la force du Christ.
Publié le 16 Février 2021
" O mon Christ aimé, crucifié par amour . "
ste Elisabeth de la Trinité.
Notre Seigneur est à nos yeux le prince des martyrs, le modèle des héros chrétiens, le prototype de la vertu de force. Nous pensons même qu'il a donné à cette vertu un tour nouveau, une perfection jusque là inouïe, un sens tout à fait inédit. C'est lui qui l'a rendu chrétienne. Depuis lui, et par l'effet d'une grâce qui découle de lui en nous, nous avons d'autres façons et d'autres raisons que les païens , d'être forts. C'est spécialement devant la mort que le chrétien fait ses preuves. C'est aussi là que Jésus Christ a fait les siennes.
Sa mort a été, toute sa vie présente à son esprit. Elle est restée vraiment la grande affaire de sa vie. On peut dire que c'est dans la prévision de sa mort qu'il a donné toute sa mesure et déployé ainsi toute sa force , une véritable vertu de force. C'est par là qu'il se dresse de tout son haut et qu'il s'affirme dans la plus entière possession de soi et de tout. Vous vous souvenez des propos surprenants qu'il tient à ce sujet et que rapporte saint Jean : Si le grain ne meurt, il demeure seul; mais , s'il meurt, il porte beaucoup de fruit... Et moi, quand j'aurai été élevé de terre, je tirerai à moi tous les gens... Il disait cela , explique saint Jean, pour indiquer de quelle mort il allait mourir.
C'est dans la mort qu'il a mis le sceau à son Incarnation: on ne peut douter de la sincérité de celle-ci quand on sait que Jésus est mort comme il a fait. C'est dans la mort qu'il a mis le prix de notre Rédemption et qu'il en a puissamment fondé l'ouvrage: les rachetés du Christ le sont au prix de son sang, l'Eglise du Christ est née dans le sang de ce martyr. C'est dans la mort que Jésus a fourni le plus grand témoignage de son attachement à nous: Personne, dit-il, n'a plus de vrai amour que celui qui offre sa vie pour ses amis. C'est là qu'il cherche et qu'il trouve le plus sûr moyen d'étendre son règne sur nous et d'assurer notre incorporation à lui. Les premiers chrétiens ont tout de suite compris l'importance capitale de cette mort, et c'est pourquoi ils y ont trouvé un si grand culte. Il n'y a qu'à voir la place qu'en occupe le récit dans les quatre évangiles.
Il faut bien remarquer le caractère pleinement délibéré et parfaitement résolu de cette mort. Rien n'y est fatal. Tout y est cherché. Jésus meurt dans la force de l'âge aussi bien que dans la force de son âme. S'il est victime, c'est qu'il le veut bien. Par une vue qui lui parait toute simple , il se considère comme un bon pasteur qui offre sa vie pour les brebis de son troupeau: il tient là-dessus des propos , qui sont bouleversants , de gentillesse et de don de soi. Cependant il souligne hautement la vigueur de l'acte et la valeur du don : Ma vie, dit-il,, personne ne me l'enlève, c'est de moi-même que je l'offre, j'ai le pouvoir de l'offrir et j'ai aussi celui de la reprendre, tel est l'ordre et le mandat que j'ai reçu de mon Père. Tout parait se liguer contre lui, mais c'est lui qui veut bien se livrer. Rien ni personne n'aurait pouvoir sur lui si lui-même ne s'y prêtait. Il meurt de mort violente. Il est odieusement condamné, honteusement exécuté. Il ne s'en plaint pas. Plus ils sont enragés à le perdre, plus il est ardent à les sauver. Où sont la haineuse illusion de l'écraser, il se fait fort de vaincre.
Une objection peut se lever ici dans nos esprits. Jésus sait où il va, il sait qu'il en sortira, il sait qu'il s'en tirera: de cela nous ne pouvons douter. Si donc ni la mort en soi, ni sa mort à lui n'ont pour lui aucun mystère, nous sommes enclins à penser qu'elles ne doivent point tant lui causer d'épouvante: cependant c'est un fait qu'il en a . Nous touchons sur ce point les profondeurs de Jésus-Christ. Ces profondeurs, il ne nous appartient pas de les mesurer sur nous, c'est à nous d'essayer de nous étendre jusqu'à elles. Il faut tenir tous les fils, et prendre les faits comme ils sont. Jésus n'en a aucune simagrée devant nous ni devant Dieu. Il n'a pas fait semblant de mourir. Il n'a pas simulé la peur de mourir. Sa mort a été bien réelle, et des plus atroces. Elle lui a fait peur plus qu'à nous. Il faut prendre cela au sérieux, au tragique même. Et , comme nous sommes pourtant bien sûrs qu'il avait tout sous son regard, l'avenir ainsi que le présent, l'éternité ainsi que le temps, nous sommes amenés à conclure que ce qui l'épouvante dans la mort, ce n'est pas l'inconnu qu'elle recèle, c'est au contraire l'immensité qu'il y voit. Pour le moment, il nous dit qu'il est dans le bain et que sa mort est un calice bien amer à boire: sur ce nous devons le croire, et nous voyons qu'il dit vrai et qu'il est terriblement angoissé jusqu'à ce que ce soit accompli.
