mercredi des Cendres - homélie dom Jean Pateau père abbé de Fontgombault.
Publié le 26 Février 2020
Mercredi des Cendres
Homélie du Très Révérend Père Dom Jean Pateau
Abbé de Notre-Dame de Fontgombault
(Fontgombault, le 26 février 2020)
Convertimini ad me
Revenez à moi
Jl 2,12
Chers Frères et Sœurs,
Mes très chers Fils,
Voici que viennent à nous, à nouveau, les jours de pénitence de la sainte Quarantaine, jours tout à la fois redoutés et désirés.
Redoutés, car ils nous rappellent au devoir de la conversion, à ce retournement qui, s’il ne concerne peut-être pas l’orientation ultime de notre vie, demande pourtant un réel effort sur tel ou tel point qu’il nous revient de discerner et de reconnaître. Il n’est jamais facile de renoncer aux habitudes qui ont vieilli avec nous. Quelle preuve d’amour que de le faire ! Quel mérite !
Ces jours sont désirés, car ils s’achèveront dans la lumière du Ressuscité. La rencontre de la nuit pascale est comme l’aimant qui réoriente la boussole de notre vie au long de ce Carême.
Rencontrer et accueillir le Seigneur ne s’improvise pas. Souvenez-vous de l’évangile de Marthe et de Marie. Le Seigneur est entré dans la maison de ses amis. Marie est aux pieds de Jésus. Marthe s’affaire aux préparatifs du repas et s’impatiente devant l’inaction de sa sœur. Jésus, tout en reconnaissant qu’elle s’agite pour beaucoup de choses (il ne lui demande pas d’ailleurs de renoncer à sa cuisine), lui rappelle délicatement qu’un seul choix est bon, vraiment bon. Cette bonne part, Marie l’a choisie. Cette bonne part, c’est accueillir Jésus dans son cœur.
La réponse de Jésus nous désigne le chemin d’un Carême authentique. Il ne s’agit pas pour nous d’embrasser les observances des Chartreux. Il s’agit, tout en demeurant fidèle au devoir d’état, à la banalité de nos journées, de ré-accueillir ou de mieux accueillir Jésus dans notre propre vie.
Le Carême n’est donc pas un temps d’entraînement aux exploits ascétiques qui peuvent combler les exigences ardentes d’une jeunesse plus orgueilleuse que sainte. En ce saint temps, l’Église invite ses enfants à mener une vie réellement et simplement chrétienne dans une pratique concrète, renouvelée et persévérante de l’amour de Dieu et du prochain.
Le terme de la vie, c’est la rencontre avec le Christ. Si saint Benoît invite ses moines à avoir sans cesse la mort présente devant les yeux, c’est que l’ivresse d’une vie, qui n’a pourtant rien à voir avec celle des gens du monde, peut faire oublier cette étape que nous aurons tous à franchir.
Replacé dans le contexte de la totalité de la vie, le temps du Carême apparaît comme un rappel que notre route comportera un terme qui demande une préparation.
Le mystère pascal, centre de l’année liturgique, n’est pas la simple commémoraison annuelle d’un événement vieux de deux mille ans. Le rappel de la mort et de la résurrection du Christ invite à une rencontre : celle de notre vie avec le Christ.
En résumé, le Carême est au jour de Pâques ce que notre vie est au jour de notre mort, c’est-à-dire de notre rencontre avec le Christ. Saint Benoît, au début du chapitre de sa Règle consacré à l’observance du Carême, écrit :
La vie d’un moine devrait être, en tout temps, aussi observante que durant le Carême. Mais, comme il en est peu qui possèdent cette perfection, nous exhortons tous les frères à vivre en toute pureté pendant le Carême, et à effacer, en ces jours sacrés, toutes les négligences des autres temps.
Alors, que faire en ce Carême, ou, plus justement, comment demeurer avec le Christ en ce Carême ?
Le mystère de Dieu est inépuisable. Celui qui renoncerait à chercher Dieu, à connaître plus profondément le Christ, ne pourrait prétendre demeurer avec le Christ.
En ce temps, n’ignorons pas la grande richesse des textes liturgiques. L’Église les a disposés afin de préparer les catéchumènes au baptême. Sur le chemin de Dieu, nous demeurerons toujours des novices. Pourquoi ne pas prendre un temps suffisant de méditation de ces textes ?
Connaître le Christ ne suffit pas, il faut aussi vivre avec le Christ, et que notre vie s’enracine en la sienne. Deux lieux s’offrent à nous : notre propre vie d’abord, toujours à évangéliser ; et ensuite, la ou les communautés au milieu desquelles nous vivons : la famille ou la communauté religieuse en premier lieu, mais aussi l’école, l’université, le lieu de travail ou encore les lieux de loisirs.
Évangéliser les lieux ne suffit pas, il faut aussi évangéliser dans la durée, évangéliser les temps.
Au seuil de ce Carême apparaît la nécessité d’un humble et réaliste examen de conscience, sans peur, sans compromission.
Le risque du découragement n’est pas à exclure. Si l’examen de conscience s’avère nécessaire, peut-être qu’un « examen de confiance » portant sur la ferveur, sur la profondeur de notre foi, serait tout aussi urgent. Comment comprendre qu’il y ait si peu de chrétiens qui rayonnent leur foi en évangélisant ?
Pour parer à un éventuel découragement, les textes de ce premier jour du Carême abondent en références à la miséricorde de Dieu. Elle est l’attribut divin qui nous encourage à demander, avec l’Église, le secours du Seigneur, quand nous sommes dans l’adversité et que le péché nous tient dans ses filets.
Rappelons-nous que si le poids du jour est lourd, si notre passé nous accuse, Dieu ne veut pas la mort du pécheur mais qu’il se convertisse et qu’il vive. Cette volonté de Dieu transfigure le passé. Elle fonde une espérance pour le futur. Surtout, elle désigne le présent comme le lieu pour une réponse concrète à la volonté divine. Cette réponse, c’est la conversion.
Comme signe de notre volonté de répondre à l’appel du Seigneur, nous avons reçu sur le front le signe de la Croix, marqué avec de la cendre.
Revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements , et revenez au Seigneur votre Dieu.
( Jl 2,12-13)
Si les textes de ce matin mentionnent la miséricorde de Dieu, ils nous invitent aussi à la pratique de la vertu d’humilité. L’humilité de la Vierge de Nazareth a conquis le cœur du Seigneur.
Enfin, le Seigneur nous assure de la protection des saints anges. Prions-les tout particulièrement en ce saint temps.
Par l’aumône, le jeûne et la prière, ouvrons nos cœurs à l’attente et à la lumière du Christ ressuscité dans une foi, une espérance et une charité renouvelées.
Saint et joyeux Carême. Amen