lectio divina . Saint Jérémie , priez pour nous.
Publié le 30 Mars 2018
Jérémie a commencé son ministère la treizième année de Josias (627/26) et il est vraisemblable de le supposer âgé à ce moment d'environ trente ans - c'est l'âge où un homme est capable de faire figure dans la vie publique - , il a dû naître vers 657, donc en plein règne de Manassé, c'est-à-dire au moment où l'invasion des cultes assyriens, cultes de Tammouz et de la Reine des Cieux, pratiqués officiellement par les rois de Juda en même temps que celui de Jahvé, donna naissance à un syncrétisme religieux menaçant pour la pureté du monothéisme israélite.
L'adolescent d'Anathot grandissait dans l'obscurité de son village. Déjà ses hérédités et sa culture le prédestinaient à se ranger du côté des zélateurs de Jahvé. Mais plus encore, dans ses analyses morales et ses confidences, sa nature se révèle extrêmement fine et délicate. Toutes les pages de son livre témoignent du supplice intolérable que fut pour cet émotif exaspéré le spectacle de l'apostasie et de la corruption générales. Et pourtant, malgré l'intensité du sentiment religieux qui vibre en son coeur, il semble bien que sans l'appel impérieux et irrésistible qui l'arracha soudain à sa solitude rustique, Jérémie ne fût jamais intervenu dans la vie publique parmi les champions de la foi en péril.
Il en a éprouvé une tristesse profonde et communicative dont l'expression donne à son message sa tonalité si mélancolique.
Ah ! s'écrie - t-il un jour , dans un accès de désespoir.
qui me donnera au désert un refuge,
que j'abandonne mon peuple
et que je me retire d'avec eux;
car ils sont tous des adultères,
c'est une assemblée d'infidèles.
Qui fera de ma tête une source de pleurs
de mes yeux une fontaine de larmes?
Je pleurerai et le jour et la nuit
sur les blessures de mon peuple !
Voilà bien le cri spontané de son coeur d'homme incapable de prendre, en face du déluge de corruption, une autre attitude que celle du spectateur attristé et impuissant, que meurtrit le contact avec la perversité des siens, qui ne rêve que d'en pleurer tout seul dans la solitude et d'en mourir de chagrin, comme une bête blessée à mort. Il est bien trop sensible à la moquerie et aux persécutions pour aller spontanément au-devant d'elles. Vraiment non! il ne semble pas fait pour la gloire héroïque des prophètes. Ce à quoi il aspire, ce sont les humbles joies de la vie domestique où le bruit monotone de la meule bercerait sa rêverie mélancolique, c'est la vie des paysans et des pasteurs se déroulant au grand soleil dans les champs et les vignes, et les fêtes de village avec leurs dans au son des tambourins, et la joie des fiançailles et du mariage et des soirées de famille se déroulant à la lueur de la petite lampe qu'il aime à contempler de loin, le soir, au sommet de la colline, et dont la flamme symbolise pour lui cette vie paisible et douce que vont éteindre bientôt les catastrophes imminentes... !
Or, c'est sur un tel homme , errant un jour dans les ouadis de sa campagne, que tombe, foudroyant, l'appel divin à l'action et à la lutte.
Avant de te former dans le sein de ta mère,
je t'ai connu!
et avant que tu sortisses de ses flancs
je t'ai consacré
et je t'ai établi prophète pour les nations ! ...
Ah! Seigneur Jahvé,
s'écrie - t- il affolé.
je ne sais point parler, je ne suis qu'un enfant !
Oh ! comme il dit vrai! Oui, toute sa vie, jusqu'à son extrême vieillesse, il ne sera qu'un pauvre enfant malheureux, abandonné, persécuté ! A quoi pensait-il donc au moment où la main de Jahvé le saisit? .. . Mais peut-être à ce retard inexplicable du jugement de Dieu sans cesse annoncé par les prophètes et qui n'arrivait toujours pas! et aux railleries blasphématoires que ces délais provoquaient chez les sceptiques et les impies. Et peut-être lui-même, gagné par la contagion générale commençait-il à douter!
Alors le Seigneur , " qui sonde les coeurs et les reins " et devant qui tout est à découvert, allant au-devant de son angoisse intime, lui parle encore :
- Que vois-tu , Jérémie?
- Je vois une branche d'amandier.
répond-il . L'amandier , en hébreu, c'est " le vigilant ", c'est-à-dire l'arbre dont la floraison précoce annonce au printemps le réveil de la nature.
- Tu as bien vu.
dit Jahvé, utilisant le symbolisme contenu dans le mot hébreu.
car je veille sur ma parole pour l'accomplir.
