Epiphanie: ce Dieu qui nous déconcerte.

Publié le 8 Janvier 2021

 

   

 

   Quelque profonde que soit la vie de foi, d'espérance et de charité, même lorsqu'on bénéficie des secours si merveilleusement proportionnés aux besoins , que connaissent les enfants de Dieu, même si l'on reçoit ces " visitations " du Verbe accordées à ceux qui poursuivent assidûment le souvenir de Jésus, il est impossible de ne pas être déconcerté par sa conduite.

" Le jeu de l'amour des départs et des retours, " comme dit sainte Catherine de Sienne, en une sorte de marivaudage inspiré du Cantique, ne fait qu'accroître un désir dont l'objet se dérobe bien plus qu'il ne se donne. 

   La main de la bonne Providence semble se montrer en tant de rencontres dans la vie, mais n'en paraît que plus cruelle de laisser le champ libre aux plus horribles puissances du mal, dans les grandes épreuves des vies personnelles, dans les catastrophes publiques. Ne subviendra-t-il donc pas à notre misère ! Ne voit-il pas que bientôt nous ne pourrons plus tenir, que nous allons être écrasés! Ne voit-il pas le triomphe du mal, et que partout sa cause semble désespérée! Ah! ces pensées , lorsqu'elles ne sont pas corrompues par le doute, sont permises dans l'angoisse.

Le Saint-Esprit lui-même fait crier à David : " Réveillez-vous donc! Pourquoi dormez-vous, Seigneur? " 

   Voici l'Epiphanie. C'est la fête qui, justement célèbre la manifestation du Dieu incarné. Si nous contemplons de toute notre âme la façon dont le Christ notre Dieu s'est manifesté, quand il a pris notre chair afin qu'on pût le voit, l'entendre, le toucher, je pense que nous nous étonnerons moins de la manière étrangement invisible dont il intervient dans les choses humaines , maintenant qu'il n'y est plus visiblement mêlé. 

   Ne nous y trompons point, la plus fameuse des manifestations du Christ que l'Eglise revit le jour de l'Epiphanie, l'adoration des mages, ne fut pas du tout , à la voir du dehors, un évènement éclatant. Nous nous représentons volontiers une brillante cavalcade à la Benozzo Gozzoli, ou une caravane étonnante par ses dromadaires et ses splendides étoffes, telle que Véronèse et Rubens nous en réjouissent.

Le 6 Janvier, c'est le " jour des Rois! " . 

   Mais quand on tâche de voir dans la réalité historique comment les choses se passèrent, on ne rencontre plus que trois astrologues, venus sans doute d'un peu au-delà de la mer Morte. C'était une croyance répandue dans les milieux judaïsants qu'une étoile annoncerait la venue du Messie. L'étoile des mages fut probablement une comète. Il y a grand émoi à Jérusalem? Oui, comme il y en a facilement dans une ville orientale , où tout retombe assez vite. Ils apportent des présents mystérieux, l'or , l'encens et la myrrhe, pour honorer un prince de grande race, mais ce qu'ils trouvent, au lieu du roi puissant qu'ils s'attendaient à voir établir sa domination sur le monde, c'est un faible enfant, encore couché peut-être dans la mangeoire de son étable natale et que leur présente la femme d'un ouvrier de village. Il y avait de quoi les désillusionner. 

   Comme nous nous trompons, lorsque nous nous imaginons qu'il nous aurait été plus facile de croire, si nous avions vu Notre-Seigneur! Il est à craindre qu'il nous eût été une occasion de scandale. Pour voir le Sauveur en Jésus, il fallait la foi candide d'un coeur que les choses de ce monde n'engluent pas et qui s'ouvre à celles du ciel.

   Là est la merveille de l'histoire évangélique, elle est toujours un triomphe de la foi. On ne sait pas si les mages comprirent tout de suite ou furent d'abord désappointés, comme nous le sommes chaque fois que cet enfant se manifeste à nous à sa manière: dans nos peines, ou simplement la banalité de nos vies. Ce qui est sûr, puisque saint Matthieu nous le dit, c'est qu'ils tombèrent en adoration , qu'ils offrirent leurs présents, qu'ils débordèrent de joie. 

   Pour peu maintenant que nous restions avec eux dans la lumière de la crèche et méditions sur le mystère de cette conduite de Dieu, il me semble que nous pouvons y pénétrer. 

   Ce mystère se développe en deux temps. Viendra le temps de la manifestation éclatante. Chacun de nous verra le Christ notre Dieu se dresser pour le juger; nous le verrons, terrible et miséricordieux, triomphant dans notre condamnation ou notre pardon, aussitôt après notre mort. L'humanité entière le verra dans sa gloire, quand il reviendra comme un éclair inattendu, pour le jugement final. Mais, cela, c'est le terme! 

