pour la quinquagésime. "" Stat crux dum volvitur orbis "

Publié le 12 Février 2021

 

 

 

" Voici que nous montons à Jérusalem..!"

 

   Deux mystères sont exprimés dans le signe de la Croix, l'un par les paroles prononcées, l'autre par le geste qui accompagne ces paroles et en ce double mystère, c'est tout le dogme et la morale qui sont contenus, c'est tout le drame de notre existence qui est évoqué.

   Jamais les païens ou les philosophes n'ont prononcé ces simples mots que balbutie un enfant: " Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. " En ces paroles c'est notre foi en Dieu qui est affirmée. 

   Le mystère de  Dieu est impénétrable: toute sagesse des sages de ce monde serait impuissante même à en soupçonner la grandeur. Mais pour le plus petit des disciples de Jésus, un coin du voile est levé, il sait que Dieu est société: Père, Fils, Esprit. L'intelligence se perd, elle entre dans l'épaisseur du mystère divin et, du coup, elle devine quelque chose du bonheur de Dieu. La révélation de la Trinité c'est pour nous la révélation de la béatitude suprême. Le signe de la croix est une profession de foi au bonheur.

   Car, ce bonheur ne nous est pas étranger. Les païens ont pu concevoir que Dieu fut heureux, mais après des siècles de réflexions et d'efforts, devant l'inutilité de leurs vertus pour s'élever au-dessus d'eux-mêmes et améliorer l'humanité, ils concluaient à deux mondes séparés à jamais. Rien de plus tragique, de plus désespéré que ce mot qui résume la sagesse antique :" Les dieux sont les dieux, les hommes sont les hommes " . D'un côté, l'univers de la souffrance et de la mort, de l'autre, l'univers du bonheur. On appartient à l'un ou à l'autre. On ne passe pas de l'un à l'autre. 

   La révélation chrétienne renverse tout cet échafaudage. Elle ouvre, il est vrai, de tels aperçus sur le bonheur de Dieu, elle le situe si haut, elle donne de tels motifs d'en concevoir la transcendance qu'on aurait pu croire les ponts à jamais coupés. 

   Il n'en est rien : tout au contraire celui-là même qui apporte cette Révélation, Jésus, est précisément celui qui renverse le mur de séparation, il est selon le mot si profond de sainte Catherine de Sienne, le Pont jeté entre le ciel et la terre. Une perspective nouvelle s'ouvre devant nous: Dieu est heureux, souverainement heureux, il n'a pas besoin de personne, et cependant s'il a créé des hommes, ça été par amour et comme pour étendre son bonheur.

   La béatitude de la Trinité éclate: s'il y a des hommes et des anges, c'est que Dieu - par amour - a voulu les associer à son bonheur. Ainsi affirmer la Trinité, faire le signe de la Croix, c'est affirmer le bonheur, celui de Dieu, mais aussi celui des hommes appelés à partager la béatitude divine; les paroles du signe de la Croix sont une profession de foi en la béatitude, elles recouvrent ces derniers mots qui achèvent comme un cri de victoire notre Credo: Je crois en la vie éternelle.

   Or voici que le geste qui accompagne ces paroles va à l'encontre de ce que j'affirme.

   La croix, c'est l'instrument de torture. La souffrance ne suffisait pas. Ce n'était pas assez de la faim et du froid, de la maladie et de la mort, il fallait que les hommes, compagnons de misères s'ingéniassent encore à se faire mutuellement souffrir. Il fallait - c'est Jésus qui le dit- que ce bonheur que j'évoquais à l'instant nous fut acquis au prix des souffrances de l'Homme-Dieu. Dieu est heureux, souverainement , inébranlablement heureux dans sa Trinité et voici que la béatitude qu'il nous veut, c'est par la Croix qu'il nous l'obtient; le bonheur c'est au prix du malheur qu'il nous le donne.

   Or ce signe, ce signe de mort et de désespérance, c'est sur mon corps que je le trace comme pour dire que, moi aussi, je suis voué à la souffrance, fut-elle injuste, que j'accepte cette souffrance et que je la veux. Mystère, mystère encore et qui va, semble-t-il à l'encontre du premier. 

