à mes amis : la foi
Publié le 26 Janvier 2019
Et en voici le fruit. Qu'on imagine le renouvellement prêté à tout objet de la pensée, conséquemment à toute activité, par cette miraculeuse transposition, cette métamorphose.
Dieu ne nous apparaît plus comme un être abstrait, comme une sorte de mystère algébrique, un X, ou bien un vague idéal, mais comme le Dieu vivant, animé par la Trinité, communiqué par l'incarnation, attendri par la rédemption, rendu intime par la grâce, épanoui socialement par l'Eglise, figuré et agissant par les sacrements, mêlé éternellement à ses ouvrages par la gloire céleste .
Notre âme se révèle à nous en de nouvelles profondeurs, réceptacle de l'univers par sa nature pensante, elle se recrée à ses propres regards en contemplant le Dieu qui la dilate au dedans jusqu'à sa nature à lui, pour y trouver une place à sa taille; elle s'élargit dans l'incréé, prend conscience d'un pouvoir qui dépasse tout l'être pour accéder à la Source d'être; incapable de se satisfaire jamais , la voilà qui s'accroît d'exigences nouvelles, avec l'espérance ferme de tout combler à la fois: son vide congénital et le vide qu'a creusé sa nouvelle naissance.
Et c'est encore notre humanité fraternelle - si peu fraternelle, hélas! - qui prend au regard de foi une autre physionomie, actuelle et séculaire, une autre signification de ses gestes et, si je puis dire, un autre bruissement. Elle est pour moi, croyant,, quand je me recueille en Dieu, non plus le troupeau inconscient qui va à l'abattoir la tête basse, ou la bande de fauves déments qui se dévorent, mais une famille heureuse, malgré son épreuve.
Famille d'Adam régénéré par le nouvel Adam; famille d'élus en expectative; famille de pèlerins à la suite de la croix, marqués de la croix, soutenus et entraînés par la croix; famille innombrable, marchant du même pas, dans le même souffle, avec des inégalités que la charité compense, avec des échanges qui rapprochent les niveaux des coeurs, et qui s'avance paisiblement ou douloureusement, mais avec la certitude de son but, à travers tous les mondes.
Les mondes ! ce sont eux enfin qui nous sont changés. Hors la foi, qu'en savons-nous et qu'en pourrions-nous augurer qui rassure? Ce qu'en dit le télescope du mont Wilson ne va pas bien loin et nous donne froid, après le premier moment d'éblouissement et d'extase. Sublime amusement de la science, que le miroir braqué sur l'espace, et le jeu du spectromètre avec sa bande révélatrice, et la photographie astrale, et les mesures, les pesées, les analyses,, les hypothèses touchant ce qui se passe là-haut! Effroi nouveau du contemplateur qui sent le mystère s'agrandir avec l'étendue, et qui éprouve jusqu'à l'angoisse la question du poète:
Que peut être après tout le but de tout ceci ?
Pour la foi, le mystère physique demeure ce qu'il est; mais combien largement compensé! et qu'on le perce peu à peu, si peu que ce soit à l'égard du Tout, c'est une joie désormais sans pointe inhumaine.
" Les cieux racontent la gloire de Dieu" et présagent la nôtre; ils sont un pavillon qui se tisse pour l'assemblée des élus, et leurs globes, en des temps mesurés et en des conditions variées à l'infini, sont peut-être des chantiers d'âmes. La nôtre, en tout cas, atteste le plan. La mort y frappe incessamment, et des esprits sont les étincelles. Un univers spirituelle s'offre à nous, non plus fait " de cordages, de roues et de poulies " comme celui de l'athée , mais animé d'une intention et d'une Présence aussi intimes à son fonctionnement que supérieures à sa substance.
Cet univers travaille en secret; sa loi, brutale en apparence, est au fond morale; il fait oeuvre divine, divin lui-même de ressemblance et d'orientation autant que d'origine. Il s'empresse au service de l'Esprit, lui-même esprit par son sens caché, obéissant à une sorte d'enchantement et de céleste magie qui accorde ses pouvoirs aux destinées de la vie surnaturelle. Il parait le caprice même, et je sais qu'il ne trahira point; son pas est sûr et son oeuvre est probe; sa courte évolution est tracée dans l'éther divin, mieux que les écliptiques; sa fin ne sera ni catastrophe sans remède, ni recommencement sans but; les nouveaux cieux et la nouvelle terre en seront l'heureux et stable aboutissement.
Qu'on ne parle pas des abaissements de la foi, ou de la sottise de ses abandons, ou de la débilité de son allure. Où prendrait-on de l'abaissement, là où une humble prosternation reçoit de l'infini reconnu sa noblesse? Où est l'abandon, quand le créé se transfigure sans se perdre et que l'incréé jeté dans la balance excède et supéfie le désir? Et que parlerait-on de faiblesse, là où il s'agit d'un triomphe sur soi et sur tout le visible, dont l'effort conjuré, dont l'obsession traîtresse et insidieuse ne peut briser l'essor du croyant ?
La foi est d'une incomparable grandeur, ou bien elle est nulle. Dites que nous sommes le jouet d'un mirage! on discutera, et l'on verra si ce ne serait pas vous, esprit obstiné, qui êtes incapable d'apercevoir, au-delà d'épaisses clartés, une lumière plus pure, ou bien ne le voulez pas .
Mais si c'est vrai que Dieu nous appelle à cette intime adhésion, s'il en reçoit l'hommage, et si , une activité généreuse s'ensuivant, lui-même la couronne, il n'y a plus de limite aux proportions d'un tel dessein céleste et terrestre et à sa sublimité.
rp Sertillanges op