De quelle parole s'agit-il? ... Voici! Une seconde fois Dieu demande au jeune homme :
- Que vois-tu ?
Et Jérémie de répondre :
- Je vois une chaudière bouillante; elle parait venir du côté du Nord.
- du Nord.
explique Jahvé,
le malheur s'épand à flots bouillants
sur tous les habitants du pays.
Une fois encore , c'est l'annonce du jugement. Et Jérémie songe aux grands mouvements de peuples précurseurs de la ruine assyrienne, et toute sa vie désormais son imagination sera hantée par ces mystérieux " ennemis du Nord " , exécuteurs des jugements divins sur Israël et sur les nations.
...
" Ils ne connaissent pas Jahvé! ", dit-il avec tristesse de ses compatriotes. Cela semble un paradoxe. Comment ce peuple qui multiplie les offrandes et les sacrifices ne connaît pas Jahvé qu'il ne cesse d'invoquer comme son Dieu national, celui à qui il doit son existence et qu'il adore sur toute colline et sous tout arbre vert? Eh bien ! non ! il ne le connaît pas ! parce que par sa foi et par son culte frelatés il l'a ravalé au niveau d'un baal quelconque parmi les baals, parce qu'il n'a pas compris que Jahvé, non seulement est un, mais qu'il est unique, étant seul infinie justice et absolue sainteté morale, se reflétant dans l'âme humaine par la voix de la conscience, et que le seul hommage digne de lui est l'obéissance inconditionnée à sa volonté , et la prière !
Mais si le contact avec la nature docile aux lois du Créateur le comble de joie et d'admiration, il en est bien autrement, hélas ! de son expérience de la vie humaine. Dans cette atmosphère asphyxiée par le relent des fêtes orgiastiques, une âme aussi profondément religieuse ne pouvait qu'étouffer. Les dieux de Juda " sont aussi nombreux que ses villes et aussi nombreux les autels de Baal, que les rues de Jérusalem" . Au lieu de mettre sa confiance en Jahvé, Israël recherche les décevantes et dangereuses alliances étrangères. Il se met sur la route d'Egypte pour boire l'eau du Nil et sur la route d'Assour pour boire l'eau du fleuve.
Ils m'ont abandonné,
dit le Seigneur.
moi, la source d'eau vive,
pour creuser des citernes fissurées
qui ne gardent pas l'eau . !
Cette ingratitude criminelle le plonge dans la stupeur. N'est-ce donc pas Jahvé qui les a fait monter de la terre d'Egypte et dirigés dans le désert, pour les mener en un paradis et en manger les fruits exquis?
Spectacle inouï dans l'histoire d'une telle apostasie !
Est-ce qu'un peuple a changé ses dieux?
pourtant ce ne sont pas des dieux!
Et mon peuple a changé sa gloire,
Contre le néant !
Dans son aveuglement incurable, ce peuple ne voit pas que ce sont ses crimes qui lui attirent sans cesse de nouveaux châtiments.
Ce sont tes crimes qui te punissent
tes infidélités qui te châtient
Apprends et vois combien il est amer
d'abandonner Jahvé ton Dieu .
Chose plus grave, à cette infidélité s'ajoutent l'inconscience, la dissimulation, l'hypocrisie .
Et tu dis pourtant: Je suis innocente;
oui, son courroux s'est détourné de moi!
Eh bien ! je vais faire ton procès
puisque tu dis: je n'ai pas péché.
Comment dis-tu :" Je ne suis pas souillée,
je n'ai pas couru après les Baals "?
Vois donc la trace de tes pas dans la vallée
reconnais ce que tu as fait !
Cette apostasie religieuse a provoqué la plus lamentable désagrégation sociale. Du petit au grand , ils sont tous adultères et menteurs.
Ils bandent leur langue comme un arc
pour la fraude et non pour le vrai.
Même en disant :" Par la vie de Jahvé,
c'est pour le mensonge qu'ils jurent
Ils ne jugent pas la cause de l'orphelin
Ils ne défendent pas le droit du pauvre
Une chose horrible, affreuse, a lieu dans le pays:
les prophètes prophétisent le faux
Et les prêtres enseignent comme eux
Et mon peuple aime cela!
Tes adultères, tes hennissemnts, tes infâmes prostitutions,
je les ai vus tes crimes horribles.
Dans cette atmosphère de duplicité générale, on ne peut plus se fier à personne :
Méfiez-vous, chacun de vos amis
et que nul ne se fie à son frère !
Car tous les frères ne sont que des fourbes
tous les amis s'en vont calomniant !
Dès lors , comment Jahvé ne se vengerait-il pas d'une telle nation ?
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