dédicace du soir à Alexandro !
Publié le 23 Septembre 2018
Petits enfants qu'on trompe, qu'on déforme, qu'on abîme, qu'on ne sait que dresser à mordre pour défendre votre os, petits enfants, vous n'êtes pas des chiens pour n'obéir qu'à la loi du plus fort!
Vous êtes des âmes faites à l'image de Dieu, c'est-à-dire de celui qui d'abord vous aime. Vous êtes un souffle d'amour qui ne se nourrit que d'amour, comme le vent se propage par le vent . N'écoutez-pas ceux qui vous disent :" Défendez-vous contre vos frères !" Etre fort, ce n'est pas être cadenassé, cuirassé contre les autres.
Etre fort, c'est être une source de tendresse qui ne tarit jamais, et que votre sourire ouvre à qui vous approche. Honte à qui vous modèle ce visage raidi, ces sourcils froncés, cette bouche serrée comme si elle craignait de laisser échapper l'âme, honte à qui vous désapprend le sourire !
Sourire! à la fois le signe et la fleur de l'amour - comme l'herbe plus verte annonce la fontaine qui l'abreuve - petite flamme soudain éclose pour le Poucet perdu dans la sombre forêt des misères humaines, parole sans bruit devant ses yeux qui l'invite, qui le conduit: et déjà il n' a plus peur, il n'est plus égaré .
- Vous êtiez là, devant ce visage mystérieux d'un autre être visage fermé, âme close, regard armé qui vous surveille - le fort est bien gardé! Vous êtiez seul, vous aviez mal et froid, vous ne saviez où porter votre peine. Soudain, toute la grâce, toute la légèreté du monde est là : le visage a souri - l'âme s'est ouverte, elle s'est offerte, elle s'est donnée ! Quelqu'un est près de vous: plus de solitude, plus d'angoisse, plus de ténèbres; on vous a pris doucement par la main, il fait doux, il fait clair, et vous montez ensemble vers cette petite étoile d'espérance et de joie.
O sourire fraternel, qui comprends tout, qui livres tout, petite lumière qui dis que l'âme est présente, qu'il fait bon quand tu t'allumes ! Que tu as réchauffé de coeurs , que tu as guéri de peines, que tu as ranimé d'espoirs à demi morts , toi, le fils premier-né de la charité !
- Tendres petites figures, gardez votre sourire; c'est entre les enfants du Père le signe de reconnaissance: celui qui ne sait plus sourire ne sait plus aimer; celui qui n'aime plus est comme un mort, il est plus radicalement séparé de la source de force et de vie qu'un sarment desséché - il ne sera bon comme lui qu'à être jeté au feu .
Etre fort, c'est avoir toujours ce qu'on vous demande et le donner. Sans doute il n'y a au monde qu'un être vraiment fort, c'est Dieu: lui seul possède tout ce qui nous est nécessaire. Mais à chacun de nous il a remis une certaine part de son héritage, à charge pour nous de la distribuer entre ceux qui nous la viendront réclamer. C'est là notre tâche, c'est là notre richesse: avoir quelque chose à donner.
Malheur à qui rapporte au jour des comptes une somme inutilement gardée: le talent caché dans la terre ! " Tout ce que tu as mis de côté pour toi, dira le Seigneur, tu l'as pris à ceux pour qui je te l'avais confié. Les voleurs et les incapables n'entrent pas dans mon ciel. Ce serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres extérieures.
Donnez vos billes, petits enfants; donnez vos sous, si par malheur on vous a déjà enseigné qu'ils valaient vraiment quelque chose; Surtout, d'abord , donnez votre amour ! Ne soyez pas ces forteresses d'égoïsmes et d'ingratitude que votre famille même fait de vous, trop souvent, dans son sein pour sa tristesse - soleils autour desquels toute la maison gravite sans qu'ils consentent à lui verser un rayon de leur lumière - ces coeurs fermés à tout ce qui n'est pas vos plaisirs, vos projets, votre précieuse personne, cependant que les parents (ils ne sont pas tous absents et inaccessibles ) mènent auprès de vous, pour vous, leur vie difficile et morne qui ne vous intéresse pas, portent péniblement leur âme que vous n'avez jamais pris la peine de regarder, vous offrent timidement leur amour que vous dédaignez d'apercevoir. Craignez de découvrir , au jour où ils vous quitteront, que vous ne leur avez jamais rendu la plus petite part de la dette immense que vous aviez envers eux, que votre refus est responsable devant Dieu de toutes les insuffisances que vous avez seules voulu connaître en eux, et que cette dette va peser sur vous pour l'éternité !
Allez, que nous soyons enfants, parents, serviteurs, amis ou frères, nous n'avons qu'un moyen certain de ne rien garder de trop pour nous, c'est de donner tout ce qu'on nous demande; nous n'avons qu'un moyen d'être sûrs que nous ne manquons pas à autrui, c'est de lui donner toujours tout d'un coup.
On nous apprend à nous ménager, à nous réserver? Dépensons-nous, épuisons-nous, vidons-nous sans cesse et jusqu'au fond ! C'est toujours la même chose: si la fontaine ne s'écoule, l'eau ne se renouvelle jamais. On n'a point d'argent à donner parce qu'il faut avoir des économies en banque, on n'a pas de force à dépenser pour les autres parce qu'il faut prévoir qu'on en aura besoin pour soi; on n'a pas de compassion de reste pour les malheurs d'autrui parce qu'on la réserve pour ses propres peines; on ne peut jamais se mettre à la place de personne, parce qu'on a trop peur de manquer à la sienne durant ce temps; on n'a pas d'amour à distribuer parce qu'on l'a tout entier mis de côté pour soi.
Et l'eau croupit, la pitié se rouille, l'amour rancit, le coeur s' enkylose !
Isabelle Rivière.