homélies dom Jean Pateau - père Abbé de Fontgombault Noël 2020

Publié le 25 Décembre 2020

 

 

NOËL 

MESSE DE MINUIT 

Homélie du Très Révérend Père Dom Jean PATEAU 

Abbé de Notre-Dame de Fontgombault 

(Fontgombault, le 25 décembre 2020) 

 

Hodie.

Aujourd’hui. (Lc 2,11

 

 

Chers Frères et Sœurs, Mes très chers Fils, 

Il y a peu, un titre de l’actualité pouvait attirer l’attention. Il disait en substance : « Cette année, à Noël, beaucoup d’enfants, à cause du Covid, n’auront pas de cadeau. » 

La crise, les difficultés liées aux contraintes de déplacement ont pu contribuer à cela. Mais il faut bien le reconnaître, c’est toute l’année 2020 dont on pourrait dire qu’elle ne fut pas pour l’humanité un cadeau. L’an passé, à pareille époque, on savait bien qu’un virus avait fait depuis quelques semaines son apparition en Chine. Le nombre des victimes augmentait. C’était si loin. L’homme occidental semblait alors plus enclin à s’extasier devant le surhomme qu’on lui promettait, l’homme augmenté, comme on aimait à le dire, que plusieurs médias décrivaient déjà avec sûreté et complaisance. 

Le temps a passé... le virus s’est rapproché. Il est arrivé. Il s’est installé. Les médias se sont tus au moins pour un temps en ce qui concerne l’homme augmenté. Les statistiques quasi-quotidiennes, obsédantes, ont pris la place des rêves. 

 

Au-delà des chiffres, c’est le temps qui passe qui inquiète. Combien de temps nous faudra-t-il rencontrer l’homme diminué? Cet homme qui cache son sourire derrière un masque... Cet homme qui ne peut embrasser, car il risquerait de transmettre non la vie mais la mort... cet homme enfin qui ne peut se déplacer, car là-bas se trouve peut-être la maladie, si elle n’est pas déjà ici. Cette année, avec son poids de contraintes, ne fut pas un cadeau. 

 

Pour Joseph et Marie, n’en allait-il pas de même ? L’évangéliste Luc ne rapporte pas leur réaction lorsqu’ils apprirent que l’édit de César Auguste ordonnait le recensement de toute la terre, et l’obligation pour chacun de se rendre dans sa ville d’origine. Désormais le terme de la grossesse était proche. Envisager un déplacement ne semblait pas prudent. Joseph et Marie prirent pourtant la route, quittant le séjour paisible de Nazareth pour se rendre à Bethléem. 

Sans doute, le recensement suscitait un déplacement important de population. Pour nombre de familles, ce temps devenait l’occasion d’heureuses retrouvailles. 

Pour Marie et Joseph, il n’allait pas en être ainsi : plus de famille à Bethléem, et pire, les hôtelleries combles fermaient leurs portes à une femme en passe de mettre au monde. Déjà, l’enfant annoncé n’était pas le bienvenu chez tous. Pour Joseph et Marie, ces jours n’étaient vraiment pas un cadeau. 

La terre habitée devenue hostile, ils se retirèrent dans une étable, une grotte, où selon la prophétie d’Isaïe, un âne et un bœuf les accueillirent : 

Le bœuf connaît son propriétaire, et l’âne, la crèche de son maître. Israël ne le connaît pas, mon peuple ne comprend pas. (Is 1,3) 

C’est dans ce lieu, éloigné des hommes, que vint au monde l’Emmanuel, le Fils de Dieu incarné. Celui qui, pour beaucoup ne semblait pas un cadeau, devint alors présent. De façon paradoxale, la crèche, lieu de fuite de Marie et de Joseph, lieu séparé, retiré du monde, devenait le point de départ de la renaissance de l’humanité. 

Mais voici que l’évangéliste porte notre regard vers d’autres solitaires : des bergers qui vivent dehors et passent la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. Pour ces pauvres, l’Emmanuel se fait aussi présent. L’ange du Seigneur vient à leur rencontre, et la crainte provoquée par l’apparition de l’être céleste les enveloppe. L’ange leur désigne une étable et la mangeoire où ils trouveront l’Enfant, le Sauveur qui leur est né. Ce lieu, une étoile l’indiquera bientôt à des Mages venus d’orient. 

