Alençon : de gendarme aux pâtes de fruits !
Publié le 3 Juin 2019
Edgard Dival va rendre son uniforme pour le tablier et les pâtes de fruits. Ses collègues ne seront plus militaires mais frères à l'Abbaye de la Trappe.
Edgard Dival est un homme de passions. Il y a le foot, le VTT et la cuisine… Pas étonnant alors qu’il ait vécu sa carrière militaire passionnément.
« Dans la gendarmerie, j’ai vécu trente années de bonheur. J’ai toujours eu la chance de travailler avec de supers équipes, j’ai fait de belles missions… »
Au début du mois, celui qui travaille au sein de l‘escadron départemental de sécurité routière à la gendarmerie d‘Alençon, a d’ailleurs reçu la médaille militaire des mains du général Frédéric Aubanel, adjoint au commandant de la région Normandie, venant récompenser ses trois décennies passées sous l‘uniforme.
Mais voilà, le Percheron d’origine s’est « toujours dit » qu’il prendrait un nouveau virage professionnel à l’âge de 50 ans. Une reconversion qui serait liée à l’une de ses passions. Forcément.
Il a choisi la cuisine qui a « toujours occupé une place importante » dans sa vie. On pourrait presque dire qu’Edgard est tombé dans la marmite quand il était petit, lorsque son père se mettait aux fourneaux.
« La cuisine, j’ai toujours baigné dedans. Et mes parents m’ont transmis quelques valeurs, comme l’importance du repas en famille. »
Avant de s’engager dans l’armée, il avait d’ailleurs obtenu son CAP Cuisine (certificat d‘aptitude professionnelle). Et même après avoir fait le choix de la gendarmerie, Edgard n’a jamais remisé ses ustensiles.
Comme son père, c’est lui qui confectionne les repas à la maison pour sa femme Béatrice – « qui en a parfois marre de me voir tout le temps à la cuisine » – et ses enfants, Audrey et Yohann, aujourd’hui tous les deux partis du foyer familial pour leur travail respectif.
l se porte également volontaire en tant que renfort cuisine lors des camps de la gendarmerie, notamment à Fontainebleau, Beynes ou Argentan.
« J’ai aussi donné des cours dans des écoles percheronnes et avec l’association Perche Gastronomie pendant sept ans. » Il participait enfin aux animations de la célèbre Foire au Boudin de Mortagne-au-Perche. Le tout bénévolement.
C’est d’ailleurs à cette occasion qu’il rencontre Pierre Gagnaire, élu meilleur chef étoilé du monde en 2015. Les deux hommes sympathisent et le chef invite l’Ornais dans son restaurant parisien. « J’y vais tous les ans depuis 5 ans », s’enthousiasme le Percheron.
Non pas à sa table, mais en stage dans sa cuisine. « Je ne m’occupais pas de plats difficiles, on parle quand même d’un restaurant trois étoiles ! », sourit le gendarme.
« Rencontrer Pierre Gagnaire a été une grande chance. C’est une personne très humble, qui prône la simplicité. »
Et une belle ligne sur le CV dans l‘optique de sa reconversion. Mais Edgard n‘en a même pas eu besoin. Car l‘arrivée du Percheron dans les ateliers pâtes de fruits de l‘Abbaye de la Trappe, n‘est pas liée à une classique candidature.
« Depuis tout petit, ce monastère m’a toujours intrigué. »
« Je collectionne depuis longtemps des objets de l’Abbaye, que je trouve dans des brocantes », admet-il.
« Il a d’ailleurs dans sa collection des objets que nous n’avons même plus ici », sourit le Frère Paul, son « patron » au sein du monastère.
Les frères, ils les côtoient aussi depuis longtemps. « Il y a 20 ans, lorsque nous faisions nos patrouilles dans la forêt de la Trappe avec mon collègue Jean-Paul Perreaux (Edgard travaille pour la brigade motorisée), nous ramenions les vagabonds à l’Abbaye, qui accueillait les SDF à l’époque. Et les frères nous invitaient parfois à boire un café. »
Voilà son ticket d’entrée pour un espace confiné, presque secret, ou en tout cas réservé en grande partie aux seuls frères qui l’habitent. Il rencontre notamment le père Abbé Dom Guerric. Et voilà que les frères proposent à l’amateur de VTT qui « connaît tous les sentiers autour de l’abbaye » d’organiser pour eux des sorties (pédestres) dans les bois. Ce qu’il accepte immédiatement.
« On échangeait beaucoup et c’est comme ça que je leur ai parlé de ma future reconversion, sans forcément penser à venir travailler ici. »
Un beau jour, ça fait tilt. « Nos effectifs sont en baisse et certains frères sont désormais trop âgés (le doyen a 99 ans) pour confectionner les pâtes de fruits ou pour entretenir les 130 ha dont nous disposons pour nous nourrir », explique le père abbé. « Nous avons besoin de main-d’œuvre. »
« J’ai donc proposé mes services et l’idée a été soumise à tous les frères », explique Edgard. Car ici, « toutes les décisions se prennent de façon collégiale, lors de nos conseils », précise le religieux.
Les frères acceptent le gendarme pour sa reconversion. « Lorsque j’ai appris la nouvelle, je n’ai pas réfléchi, j’ai dit oui tout de suite, malgré des propositions dans des restaurants et des cantines. C’était inespéré. »
Depuis le début de l‘année, il ne porte plus l‘uniforme, même s‘il est officiellement toujours gendarme. « Je suis en congés de reconversion, un dispositif qui me permet de me former et je commencerai officiellement mon contrat le 1er juillet. »
En attendant, sous la houlette du frère Jean-Baptiste, Edgard a déjà les mains dans le sucre et les fruits mixés. « Ici, les pâtes de fruits sont sans arôme et sans colorant. Les fruits sont tous issus du verger entretenu par les frères. »
« Ce sont des produits de grande gastronomie artisanale et c’est ce qui me plaît. »
Le monde du silenceAu-delà de sa mission, Edgard sait aussi apprécier son cadre de travail. L’atelier pâtes de fruits offre une vue magnifique sur la forêt de la Trappe et sur l’étang de Rancé, où barbotent les oies Bernache. « Le matin, l’étang est couvert d’une fine brume. C’est magnifique », s’extasie-t-il, les yeux rivés sur son nouveau décor, loin des bords de route.
« Je suis passé d’un monde qui bouge sans cesse au monde du silence. »
Sa reconversion s‘apparente presque à une retraite… spirituelle.