fait que rendre explicite ce qu'il faut bien qu'il y ait implicitement dans la pensée même de l'Apôtre . Car, si l'on veut qu'il soit dit que tous les hommes ont encouru la sentence et mérité la mort pour cette raison que réellement tous ont péché, il faut qu'il soit vrai et sous - entendu que réellement tous ont existé en quelque sorte dans celui qui a péché. Adam est ainsi le pécheur unique et toute la postérité participe de lui, c'est-à-dire de son péché comme de sa nature.
Mais voici qui est plus étonnant encore . " Adam est la figure de l'autre qui devait venir . " Adam figure et prototype de Jésus-Christ ! L'ancien et le nouveau s'expliquant l'un par l'autre et dans cette comparaison, le second l'emportant magnifiquement sur le premier ! Il ne se peut rien concevoir de plus impressionnant que ce parallèle dont nous sommes en vérité, trop déshabitués.
Universelle, la grâce l'est autant que le péché. " Abondante " , elle l'est bien davantage. Qu'avons-nous en effet ? D'un côté, la faute d'un seul , qui va se perpétuant, se multipliant , et aussi (par les péchés actuels ), s'aggravant, à l'infini, pour n'aboutir qu'à la mort. De l'autre, ce don généreux d'un seul aussi, du seul Jésus-Christ, don venant après une faute si tristement multipliée pour aboutir par la justification au triomphe et au règne de la vie.
- Sur cette réconfortante considération, la pensée de l'Apôtre s'exalte encore. Reprenant et résumant ce qui a été dit, elle s'épanouit dans cette opposition émouvante et lumineuse :" De même que par la désobéissance d'un seul homme la multitude s'est trouvée pécheresse, par la (merveilleuse) obéissance d'un seul la voilà juste.
Il y a encore une autre parole de l'Apôtre que saint Thomas cite avec une véritable complaisance, mais non point tant, celle-ci, au principe qu'au dénouement de sa spéculation. " Ce péché, conclut-il, on peut donc bien l'appeler le péché de la nature puisqu'il est écrit dans l'épître aux Ephésiens: "Nous êtions par nature fils de colère " . Le mot est plein d'à-propos. Sans doute le péché originel n'est pas directement visé dans ce passage. Il est question de " ceux qui vivent dans les convoitises de leur chair et qui accomplissent les volontés de leur chair et de leur coeur . "
C'est cela qui fait encourir la colère de Dieu; or, cela est évidement le péché actuel . Mais certainement , lorsque l'Apôtre ajoute que nous sommes ainsi par "nature" il a indirectement en vue, à la source même du péché actuel et des inclinations perverses qui en sont cause, ce mauvais fond de nature qui n'est pas autre chose que le péché originel.
Le texte revient à dire que nous tous, qui que nous soyons, nous sommes ou êtions pécheurs par nature, et que nous avons ou avions, pour ainsi parler , le péché dans le sang, tandis que, si nous sommes sauvés, c'est uniquement par grâce.
la foi catholique
1° Adam a perdu la sainteté et la justice de son premier état. Il est déchu dans toute sa personne, corps et âme .
2° Il est déchu aussi dans toute sa postérité. Avec lui et en lui tout le genre humain est tombé, ayant part non seulement à la peine mais à la faute du premier père . Car il est vrai que tous les hommes ont péché en Adam.
3° Ce péché unique dans sa source, transfusé en tous par contagion et non par imitation, se retrouve en propre dans chacun. Il n'a d'autre remède que le mérite de l'unique médiateur Jésus-Christ, mérite que le baptême applique aux adultes comme aux enfants.
4° Ce péché originel ,tous les enfants le contractent même ceux qui naissent de parents chrétiens. C'est pour cela que le baptême leur est administré.
5° La grâce de Jésus-Christ conférée dans le baptême, remet réellement le reatus de ce péché et efface tout ce qui est vraiment et proprement péché en lui. Par conséquent, le foyer de concupiscence qui subsiste même chez les baptisés ne doit pas être pris pour le péché originel .
Ainsi, dit Pascal , cette religion apprend aux justes, qu'elle élève jusqu'à la participation de la divinité même, qu'en ce sublime état ils portent encore la source de toute la corruption qui les rend durant toute la vie sujets à l'erreur , à la misère, à la mort, au péché; et elle crie aux plus impies qu'ils sont capables de la grâce de leur Rédempteur.
rp Bernard op +