Vendredi de carême

Publié le 25 Février 2021

 

 

   

 

   Qu'avez-vous commis, très doux enfant, pour être jugé ainsi? Qu'avez-vous commis, très affectueux jeune homme, pour être ainsi traité? Quel est votre crime, quel est votre tort, quel est le motif de votre mort, l'occasion de votre condamnation? 

   C'est de ma blessure que vient votre douleur, c'est ma faute qui vous a tué. C'est moi qui me suis donné les coups, c'est vous qui en souffrez, votre crucifixion est le fruit de mon travail. C'est moi qui ai mérité votre mort, c'est de mon infamie que vous portez le châtiment. O admirable punition, ô mystère ineffable! Le vicieux pèche et c'est le vertueux qui est puni; le coupable accomplit les délits et c'est l'innocent qu'on fouette; l'injuste offense , et on condamne le juste; ce que mérite le méchant, c'est le bon qui le subit; ce que consomme le serviteur c'est son maître qui le paie; ce que commet l'homme, c'est Dieu qui en supporte les conséquences. 

   Jusqu'où s'est abaissé, Fils de Dieu, votre humilité? Jusqu'où a brûlé votre charité? Jusqu'où est allée votre bonté? Jusqu'où s'est élancée votre bienveillance? Jusqu'où a atteint votre amour? Où est parvenue votre compassion? C'est moi qui ai violé la justice et c'est vous qui payez l'amende; j'ai perpétré le crime et c'est vous qui êtes puni; j'ai accompli le forfait et vous vous soumettez à la torture; je me suis enorgueilli et vous vous humiliez; je me suis enflé , et vous vous rapetissez : j'ai désobéi et vous effacez par votre obéissance le méfait de ma désobéissance; j'ai cédé à la gourmandise, et vous souffrez la faim; l'attrait de l'arbre m'a entraîné au péché, votre charité parfaite vous convie à la Croix; j'ai porté la main sur le fruit défendu, vous avez subi l'instrument du supplice; je me suis régalé de cette nourriture, vous jeûnez sur le gibet; je me délecte dans la jouissance, vous êtes déchiré par les clous; je goûte la douceur de la pomme, et vous l'amertume du fiel; Eve en riant prend part à mon plaisir, Marie en larmes à votre douleur. 

   Voici, Roi de gloire, voici paraître mon impiété et briller votre piété, voici rendues évidentes mon injustice et votre justice. Que vous rendrai-je , ô mon Roi et mon Dieu, pour tous les bienfaits dont vous m'avez comblé? Car on ne peut trouver dans le coeur de l'homme une réplique digne de telles faveurs.

  Est-ce que toute la sagacité humaine pourrait inventer quelque chose de comparable à la miséricorde divine? Et il n'est pas au pouvoir de la créature de fournir par ses travaux une juste contrepartie aux secours qu'elle reçoit du Créateur; mais cependant dans votre admirable providence, ô Engendré de Dieu, vous avez laissé à ma fragilité un besoin à satisfaire ce qu'elle fera si , recevant en esprit la componction qu'apporte votre visite , elle crucifie sa chair avec ses vices et ses concupiscences; et lorsque vous le lui avez accordé, elle commence en quelque sorte à souffrir avec vous pour vous, puisque vous-mêmes avez daigné mourir à la place du pécheur. 

   Et ainsi remportant sur elle-même cette victoire intérieure, à votre suite elle se fortifie pour la palme intérieure; car étant venue à bout de la persécution spirituelle, elle ne craint plus d'être soumise pour votre amour au glaive matériel. Par ce moyen , la petitesse de sa condition si elle se rend agréable à votre bonté, aura le pouvoir de répondre, dans la mesure de ses forces, à la grandeur du Créateur.

   C'est là le remède céleste, bon Jésus, c'est là l'antidote que nous a préparé votre amour. Je vous en supplie, par vos oeuvres de miséricorde de jadis, versez sur mes blessures l'onguent qui pourra neutraliser l'infection venimeuse qu'y a causée la vipère et me rendre à mon intégrité première; faites qu'ayant goûté le nectar de votre suavité, je méprise de toute mon âme les séductions de la prospérité qu'offre le monde, et ne redoute de sa part à cause de vous aucune adversité; et qu'enfin , me souvenant de la noblesse éternelle, j'éprouve une répugnance persévérante pour les vents de l'enflure éphémère d'ici-bas. 

   Que sans vous, rien, je vous en prie, ne me soit agréable, que rien ne me plaise, qu'aucun trésor, qu'aucune beauté ne m'agrée, hormis vous. Que toutes choses, si je ne vous y trouve pas, soient viles à mes yeux, que toutes mes soient un objet de dédain. Que soit pénible pour moi ce qui vous est contraire; et que pareillement soit insatiable mon désir de ce qui vous plaît . Que la joie sans vous me soit ennui; et que mon bonheur soit d'être attristé pour vous. Que votre nom soit mon réconfort, et votre souvenir ma consolation; Que mon pain, ce soient les larmes que je verserai nuit et jour en scrutant votre justice; que j'estime votre loi un bien pour moi au-dessus de monceaux d'or et d'argent. Que j'aime à vous obéir, qu'il me soit abominable de vous résister.

   Soyez indulgent à mes impiétés, je vous le demande, ô mon espérance, par toutes les oeuvres de votre puissance. Ouvrez mes oreilles à vos commandements, et ne laissez pas mon coeur s'abandonner aux paroles de malice, j'en rappelle à votre saint nom, pour chercher des excuses à ses péchés

   Je vous implore aussi par votre admirable humilité, que le pied de l'orgueilleux ne m'atteigne pas, et que la main des méchants ne me fasse pas fuir. 

 

Jean de Fécamp

Rédigé par Philippe

Publié dans #spiritualité

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article