Il n'y a donc pas à définir la vertu de force autrement pour lui que pour nous. Elle est cette fermeté d'âme qui fait qu'il ne va pas broncher devant la mort. Le point cardinal de la force morale de Notre-Seigneur Jésus-Christ, il faut oser le dire, a été son équilibre et son parfait aplomb par rapport à la mort.
Il a été fort parce qu'il a eu le courage et l'intrépidité d'affronter les périls et les peines qui le menaient là. Il a été fort parce qu'il a su dominer les frayeurs et les craintes que ressentait son âme, sa grande âme humaine. Il a été fort parce qu'il a su dompter ses colères généreuses et modérer ses plus légitimes et ses plus saintes irritations, pour aller mourir comme il fallait qu'il mourût. Il a été fort parce qu'il a su demeurer dans tout cela noblement et simplement soi-même, l'élu de Dieu , le sauveur et l'ami des hommes. Enfin et surtout il a porté la vertu de force au plus haut degré de perfection parce qu'il su imprimer à sa mort, pourtant hideuse à tant d'égards, la sainteté et la solennité des grandes causes dont il s'inspirait et pour lesquelles il se sacrifiait: il revêt dans la mort toute la majesté du père ou de la mère même , qui se sacrifie pour ses enfants, du prince qui meurt pour son peuple, du prêtre qui meurt pour son Dieu. Je meurs, dit-il pour que vous viviez.
Nous pouvons donc penser qu'il meurt de sa plus belle mort et que la force dont il a fait preuve a l'éminente qualité du martyre.
Lorsque Jésus commence sa vie publique, il sait qu'elle sera de courte durée. Il lui faut en très peu de temps mener à bien de grandes choses. Dès lors, on dirait que la brièveté des jours et l'exiguïté des éléments dont il dispose ne font qu'augmenter la magnanimité des vues qu'il a , la portée des enseignements qu'il donne et des institutions qu'il fonde . Il dit et il fait avec une sorte de naturel et de simplicité qui ajoute à sa grandeur. La mort qui le guette l'oblige, non pas certes à faire vite, mais à voir grand et à faire grand. Il est splendide comme un créateur, qui se joue du temps et du néant. Il va fonder et lancer sa société religieuse, bâtir son Eglise comme il dit, en un rien de temps. Il fait ses plus grandes révélations avec des mots de son pays, il élève sa construction avec des hommes et des choses de chez nous, du pain, du vin, des paysans, des marins; mais fortement il pose sur tout et sur tous sa propre grandeur, et de ses mains l'oeuvre sort magnifiée, consolidée, avec tous les promesses du temps et de l'éternité. Il fait preuve, en toute cette entreprise, d'une grandeur d'âme qui est incomparable. Il se sent d'autant plus fort qu'il sait que sa mort même, bien loin de tout compromettre, apportera une suprême consécration à tout ce qu'il est et à tout ce qu'il fait. Aussi est-ce sur cette avenue de grandeur qu'il invite à le suivre et qu'il entraîne ses vrais disciples.
Pour être dignes de lui, pour pouvoir faire route avec lui, nous devons voir grand comme lui et nous devons être prêts à nous sacrifier pour les grandes causes qu'il sert, auxquelles il a si magnifiquement voué sa vie.
Cette mort même qu'il voit venir, cette croix qui le hante, il les pare de magnificence, il les auréole de sa grande âme. Il les associe à ses plus hautes révélations et aux plus beaux moments de sa vie. Il les fait pressentir aux maîtres en Israêl dans ses soirées de Jérusalem. Il les annonce gravement à Pierre et aux apôtres après qu'ils l'ont proclamé le Christ Fils de Dieu vivant. Il s'en entretient dans la gloire de la transfiguration avec les deux grands hommes de l'ancienne révélation, Moïse en qui se résume toute la Loi et Elie en qui se récapitulent tous les prophètes.
Il salue sa Passion comme ce qui est écrit et prédit de lui, c'est-à-dire comme la pensée du Père et comme la volonté du Père. C'est sa mort enfin qu'il va investir d'une véritable pérennité par l'invention prodigieuse de sa sainte Cène: toujours il rassemblera ses fidèles autour d'elle , et c'est par elle qu'il ouvre à lui comme à eux la bienheureuse éternité. Elle explique l'intrépide grandeur de sa vie.
De cette acceptation de la mort, de cette consécration par la mort, il tire véritablement toute sa gloire. Il l'appelle son heure, il l'appelle sa gloire. Il y met son point d'honneur. Il se fait fort par là de tout sauver. Sachant que son Père lui a tout mis dans les mains et que c'est de Dieu qu'il est sorti et que c'est vers Dieu qu'il s'en va, il sait aussi que son heure viendra et que c'est pour lui le grand moyen, royal et sacerdotal toujours, de remonter vers son Père et d'y emmener tous ceux que son Père lui a donnés.
rp Bernard op +