"Soror populi christiani ."
Publié le 18 Novembre 2018

" ... Elle a l'air d'une jeune fille de seize ou dix-sept ans. Elle est vêtue d'une robe blanche serrée à la ceinture par un ruban bleu glissant le long de la robe... Ses pieds sont nus, mais couvert par les derniers plis de la robe, si ce n'est à la pointe, où brille sur chacun d'eux une rose jaune...
" Elle était là paisible, souriante, et regardant la foule comme une Mère affectueuse regarde ses enfants ...
" La Dame se tenait au-dessus du rosier... A ma troisième demande, elle prit un air grave et parut s'humilier. Elle joignit les mains et les porta sur le haut de la poitrine ... Elle regarda le ciel ... Elle sépara lentement les mains, se pencha vers moi, me dit en laissant trembler sa voix :
Que soy era Immaculada Conception!
Je suis l'Immaculée Conception! "
Ainsi racontait Bernadette.
Cette apparition radieuse et souriante, fraîche comme les roses qui sous ses pieds éclosent, ce n'est pas une Reine à l'imposante majesté.
Si elle est comme une mère, c'est à la façon des grandes filles de quatorze ans, c'est plutôt une soeur: une soeur aînée avec sa soeur plus jeune.
L'Immaculée, c'est notre Soeur.
Nous en convenons, c'est un vocable peu en usage. En gens besogneux et pressés que nous sommes, nous courons à notre Père; à notre Reine aussi, mais déjà beaucoup moins; nous nous faisons très peu de l'amabilité de notre Soeur.
Dans l'oeuvre pourtant du salut des hommes, la Sainte Vierge vient, partout, seconde après son Fils, en mérites , en puissance, en affection. Si donc Jésus, qui est notre Sauveur et notre Roi, est aussi notre Frère, pourquoi sa très sainte Mère, qui est notre Mère et notre Reine, ne serait-elle pas aussi notre Soeur!
Au reste, la piété catholique est fille de lumière. Si elle prend parfois la spontanéité d'un instinct religieux, si elle est capable de provoquer les vibrations les plus riches du sentiment, elle veut pourtant puiser aux réalités mêmes. Obligée de se servir des mots, elle entend ne pas se payer de mots. Sa lumière n'est autre que la lumière de foi.
Particulièrement quand on parle de la Très Sainte Vierge, sur la personne et le rôle de qui peu de choses sont définies, mais de qui on a dit tant de choses, - jamais assez pourtant, au gré de saint Bernard - est-il important d' éviter les propos de pure imagination.
Mais ce n'est pas une imagination que la Fraternité de la Très Sainte Vierge. C'est bien une croyance traditionnelle de la piété chrétienne. Explicite ou implicite, on la rencontre chez les Pères et les écrivains pieux. Expressément même, saint Albert le Grand, ou l'auteur caché sous son nom, appelle la Vierge Marie " Soeur du peuple chrétien" , Soror populi christiani .
Parler de Marie, Soeur du peupe chrétien, c'est avancer une de ces propositions qui, comme Bossuet dit de l'Immaculée Conception, " n'ont presque pas besoin de preuves... Elles jettent au premier aspect un certain éclat dans les âmes qui fait que, souvent, on les aime avant même que de les connaître. Qu'on lève seulement les obstacles , et l'Esprit s'y portera de soi-même et volontairement" .
La Très Sainte Vierge est notre Soeur. C'est une qualité qu'on ne peut lui refuser quand on l'honore déjà comme Immaculée et, quoique Mère demeurée toujours Vierge.
Oui, bien vraiment notre grande Soeur. Semblable à nous, l'une d'entre nous, notre égale, tout naturellement elle devient notre amie. On recherche sa compagnie, sûr d'y trouver compréhension, sympathie, sécurité. Autour d'elle, l'air est plus léger, plus pur, le soleil plus chaud. Sa beauté rayonne l'honnêteté: devant elle s'enfuient les vilaines pensées, se taisent les vilains propos. Son sourire désarme toutes les violences, et devant sa douceur une trop fière indépendance s'assouplit en une juste liberté. Personne mieux qu'elle , tant elle est affectueuse, n'a le mot pour consoler les premiers chagrins. Sa présence rend meilleur: sans trop le savoir et comme par enchantement, les âmes s'y éveillent aux rêves généreux, les coeurs y trouvent les plus fermes résolutions.
L'Immaculée, c'est la Vierge jeune fille, la grande soeur de tous les jeunes.
Bien sûr, elle reste notre Mère. Rien ne peut remplacer l'affection de notre Mère. Mais toutes les mères, quand leurs enfants grandissent, se font les compagnes et les amies, les grandes soeurs de leurs grands fils et de leurs grandes filles .
Quels sentiments nous aurons encore pour notre Soeur ? Il n'est pour le savoir, que de nous reporter aux antiennes que nous lui chantons, aux Vêpres de sa fête. La Liturgie parle pour nous.
Tota pulchra es Maria ... Vous êtes toute belle, ô Marie! ... C'est un cri d'admiration. Cri et admiration qui retentirent longtemps dans une vie d'homme . Avoir entrevu la beauté laisse un souvenir qui ne passe pas.
Tu gloria Jerusalem... Vous êtes la gloire de Jérusalem, l'allégresse du peuple chrétien , son honneur et sa fierté.
Benedicta es tu a Domino Deo... Le peuple juif avait ainsi célébré Judith :" Aucune femme sur la terre n'est chérie de Dieu comme vous . " Ce qu'un peuple particulier avait chanté un jour à sa libératrice devient l'acclamation immense et sans fin des générations à la Soeur de tous les peuples.
Trahe nos , Virgo immaculata... C'est le dernier cri: attirez-nous, Vierge Immaculée. C'est le propre des grandes choses de ce monde, d'éveiller en l'âme une mélancolie, une nostalgie. La beauté de Marie entrevue a fait sourdre en l'âme l'incoercible désir de la revoir encore. C'est ce que , mieux que personne, savait bien Bernadette, qui, en de courtes années, a succombé aux élans de ce violent désir.
fr. m.J. Guihaire op +