  La Trinité nous entrainait vers les hauteurs, au-delà de tout bonheur concevable, la  Croix nous ramène sur la terre et nous force à regarder en face - pour l'aimer - une souffrance que nous fuyons de toutes les forces de notre être. Les paroles affirment, le geste qui accompagne les paroles nie, ou plutôt, les paroles affirment, le geste affirme, et ces deux affirmations vont en sens diamétralement opposé. Mais parce que geste et parole forment un tout, ils constituent l'affirmation la plus dissonante, la plus scandaleuse , la plus mystérieuse qui se puisse concevoir. 

   On comprend le cri des Juifs assistant à la Passion, de ceux-là qui, séduits par la grandeur du Christ, se demandent au Calvaire, si celui qu'ils viennent de crucifier ne serait pas le Fils de Dieu: Descends de la Croix et nous croirons en toi. Ainsi parle la sagesse humaine . La sagesse divine a un autre langage, et le Christ, Sagesse de Dieu expire sur un gibet.

   L'homme ne comprend pas la souffrance: tout au plus peut-il l'accepter comme un fait qui reste une pierre d'achoppement pour son intelligence et qu'il ne sait comment concilier avec la bonté et la puissance de Dieu. On a vu les philosophes, tour à tour, nier la souffrance pour mieux affirmer la transcendance de Dieu ou nier Dieu pour être fidèle à la logique de la souffrance.

   Le signe de la Croix laisse bien en arrière ces sagesses trop courtes; dans un même geste, il affirme , d'une part, Dieu , son bonheur, son amour pour nous, notre vocation à la béatitude et d'autre part il reconnait l'existence d'une souffrance qu'il accepte et qu'il va jusqu'à aimer. 

  Contradiction! non, mystère, mystère de notre vie, mystère du Christ. Car c'est en Jésus-Christ qu'une première fois s'est réalisé ce mystère de la coexistence et de l'accord du bonheur suprême de Dieu et de l'extrême souffrance de l'homme. 

   Au temps de Pâques, l'Eglise honore tout spécialement les stigmates du Christ. Elle ne fait en cela que continuer le geste du Christ qui apparaissant à ses disciples se plait à leur montrer les plaies des pieds, des mains et du côté. Les stigmates sont devenus signes de gloire, eux qui furent source de souffrance. La souffrance de Jésus devient source et cause de bonheur pour lui-même et pour nous. La Croix, le signe de la Croix domine le monde, le nôtre et celui-là-même de la gloire.

   C'est pourquoi le signe de la Croix marque nos existences du sceau de son double mystère, il accompagne tous les sacrements depuis le baptême où l'on en marque le néophyte sur le coeur et sur le front (afin que son amour et son intelligence soient ouverts à la charité et à la foi) jusqu'à ces onctions en forme de croix que l'on fera, au dernier jour, sur le moribond. C'est du signe de la Croix que l'on confirmera, que l'on pardonnera, que l'on marquera les nouveaux conjoints: l'Eucharistie, ce mémorial de la Passion , on ne la donnera pas sans avoir tracé avec le pain sacré le signe de la Croix; par lui enfin commencent et s'achèvent nos prières. Bien plus, c'est d'un signe de Croix que l'on bénira: le signe du mépris et de la torture est devenu en christianisme celui de la bienvenue et de la bénédiction.

   Heureux l'homme qui comprend ces choses, car ce ne sont pas la chair et le sang qui les enseignent ! Seul ! le Père les peut révéler.

   L'enfant s'étonne quand il apprend le signe de la Croix est le résumé de toute la religion. Les gestes les plus simples sont aussi les plus expressifs. Dieu n'est-il pas la simplicité même

   " Stat crux dum volvitur orbis - La croix demeure tandis que l'univers s'écoule."

   Telle est la devise des Chartreux. En ces temps si troublés où toute valeur semble sombrer, il faut regarder la Croix et se conformer à elle. 

   Jadis les grands calvaires jalonnaient nos routes. Notre route aussi nous fait découvrir la croix à plus d'un tournant de notre vie. Signe de contradiction, signe de mort, croit-on, signe de vie plus encore. Oui, il y a la souffrance et l'injustice de la mort, mais il a aussi la vie et c'est en la croix qu'elle est cachée.

   Je crois à la vie éternelle parce que ma foi va d'abord à Jésus crucifié. Et si cette souffrance est pour moi si mystérieuse, si incompréhensible que toute parole se refuse à en parler et que dans le signe de la Croix ce n'est que d'un geste que je l'évoque, mes lèvres prononcent ces mots si grands qui définissent le mystère du bonheur, j'affirme notre vocation au bonheur au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. 

   RP Louvel op + 

 

Rédigé par Philippe

Publié dans #spiritualité

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