la Toussaint, le triomphe de la joie.
Publié le 31 Octobre 2018
" Mon Dieu , donnez-nous des saints ! "
Lacordaire .
"La fiesta del amor no es la fiesta del riesgo y de la bella aventura; la fiesta del amor es la fiesta de la mayor fuerza, de la mayor victoria, de la mayor alegría, porque es la fiesta de Dios. "
La fête de tous les saints, qui est, comme l'accomplissement et le glorieux résumé du cycle sanctoral a dans la liturgie catholique un accent proprement triomphal. Les textes choisis par l'Eglise commentent sur le ton de l'exultation les ornements blancs du sacrifice. De l'Introït à l'Epître, de l'Evangile à la Communion, se déroule le cortège des paroles sacrées qui disent l'entrée de toute une humanité dans la grande paix de l'Amour.
Aucun chef de peuples, fût-il constamment heureux, fût-il servi par l'art le plus somptueux n'a jamais élevé sur un Forum de gloire une calonnade de marbre qui eût l'impérissable beauté de cette liturgie de la Toussaint, dressée en espérance, en certitude du triomphe de l'Eglise en ce dernier jour, qui est le jour éternel.
L'Introït est un invitatoire à l'allégresse de la louange.
Et cette plus grande joie n'est pas un plaisir d'évasion par lequel l'imagination sacrée prendrait une revanche dérisoire sur les laideurs et les misères du siècle. Il ne rêve pas, le Saint Jean de l'Apocalypse, lorsque à l'Epître, il entr'ouvre un ciel plus peuplé que tous les Empires bâtis de main d'homme: c'est le vent de l'inspiration prophétique qui déchire le voile de l'espace et du temps et le met en présence des choeurs des bienheureux chantant les louanges de l'Agneau .
Lorsque l'homme, seul, tentait de se représenter quelques Champs-Elysées par delà la mort, il n'était jamais arrivé à donner une substance de joie à l'espérance des justes: on ne sait quel regret diffus, quelle mélancolie impalpable habitait ces demeures pourtant préservées du mal et, dans ce climat de nostalgie, les âmes délivrées se changeaient en ombres gémissantes. C'est qu'il y manquait la présence du Fils de Dieu, sans lequel les rassemblements des élus se révélaient à la pensée la plus ambitieuse d'espoir aussi vides que le désert. D'un coup d'aile de son génie porté par l'Esprit de Dieu, saint Jean nous découvre une vérité plus belle que les métaphysiques de Platon et les poésies de Virgile. L'Agneau peuple le ciel d'une communauté de vivants. A la fin c'est la joie qui vaincra.
La joie vaincra parce que les régénérés dans le sang du Christ ne sont pas quelques prédestinés échappés par miracle au naufrage de toute la race des hommes. Les élus sont une immense foule. Turba magna. Et ils viennent de toute tribu, de toute langue, de toute nation, pour former ensemble la patrie des patries, la seule dont la victoire ne fera ni esclaves ni tyrans.
Car le ciel est une société; la joie de chacun s'y trouve multipliée par la joie de tous; ainsi la goutte d'eau de l'océan est portée par tout l'élan de la marée vers l'astre dominateur. A une époque où les masses armées par des inimités sans merci s'écrasent les unes les autres de tout leur poids matériel, il est bon que l'Eglise ne cesse pas d'inviter les chrétiens à penser, dans la sérénité et l'assurance de la foi, à ces multitudes de bienheureux délivrés de la haine, à ces immensités humaines réconciliées par l'adoration.
L'Eglise annonce avec tout son dogmatisme la venue d'un ordre pacifique qu'aucune convoitise jamais ne contestera.
L'Apocalypse est plus vraie que le journal et nos histoires. Cette certitude n'est pas donnée aux seuls croyants. Avec eux, qu'ils le sachent ou qu'ils l'ignorent, se sont faits disciples de saint Jean quelques artistes privilégiés, les imagiers du XIIème siècle qui sculptaient la vision de l'Apocalypse au tympan des églises, le van Eyck du rétable de saint Bavon, à Gand, et le Rimbaud d' " une Saison en Enfer" , chez qui la chose littéraire, sur le bord du silence, s'achève en liturgie.
" Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin, couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d'or au-dessus de moi agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin.... A l'aurore, armées d'une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes... Et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et dans un corps."