   Jusque-là , lorsque notre Dieu vient soit en sa personne incarnée , comme il fit il y a vingt siècles, soit dans les évènements, qui sont tous providentiels, et par sa grâce, ce ne peut-être que de la façon la plus subreptice. 

   Pourquoi cela? Parce qu'il ne change pas encore la face du monde. Il se soumet à ses lois. Tant que le royaume des cieux demeure caché au plus secret des coeurs dans la foi, l'espérance et l'amour divin, son souverain, qui n'est pas de ce monde , se cache nécessairement aux yeux de quiconque juge selon les apparences de ce monde. Pour autant que nous jugeons selon le monde, comment pourrions-nous déceler la présence de celui qui n'est pas de ce monde? Il se rend sensible aux coeurs purs. Bienheureux les coeurs purs! il n'y a qu'eux pour reconnaître Dieu. 

   C'est un mystère de foi, d'espérance et d'amour.

  De foi, car le temps n'est pas encore venu de la vision , où nous connaîtrons Dieu comme lui-même se connaît. Maintenant, quand il se manifeste, comment pouvons-nous désirer qu'il se montre tel qu'il est pour nous, sinon comme infiniment énigmatique? Une belle réussite humaine, ne serait pas Dieu! 

   Mystère d'espérance, car Dieu ne vient pas nous attacher davantage aux biens de la terre, quels qu'ils soient, si hauts qu'ils soient. Il vient éveiller ce merveilleux désir des biens éternels qui dort au fond de toutes les âmes, dont toutes les âmes prennent obscurément conscience, pour peu qu'elles s'ouvrent . 

   Cependant, nous nous disons: il doit y avoir moyen de pénétrer plus avant. Car  enfin, nous acceptions cette hypothèse que Dieu ne change pas la face du monde, et alors nous comprenons que, se soumettant au régime actuel des choses, il faut bien qu'il s'y cache. Mais ne peut-on pas entendre pourquoi il ne la change pas? Là est vraiment la question. Je crois , en effet, que nous pouvons l'entendre, et c'est un secret de l'amour divin. 

   Dieu nous aime tant! Il nous aime assez pour nous traiter tels que nous sommes. Nous sommes des êtres libres! Il ne nous contraint donc pas. Il ne s'impose pas à nous du dehors. Son apparition fulgurante s'imposera, mais c'est qu'il n'y aura plus alors qu'à recueillir les fruits de notre choix. Ils ne sont pas murs. Maintenant, c'est le temps qu'ils mûrissent; c'est le temps du choix, et Dieu n'en trouble pas les données. 

   Il nous aime tant qu'il nous respecte. Il ne s'adresse à aucun de nos intérêts. Il vise en nous ce qu'il y a de plus noble, notre générosité foncière. Il nous sait capable d'un véritable don de nous-mêmes. Il vient les mains vides et sollicite nos présents. 

   Il nous aime tant que ce qu'il vient nous demander , c'est notre amour. Ce n'est pas une soumission d'esclave, ce n'est pas un marché, par lequel il paierait notre service en nous accordant les avantages de la terre. Même ce que l'on appelle - et à bon droit - la "récompense " du ciel ne sera pas autre chose que l'épanouissement, la satisfaction de notre amour pour lui, lequel, comme tout véritable amour, est gratuit. Aussi Notre- Seigneur, venant ici-bas amorcer cet amour, ne nous séduit-il par aucun des prestiges qui achètent les faveurs humaines, argent, honneurs, puissance, réussite quelle qu'elle soit, il ne parle qu'à nos coeurs, en ce qu'ils ont de plus tendre, de plus délicat - prenons garde: de plus facilement compromis par les duretés du monde et les nôtres. Il vient à nous comme un petit enfant. 

   Reconnaîtrons-nous enfin Notre-Seigneur, comme les mages, sous les plus pauvres apparences? 

   Depuis les abaissements de la crèche, il est caché. On peut dire qu'il sera plus caché encore, lorsque sa vie sera publique: on le contredira jusqu'à ce qu'élevé entre ciel et terre , aux yeux de tous, il connaisse l'occultation suprême, dans l'apparent oubli où le laissera Dieu. Et c'est alors , dans l'échec humainement le plus honteux et le plus ridicule, qu'il triomphera, qu'il accomplira la rédemption. Tout le monde verra la croix, verra les clous, verra couler le sang; on entendra le cri désastreux :" Pourquoi m'avez-vous abandonné?" mais la résurrection aura lieu en secret, au petit matin, de quelle manière furtive!

    Elle sera sur terre l'irruption de la gloire, il ne faut pas qu'elle embrase tout, sinon par l'amour. L'amour divin, ténèbre absolue pour le monde, est seul clair à la conscience pure, dans cet ordre où tout le reste est mystérieux. Tout, y compris notre engagement personnel. 

