Jésus.
Publié le 21 Janvier 2019
L'amitié se résume en ceci: un bel amour vrai, désintéressé et dévoué, supposant ou proposant la réciprocité, et se fondant sur une certaine communauté d'être et de vie. Voilà bien ce qu'est l'amitié dans son fond et à quelles conditions elle peut s'établir entre deux coeurs.
On pourrait croire qu'il dût être assez simple et assez facile à l'homme d'aimer un Dieu qui, à tout prendre, lui est tout. En droit, oui. En fait, non. Et c'est au contraire une grande et difficile entreprise que de nous rapprocher de notre Dieu, surtout jusqu'à nous unir à lui par les liens d'une véritable amitié. Il faut pour cela, profondément remuer le coeur humain et transformer sa manière d'aimer . Mais il faut aussi s'assurer du coeur divin et saisir dans sa grande amabilité ce Dieu qu'il s'agit d'aimer. Or la difficulté vient des deux côtés à la fois.
Du côté de Dieu si on a seulement un peu d'esprit et un peu de lumière dans l'âme, on devine bien une suprême Beauté, une souveraine Amabilité. Mais c'est une Beauté qui nous échappe et qui ne nous dit rien . Pour nous, Dieu est à la fois quelqu'un de trop immense et de trop répandu, et quelqu'un de trop intime et de trop réservé. Qu'il se présente à nous dans l'étendue des choses, ou que ce soit dans le secret des âmes , ce Dieu ne nous offre qu'une Réalité pour ainsi dire insaisissable. Il est trop Esprit pour les êtres de chair que nous sommes et que nous restons. Un philosophe se plaignait de ce que Dieu ne fût pas aussi tangible que l'est un coup de baïonnette, ou l'effleurement d'un baiser. "Tard je t'ai connue, tard je t'ai aimée, Beauté toujours ancienne et toujours nouvelle, " gémit saint Augustin. Même sous la plus vive lumière de la foi, la Beauté de Dieu ne nous saisit pas, ou du moins ne nous prend pas aux entrailles. Et, au contraire, tant d'autres amabilités autour de nous se présentent à nos yeux et se font séduisantes au possible: celles-ci sont parfaitement adaptées à nous, ou du moins elles le semblent; aussi elles refoulent d'autant l'inhumaine amabilité de Dieu . Les attraits divins, si grands soient-ils, risque d'être réduits à rien par ceux tellement plus accessibles des personnes ou des choses qui nous entourent.
D'ailleurs ce n'est pas seulement l'Amabilité de Dieu qui nous échappe, c'est son Amour même. Laissés à nos propres vues, nous ne sommes pas si sûrs que Dieu nous aime. Cette conviction est cependant bien nécessaire si l'on veut fonder l'amitié et déterminer la réciprocité.
La raison tout seule, je ne sais pas si elle peut arriver à nous démontrer que Dieu est amour. Il ne faut rien moins que toute la révélation pour nous persuader de cette vérité et créer cette sécurité si indispensable. " Dieu est amour, proclame saint Jean , et nous croyons profondément en cet amour. .... Oui, c'est bien vrai , Dieu est amour.. Et nous l'aimons, parce qu'il nous a aimés le premier. Mais saint Jean précise nettement en quoi il trouve la preuve de cet amour et ce qui lui a révélé le coeur de son Dieu :" C'est en ceci que Dieu a bien voulu envoyer son Fils comme victime pour nos péchés... comme sauveur du monde... que nous avons connu l'amour que Dieu nous porte." Aussi devons-nous considérer cette persuasion comme " la triomphale victoire de notre foi" et ne chercher qu'en Jésus-Christ le grand témoignage que Dieu nous donne de son grand amour pour nous.
Hors de la foi en Jésus, nous nous heurtons à l'impénétrable énigme du coeur divin. Même dans cette foi, il n'est pas donné à tous les chrétiens de ressentir un égal degré l'amour que Dieu leur porte, surtout à chacun d'eux en particulier. Ce n'est justement qu'en s'attachant bien à Jésus-Christ et en avançant dans son amitié qu'on arrive à se convaincre que " Dieu est pour nous... et que rien de créé ne peut nous séparer de l'amour dont il nous enveloppe dans ce Christ Jésus, notre Seigneur. "
Jésus seul nous donnera cette assurance que Dieu est venu nous rechercher jusque dans l'incertitude et dans l'inimitié où nous sommes naturellement. Seul il nous convaincra que Dieu nous est plus ami que tel ou tel. Seul il résoudra l'énigme que nous rencontrons du côté de Dieu et tranchera la difficulté que Dieu a de se faire aimer.
De notre côté il y a aussi une difficulté. Sans doute nous avons en nous une grande puissance ou faculté d'aimer . Sa capacité est même telle que rien de fini ne peut la combler. Tout amour, dans la mesure où il est imparfait, précaire et limité, flotte, comme dit Pascal, dans cette insatiable capacité. Il ne saurait la remplir. Il y laisse fatalement du vide. Il est bien vrai, ô Dieu, que tu nous as fait pour toi et que notre coeur, au fond, n'est pas en repos tant qu'il ne se repose pas en toi.
Mais chacun de nous, plutôt que de se dilater en toi , demeure beaucoup trop replié sur soi et comme enfermé en soi. C'est là le malheur. Il est difficile à l'homme de sortir de soi et de pousser son désir d'aimer jusqu'au pur et parfait don de soi. Ce vrai amour , en somme , nous dépasse. Très souvent on ne fait guère plus que s'aimer soi-même. Beaucoup paraissent pour ainsi dire incapables d'autre chose. Et de bons coeurs parfois, même sous couleur de se donner, sont très occupés de se rechercher. Cette tare en amour semble à peu près sans remède.
L'on se fait, il est vrai des idoles. On les pare de tous les attraits. On leur attribue les plus chères perfections . Et l'on croit aisément leur donner tout son coeur. Il y a dans ce cas beaucoup de mirage. On se voue un amour éternel, et cela dure un temps. Encore est-il assez rare, même le temps que durent les affections les plus fortes et les plus passionnées, qu'on arrive à dépasser l'amour de concupiscence et à éviter le retour à soi pour s'élever vraiment à l'amour d'amitié et à l'oubli de soi. Il vaut autant le reconnaître, l'histoire de l'homme en amour est pauvre . Et ce n'est pas seulement question de personnalité ou de tempérament individuel, c'est question de race et de déformation originelle.
rp Bernard op.