Pour autant, les riches, les savants et les puissants, ceux qui demeurent sur leur trône, ne se déplaceront pas. L’enfant pour eux ne sera pas un présent. Bien plus, il suscite en eux une inquiétude. Non pas la crainte des bergers face au mystère divin qui s’invite dans une vie, mais la peur de perdre des richesses et un pouvoir qu’ils ont parfois si difficilement conquis. Ceux qui se prennent pour les sauveurs du monde n’ont pas besoin du seul vrai Sauveur. Bientôt, ils le feront rechercher pour essayer de le supprimer. 

En ces jours, peut-être que certains enfants n’auront pas de cadeau. Mais en ce jour, tous les hommes sont appelés à recevoir un présent et le plus beau des présents : un Sauveur qui redonne sens à la vie. 

Les hommes, les sociétés ont perdu le nord. Les boussoles de leurs vies tournent, folles, désorientées. L’humanité est engluée dans un monde qui la retient prisonnière. Que de cadeaux en ces jours ne seront pas de véritables présents, parce qu’ils ne seront pas porteurs d’un avenir. 

Faire de l’instant qui passe un présent, voilà ce à quoi invite saint Paul dans l’épître de cette sainte nuit : « la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. » (v. 11) 

L’éternel présent divin vient transfigurer l’instant, tous les instants, que nous vivons : il nous apprend « à renoncer à l’impiété et aux convoitises de ce monde, et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété.  (v. 12

La vie humaine se réoriente alors naturellement vers un avenir désirable, voulu pour nous par Dieu, « la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus-Christ ». (v. 13) 

Le mystère de Noël ne s’accomplira pleinement que dans la conversion du cœur de chaque homme. Rendons-nous à la crèche avec les bergers. Entraînons-y notre prochain, comme dans les farandoles et les pastorales de Noël en terre de Provence. 

Chaque jour doit être un jour de Noël, chaque instant un présent du Ciel qui vient sur la terre, parce que toute vie humaine a été regardée et demeure encore regardée par Dieu. 

Dieu s’est penché sur Marie, son humble servante. Dieu se penche en cette nuit sur tous les hommes de bonne volonté, sur tous ceux qui acceptent, unis aux Anges, de proclamer sa gloire. 

Qu’en cette sainte nuit la Paix venue du Ciel repose sur chacune de nos familles. Qu’elle soigne les blessures des cœurs et des corps et que Dieu trouve en chacun une demeure. Le sourire de l’Enfant de la crèche révèle le sourire de Dieu. 

Paix en cette sainte nuit aux hommes de bonne volonté.

Amen. 

NOËL 

MESSE DU JOUR 

Homélie du Très Révérend Père Dom Jean PATEAU Abbé de Notre-Dame de Fontgombault 

(Fontgombault, le 25 décembre 2020) 

 

Chers Frères et Sœurs, Mes très chers Fils, 

 

Dieu est simple, si simple qu’il semble insaisissable. De là à nier l’existence d’un être que les progrès de la science semblent priver aujourd’hui de toute nécessité, il n’y a qu’un pas, franchi depuis bien longtemps. 

Pourtant, comme pour meubler ce semblant de silence divin, pour oublier une inquiétude lancinante au fond du cœur, le monde s’étourdit en un incessant bavardage. C’est le drame de tous les temps. Saint Paul déjà rappelait aux Corinthiens : 

Je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige du langage ou de la sagesse. Parmi vous, je n’ai rien voulu connaître d’autre que Jésus-Christ, ce Messie crucifié. (1 Co 2,1-2) 

Et Verbum caro factum est. 

Et le Verbe s’est fait chair (Jn 1,14 ) 

De nos jours, le développement des moyens de communication met de façon pratiquement gratuite à la disposition des plus riches comme des plus pauvres de la planète, les informations les plus diverses. L’appétit du savoir, déposé par le Créateur dans l’esprit humain comme une ouverture à tout ce qui est, et en premier lieu à Celui qui est en plénitude, c’est-à-dire Dieu, cet appétit se trouve captivé par une multitude de sollicitations et tenu éloigné de son objet premier. 

Nous-mêmes, chrétiens, baptisés, devons rester vigilants. Il n’est pas humain de vouloir connaître ni de vouloir porter toute la misère du monde. Il n’est pas humain de vouloir connaître ni de vouloir livrer tous les combats. Nous n’avons qu’un seul Sauveur : Jésus-Christ. 