   Les mages ne se doutent pas de la portée de leur mission; ils n'ont pas besoin de savoir qu'ils sont les premiers ambassadeurs des nations auprès du Christ-Roi. On en sait toujours assez pour témoigner ou refuser l'amour. Mais ce qu'on fait exactement, jusqu'où vont les actes, ce qu'ils représentent, quel personnage chacun de nous joue dans le drame, quel NOM sera inscrit sur le petit caillou blanc que l'on sera stupéfait de lire en arrivant au ciel, on n'en sait rien. " Père, pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font." Ils en savent assez pour être pleinement coupables, et avoir besoin de pardon, et cependant, il est vrai d dire qu'ils ne savent pas CE QU'ILS FONT, l'infini retentissement de leur crime. La loi se vérifie en bien comme en mal , et le partage est fait selon que le coeur se donne ou se ferme.

   Quand la vie est lourde, quand nous n'y comprenons plus rien, quand ce monde hagard et forcené nous angoisse, reconnaissons l'épreuve de l'amour. Dans le déchaînement de la haine, l'amour divin se cache pour  tremper vigoureusement le nôtre. Les âmes de peu de foi qui se plaignent: nous ne méritions pas cela; s'il était Dieu permettrait-il des choses pareilles ! - attestent qu'elles ne comprennent pas le premier mot du christianisme et qu'elles méprisent leur propre dignité, cette dignité qui est dans le pouvoir de donner de l'amour.

Plus est paradoxale la façon dont notre Dieu se manifeste, plus il nous croit capables d'aimer; il nous demande alors un amour fou. 

 

 

 

La leçon de l'Epiphanie. 

 

   Le progrès de la manifestation divine en ce monde pécheur est nécessairement un progrès de la croix.

  Car le christianisme n'est pas seulement un retournement, il est un engagement du converti dans le monde, à l'envers. Il l'engage dans une lutte avec ce "monde", qui n'est que concupiscence des yeux, concupiscence de la chair et orgueil de la vie, ce monde qui est tel en chacun de nous.

   Il ne s'agit pas de contempler les merveilles de Dieu , d'admirer sa doctrine, d'être ravis par sa parole - " Personne ne parle comme cet homme! " sa manifestation n'est pas un spectacle. Voir Dieu ne fera notre béatitude qu'au ciel. 

   Ici-bas, voir Dieu , c'est partir en lutte contre le mal. Il s'agit de faire la vérité.

   Le voir petit enfant dans sa crèche, c'est mépriser comme lui les biens périssables, sacrifier au royaume des cieux tout ce qu'il nous demande de sacrifier, et nous ne pouvons pas lui apporter l'or de notre amour, l'encens de nos prières, sans y joindre la myrrhe de nos peines courageusement offertes. Le voir comme le Fils de Dieu en qui le Père céleste nous adopte, ce n'est vrai que si nous surmontons les tentations en enfants de Dieu. Le voir comme le Tout-Puissant qui vient avec sa miséricorde subvenir à nos besoins, c'est être entraînés à notre tour dans le jeu de sa miséricorde , cela nous oblige à continuer envers ceux qu'il met sur notre route son oeuvre rédemptrice, et cela surtout est crucifiant. 

   Ne nous étonnons donc pas qu'il ménage notre faiblesse. C'est la merveille de miséricorde des sacrements qu'ils accomplissent en nous d'une façon tellement voilée le salut, qui serait aussi effroyable en chacun de nous que dans le Christ, s'il fallait que notre coopération consciente lui fût proportionnée. Mais Dieu ne nous sauve pas sans nous. 

   Son amour créateur nous veut auteurs de nos vies, son bon plaisir magnifique attise notre liberté, autant que sa causalité nous meut. Il faut donc qu'il se manifeste à nous, et ce n'est pas en tempête, c'est dans la brise imperceptible qui le faisait entrevoir à Moïse " par derrière " , après son passage. C'en est encore trop pour notre faiblesse, et désormais la tempête est en nous. 

   Il nous apporte la croix. La croix nous l'apporte. Une perspective nouvelle s'ouvre, où nous ne nous engagerons pas aujourd'hui. Les peines qui sont entrées en ce monde par le péché font dire au monde pécheur que Dieu se cache, mais l'enfant de Dieu sait que plus filialement il les accepte, plus Dieu s'y manifeste à lui d'une façon dont on peut aussi bien dire qu'elle est de plus en plus obscure ou de plus en plus claire. 

   Par la pauvreté en esprit , nous accédons aux richesses du royaume, par l'exercice crucifiant de sa miséricorde, nous recevons nous-mêmes miséricorde, par les persécutions, c'est encore le royaume que nous conquérons, et de croix en croix , notre âme avance dans les profondeurs de Dieu, jusqu'à la grande manifestation qui sera au plein jour de l'éternité .

 

RP Raymond  Regamey op+ 

   

   

 

Rédigé par Philippe

Publié dans #spiritualité

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