Oportet semper orare . Méditation pour la rentrée.

Publié le 4 Septembre 2018

   Nous n'avons pas deux parts dans nos vies, ou trois ou quatre. La part du Bon Dieu, la part du travail, et puis encore cette part terriblement et douloureusement vide des heures perdues dans le va-et-vient des jours et des nuits.  Avez-vous calculé ce qu'il y aurait alors de déchet dans une journée humaine? Avec vous additionné les heures passées dans le métro, le matin, à midi et le soir ? Et les heures d'attente dans les bureaux et les antichambres, et les courses inutiles, et les stations sans fin?

   Votre travail est sanctifié , c'est bien; voilà huit heures dans l'engrenage sanctifiant de la grâce . Mais le reste ? La chaîne de la prière permanente perd-elle chaque jour tant d'anneaux, qui, à la fin des temps, rattacheraient toutes les heures du temps à l'immobile éternité? Non, chrétien fidèle, rien n'est à perdre sur la terre, et tout d'abord le temps, étoffe nécessaire de tout le reste, tissu fluent sur lequel nos doigts doivent ouvrer une broderie sans interruption ni fin, dont nous ne voyons encore que l'envers avec ses fils entrelacés en tout sens. Non, il n'y a pas de temps à perdre. Oportet semper orare.

   Combien d'entre nous savent explicitement, clairement, activement, que la grâce , en " état " chez eux, supporte et enveloppe leur travail , leur quotidien souci, leurs journées monotones ? Combien, parmi tous ces silencieux dans le métro de six heures, raccrochent leur silence brutal et amorphe au silence d'un amour de Dieu, ranimé de temps à autre par un mot de prière ? Ce serait si peu de chose à faire ! Et ce serait alors si vraiment la cité de Dieu !

   A la recherche du temps perdu ? Le voici retrouvé, le temps. Non seulement le temps du travail, mais le temps inutile, tout cet effritement de nos journées. Humainement , en langage d'affaires, ou en langage de plaisir, ce n'est et ce ne peut être que du temps perdu, de cette bourre sans valeur qu'il faut nécessairement employer pour caler les divers objets de notre vie, de ce poids brut qui , au décompte final , dépasse de beaucoup le poids net de notre volume d'affaires.

   Mais chrétiennement, divinement, il n'y a pas de temps perdu. C'est jusqu'à ce tissu fluent que la vie divine anime nos oeuvres et notre occupation terrestre. Notre éternité bonne ou mauvaise, embrasse dès maintenant, dans sa stabilité sans fin, tous les instants de notre temps. Ne perdons pas si précieuse matière, et tissons chrétiennement cette trame sans en laisser tomber un fil.

   Oportet semper orare. Vous vous plaignez de n'avoir pas le temps de prier. Une dizaine de chapelet , où la placer dans ma journée? Croyez-vous qu'au 21 ème siècle, avec les automobiles et le portable, je puisse faire oraison? - La voici votre oraison. Ne la placez pas en dehors du temps, dans le vide d'un idéal chimérique, où vous donneriez à Dieu tout ce que vous enlèveriez à votre occupation humaine. C'est dans ce tissu même de votre occupation humaine que tant de fils restent flottants, brouillés en un inutilisable écheveau.

   Chaque jour, le matin, à midi, le soir, vous avez vingt minutes de métro pour aller à votre travail. Comptez: cela fait au moins une heure. En fait, vous la passez en silence. Que mettez vous dans ce silence ? Prévoyez votre travail , récapitulez-le; puis détendez-vous ou pensez au foyer, à la veillée affectueuse, aux distractions de la fin de semaine . Très bien . Mais encore?

   La présence divine n'est-elle pas plus spontanée, ici, entre deux soucis? Pourquoi n'égrenez-vous pas les dix Ave de votre chapelet sur la chaîne ininterrompue de votre vie chrétienne?  La voici, l'impossible prière. A peine une minute, le matin , et c'est tout le possible entre la messe du dimanche, disiez-vous. Vous oubliez vos heures de métro, vos attentes interminables à la porte du médecin ou du bureau d'affaires.  Remplissez ces vides, et divinisez ces silences où vous perdez temps et patience.

   Point besoin de manifestation extérieure. Vos yeux sont déjà baissés, et il suffit que sur vos doigts, par dizaines toutes comptées, défilent les Ave, autour du mystère contemplé selon l'ordre du rosaire.  C'est fait, sans bruit de paroles, sans originalité déplacée. Dieu est là, invisible, et votre âme en elle-même. Cela suffit. Beaucoup de distractions peut-être; mais à la surface seulement, car, sans que vous en ayez conscience, sans surtout que l'esprit se tende artificiellement, le mouvement de l'âme est lancé, et, sur la série vocale des Ave à peine murmurés, il se poursuit jusqu'au Gloria PatriCe n'est pas une série d'actes que vous avez à compter à coups de volonté; c'est une atmosphère qui se respire, c'est un regard qui se prolonge, c'est un état. L'état de grâce dont les virtualités rayonnent par l'intensité connue de la présence divine.

    Priez ainsi, chrétiens mes frères. Priez dans cette foule qui vous bouscule. Ne croyez pas que cette fourmilière humaine soit en résistance contre votre recueillement. Regardez votre voisin, numéro anonyme dans cette multitude; son front est grave, ses yeux, un peu lassés à la fin du jour, semblent arrêtés sur un objet intérieur: une affaire mal engagée, un foyer divisé, un amour mal assuré, une Eglise déchirée. Ne croyez-vous pas que la communion est faite avec l'âme soucieuse de votre frère? Car c'est votre frère. Il est très probablement baptisé, et, fût-il attiédi aujourd'hui, son souci même le ramène par moments à la gravité supraterrestre de sa  vie, au Bon Dieu peut-être, qui, demain, dans la détresse va être son seul recours. Les âmes les plus profondes que ne laisse paraître leur agitation de surface, plus qu'elles ne le confessent elles-mêmes dans leurs heures d'insouciance.

    Et puis ce voisin est peut-être lui aussi en état de grâce. Alors c'est dans la réalité divine que vous le rencontrez, en toute vérité.  C'est , à la lettre, la communion des saints. Elle existe par elle-même en permanence: l'Eglise, corps mystique du Christ en qui tous sont emmembrés , incorporés; mais, par l'expression de votre prière, rendez cette communion actuelle, active, efficace.  Dans le mystère de cet échange l'amour de Dieu va accomplir son oeuvre merveilleuse, et votre frère inconnu bénéficie de votre oraison. Elévation de l'âme, la prière élève toutes les âmes, car c'est en communion que les âmes croissent divinement.

   Vous vous étonniez peut-être tout à l'heure de cette confiance en la présence de Dieu dans le tumulte de nos cités, et vous cherchiez inconsciemment refuge, pour votre vie chrétienne, dans l'église, solitaire au milieu de la foule trop bruyante.

   Allons, ne craignez pas, emportez avec vous votre cellule intérieure, et croyez au rayonnement triomphant de cette présence divine, soutenue par la délicate prière diffuse à laquelle votre âme s'habitue maintenant.

   C'est le temps même de votre vie que vous retrouvez ainsi. Car rien ne doit être perdu dans le Christ, depuis que, venant sur terre, il a racheté tous les temps dans son éternité.

Benedictus +

 

 

 

  

 

Rédigé par Philippe

Publié dans #spiritualité

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