bas les masques !
Publié le 11 Février 2021
photo : petit Placide .
Eau de Crystal,
priez pour nous.
Est-il de souffrance plus profonde au coeur de l'homme que celle qu'il éprouve des mensonges auxquels il est asservi, parce qu'il a confondu sa personne et son personnage.
Nous savons bien, et Pascal nous l'eût appris, que nous ne nous faisons pas seulement par le dedans, par l'esprit. Du dehors, et par nos gestes, la machine nous engage dans l'humilité, le respect, la force. Ainsi l'éducation, les fonctions sociales tendent-elles à nous faire un personnage; mais c'est dans l'espoir que du geste et de l'attitude il se fera un passage dans le coeur.
Le danger est que sournoisement, lâchement, nous découvrions que le personnage suffit; et qu'au dedans de nous, nous pouvons toujours demeurer méprisants, si la parole est déférente; hostiles, si le sourire est bienveillant. Au lieu de façonner notre personnage, notre personnage s'est durci en un masque étranger à notre vrai figure. Il suffit qu'il y soit bien appliqué.
Alors tombe sur nous la nécessité implacable de " faire notre personnage", de "tenir" surtout notre personnage .
Mais quelle lassitude nous accable! Il y a si longtemps que nous portons ce masque! Ca été la fin de notre âge d'enfants. Politesse et bientôt dissimulation de ce qu'on pense, de ce qu'on aime. Face de savoir , cachant nos ignorances. Face de puissance, comme ces masques chinois, comme ces casques à crinière, rostro feroce, pour tenir en arrêt nos ennemis. Tout ce harnachement, cette armure de fer, où il faut se raidir pour faire figure dans la carrière, dans les affaires, dans le monde. Face, la plus lourde à porter, des vertus, grimace de justice, facies d' impeccabilité, sous lesquels pourrissent nos plaies secrètes. Persona , quelle ironie en ce mot dont nous avons fait: personnage, personne, et qui nativement signifiait masque simplement.
Jeter bas les masques! Bien sûr, on espère la solitude, la nuit pour, sans témoin, reprendre son vrai visage. Quand on est encore jeune. Au début du métier. Pour se laver des sueurs qui collent et respirer. Et puis , on se fait à tout. On craint, si l'on arrête son jeu, de ne plus pouvoir le reprendre. On est dupe du personnage qu'on se joue à soi-même et l'on finit par y croire.
Malheur à l'homme qui ne veut pas s'avouer son dégoût du mensonge où il s'est engagé! Et ce qui a réussi à ne plus être gêné par ce carton collé à son visage; qui ne se connaît plus que par le reflet de cette figure en sa glace ; et qui meurt dans son personnage! Hypocritae! Masques! c'est le seul mot impitoyable de l'Evangile.
Ils avaient bien raison, les Pharisiens, quand ils confessaient que lui, Jésus-Christ ne " regardait pas au masque des hommes " .
Or, si sot qu'en soit le dessein (sachant d'ailleurs que nous ne le tromperons pas), c'est plus fort que nous, face même à Dieu, nous paradons. Vainement; tant que l'on voudra. Mais la peur est plus forte. Nous tenons cela d'Adam qui, le premier, couvrit sa nudité de cette ridicule ceinture de feuilles de figuier. - " Pudeur ", dit-il à Dieu qui s'étonnait. Son premier mot était plus juste. " J'ai eu peur " ,avoua-t-il d'abord.
" Figure-toi, disait donc Péguy à son ami, comme lui redevenu chrétien, figure-toi que pendant dix-huit mois je n'ai pu dire mon Notre Père que votre volonté soit faite ! Je ne pouvais pas dire vraiment : Que votre volonté soit faite!
Alors, je priais Marie. ... Dans le mécanisme du salut, l'Ave Maria est le dernier secours. Avec lui , on ne peut -être perdu. "
... l'envie d'en finir avec le mensonge; parce qu'Elle est si simple, si candide qu'on n'a même pas envie de plaider, pour obtenir un accueil déjà offert, pour voiler une plaie déjà aimée. On ne redoute rien d'Elle, parce qu'Elle ne se scandalise de rien; Elle a déjà tout expié...
Refuge des pécheurs ! ...
O Reine, voici donc après la longue route,
Avant de repartir par ce même chemin,
Le seul asile ouvert au creux de votre main,
Et le jardin secret où l'âme s'ouvre toute.
Voici le lieu du monde où tout devient facile,
Le seul coin de la terre où tout devient docile,
Et ce même vieux coeur qui faisait le rebelle,
Et cette vieille tête et ses raisonnements;
Et ces deux bras raidis dans les casernements;
Et cette jeune enfant qui faisait trop la belle.
Voici le lieu du monde où tout rentre et se tait,
Et le silence et l'ombre et la charnelle absence,
Et le commencement d'éternelle présence,
Le seul réduit où l'âme est tout ce qu'elle était.
Ce qui partout ailleurs est une dure loi
N'est ici qu'un beau pli sous vos commandements,
Et dans la liberté de nos amendements,
Une fidélité plus tendre que la foi.
P. Paul Doncoeur