La joie vaincra parce que un jour, peut-être tout proche, peut-être démesurément lointain (mais puisqu'il doit venir il est déjà arrivé, et le temps ne mûrit plus que l'inévitable), Dieu interviendra dans l'histoire des hommes pour arrêter d'un mot les proliférations du péché, pour briser d'un coup et pour toujours la puissance du mal. L'ange qu'a vu saint Jean se lèvera du côté du soleil levant : les portes de tous les Purgatoires s'ouvriront sur la merveille de l'accomplissement de toutes choses. L'Enfer sera scellé à jamais, et il ne sera plus donné aux quatre anges mystérieux le pouvoir de nuire à la terre, à la mer et aux arbres. Quand bien même Dieu perdrait toutes les batailles temporelles que livrent ses saints contre le mal , l'autorité de la révélation nous assure qu'il gagnera la dernière et qu'il rebâtira, plus beau, le Paradis, perdu par l'orgueil et la malice des commencements.
La joie vaincra. Mais elle a déjà vaincu dans les saintetés qui traversent la terre avant d'aller se mêler aux louages éternelles . Dans l'Evangile des Béatitudes, lu en ce jour de la Toussaint, le Christ dit aux saints :" Vous êtes heureux." " Beati estis ". On vous persécute, le mensonge dit toute sorte de mal de vous, à cause moi. Aux yeux des insensés vous paraissez des vaincus et des faibles. Mais en réalité c'est vous qui êtes déjà les vainqueurs et les surhommes; vous êtes les juges de vos juges, car possédant l'amour, vous possédez la plus grande force et la plus grande joie, la béatitude. Il semble que par ce mot de béatitude, théologie et mystique aient voulu aller dans le langage au-delà même du langage: la béatitude, c'est la pureté et la plénitude d'un bonheur qui fait éclater le bonheur; toutes les formes sont brisées; toutes les limites sont reculées. Par l'amour, l'infini et toute sa gloire sont invisiblement présents dans l'âme d'un pauvre homme, humilité devant les puissances de la chair et du monde, mais qui déjà fête en son coeur la Toussaint éternelle.
Quelle admirable annonciation de la joie que ce chapelet des béatitudes égrené par le Seigneur. Non pas le songe d'un utopiste qui prédirait aux naïfs la fin sur cette terre de la souffrance et de la misère, mais plutôt une confidence solennelle et tranquille, publique et secrète à la fois, faite à toute l'humanité par le Maître du bonheur et du malheur: au fond de la souffrance nécessaire du juste, de la passion immanquable de l'innocent, il y a voilée mais réelle, invisible, mais la même, la substance de toutes les béatitudes célestes.
Le monde disait, comme il le dit et le dira tous les jours jusqu'à l'apparition de l'Ange de l'Orient: Heureux les riches et les avides, car ils sont comblés par la multitude de leurs trésors et les obéissances tremblantes des adorateurs de la fortune. Heureux les durs, car le refus du pardon et le mépris des larmes d'autrui est l'honneur et l'héroïsme des races fortes . Heureux ceux qui connaissent les tempêtes des passions, le plaisir véhément de la main qui saisit et qui dépouille le bien convoité. Heureux ceux qui, débarrassés des timidités de l'enfance, n'honorent plus que les dieux de la chair et du sang. Heureux les fils de la terre, car ils savent que le mensonge est l'intelligence des habiles, l'ingratitude et la cruauté la justice des violents et des puissants...
Mais le Seigneur a dit une fois sur la montagne et il redit à chaque Toussaint: Heureux les pauvres et les doux et les purs et les miséricordieux car ils possèderont et le ciel et la terre; la prière de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus du fond d'un cloître dénudé et d'une vie obscure dirigeait plus l'histoire du monde que toutes les diplomaties et toutes les batailles. Heureux ceux qui pleurent, travaillent et souffrent persécution pour mettre en les hommes un peu plus de justice , d'amitié et de paix, car ils sont déjà entrés dans la paix, la justice, l'amitié de Dieu. Heureux et puissant saint Louis dans les chaînes de la captivité et l'exil de l'Orient infidèle, car, plus roi qu'à Vincennes , il purifie devant Dieu l'âme de la France et il rend son pays digne de plus hauts destins. Heureux et puissante sainte Jeanne d'Arc sur son bûcher plus proche du Ciel, plus présente à la terre que tous les trônes de la chrétienté. Heureux les hommes et les femmes, heureuses les patries victimes aux yeux du monde de leur plus grande générosité, car leur salut est assuré et avec leur salut celui d'une multitude . Turba magna .
Et , pour remonter au Saint des saints , à l'exemple des exemples, le Christ au sein des tortures physiques et des angoisses morales de sa passion , n'a -t-il pas joui de toute l'ampleur de sa vision béatifique ? Quelle profondeur de christianisme dans cette thése de théologie !
' Nous y croyons à l'Amour " .
Le parti de l'amour n'est pas le parti du risque et de la belle aventure; le parti de l'amour est le parti de la plus grande force , de la plus grande victoire, de la plus grande joie , parce qu'il est le parti de Dieu .
apostolus op +