 

Aujourd’hui la Paix du Ciel vient sur la terre. La terre pourra-t-elle l’accueillir ? Cette paix est un élément de discernement. Que m’apportent tant d’informations ? La paix du cœur ? Le trouble ? La colère ? 

Le bavardage incessant auquel nous nous livrons, les prises de position à tort et à travers, la boulimie médiatique souvent devenue une addiction, éloignent de la communion au mystère divin, et nous plongent dans les ténèbres du monde, répandant dans les cœurs ces mêmes ténèbres. Aurons-nous le courage d’assumer jusqu’au bout le choix de Dieu ? 

Il peut y avoir une vraie misère dans le monde. Nous ne la rencontrerons jamais. 

Les beautés de la création, en revanche, s’offrent à notre vue tout autour de nous. Le cœur qui ne sait plus admirer ne comprend plus leur langage. Le message du Créateur qu’elles nous désignent est devenu inaudible. 

James Benson Irwin, le huitième homme à avoir marché sur la Lune, affirmait humblement : « le plus important n’est pas qu’un homme ait marché sur la Lune, mais que Dieu ait marché sur la terre dans le corps de Jésus-Christ. » 

Les lectures de ce matin de Noël rappellent cette visite. 

Le Christ n’est pas venu dans le brouhaha d’une hôtellerie, mais dans le silence d’une étable, entouré de Marie et de Joseph, deux êtres aux cœurs purs et libres. Il s’est incarné dans le sein paisible et silencieux d’une Vierge. Le Verbe de Dieu, la Parole divine, a pris chair dans un lieu où elle pouvait être entendue. 

Quel contraste entre un monde toujours plus fou, où les informations, au lieu d’apporter la lumière, conduisent à la confusion, et le silence de l’étable et du sein virginal où Celui qui est la vraie lumière était désiré, et où il s’est incarné. 

Aller à la crèche demande une ascèse : fuir les souvenirs, les curiosités, même les soucis ; fuir le mal, fuir le péché. Renoncer à soi pour s’ouvrir à Celui qui vient aujourd’hui, le Sauveur. 

Saint Paul écrivait aux Philippiens : 

Tous ces avantages que j’avais, je les ai considérés, à cause du Christ, comme une perte [...] à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j’ai tout perdu; je considère tout comme des ordures, afin de gagner un seul avantage, le Christ. [...] Je poursuis ma course [...] saisi par le Christ Jésus [...]. Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but, en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut, dans le Christ Jésus. (Ph 3, 7-8 ; 12-14) 

Courrons avec les bergers, avec les mages, courrons sans cesse. Dieu nous parle par son Fils. À l’écouter, pas de risque de fake news, d’informations mensongères : il est le « rayonnement de la gloire de Dieu, expression parfaite de son être. » (Hb 1,3) 

Le prologue de l’évangile de saint Jean offre l’occasion d’un examen de conscience : « Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. » (v. 11) 

Même si les deux versets qui précèdent évoquent la venue du Verbe, « vraie lumière qui éclaire tout homme en venant dans le monde », et le fait que le monde ne l’ait pas reconnu, même si chez lui, c’est la terre, toute la terre qu’il a créée, malgré tout cela, il n’est pas interdit de penser que chez lui, ce sont d’abord nos cœurs de baptisés, ces cœurs sauvés au prix de son sang ; chez lui, ce sont nos familles, nos communautés. 

L’enfant Jésus s’invite chez nous comme témoin, comme juge aussi de nos vies. Aelred, abbé du monastère de Rievaulx dans le Yorkshire au XIIe siècle, résumait cela dans une formule concise : « Nous voici, toi et moi, et en tiers entre nous, je l’espère, le Christ. » (L’amitié spirituelle, I, 661a). 

Vivre le mystère de Noël, accueillir en vérité l’Enfant de la crèche, c’est accueillir cette paix de Dieu qu’il vient partager à la terre. « Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. » Trop de lieux, dans nos cœurs, dans nos relations avec le prochain, demeurent encore à apaiser, à évangéliser, des lieux où nous n’osons pas, où nous ne voulons pas parfois accueillir le Christ. Dieu nous envoie ce matin pour rendre témoignage à la Lumière, afin que tous croient. 

Ouvrons les portes au Christ : alors notre vie renaîtra, nos ténèbres s’illumineront plus profondément, et d’une lumière toujours plus vive, de cette gloire qu’il vient nous partager : 

Le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. 

Amen, Alleluia. 

Rédigé par Philippe

Publié dans #homélies

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