chant grégorien, abbaye de Solesmes
Publié le 9 Mars 2021
la réédition d’enregistrements historiques des moines de la Sarthe. Somptueux.
« Gramophone avait été pionnier puisque dès 1904, à l’initiative du pape Pie X, le label avait capté des chants grégoriens à Rome. Par la suite, l’intérêt pour cette musique ne s’est jamais vraiment émoussé. Un ancien responsable artistique d’Universal et Sony me racontait encore, il n’y a pas longtemps, qu’ils avaient vendu 300 000 disques de grégorien en un seul été dans les années 90 », indique Jean-Baptiste Mersiol. C’est au hasard d’un marché aux puces dans la commune d’Epfig qu’il était tombé sur un coffret des douze 78-tours de 1930. « Hormis un disque cassé, ils étaient tous en bon état », ajoute-t-il. Du coup, sa quête consistera à trouver un exemplaire de l’enregistrement manquant. Lacune qu’il finira par combler grâce aux ressources du Net.
À ce corpus initial, s’ajouteront d’autres enregistrements des moines de Solesmes, datés des années 50 à début 60, avec des plages plus longues qu’autorise désormais le format du 33 tours. C’est cet ensemble que Jean-Baptiste Mersiol va restaurer, dans l’idée de publier en coffret de 3 CD l’intégralité chronologique de ces disques, qui couvrent une période de trois décennies.
Le résultat, sur le strict plan de la qualité sonore, est stupéfiant. Ceux qui s’attendent, pour les enregistrements les plus anciens, à des chants grésillants, à une petite friture perturbant l’écoute, n’en reviendront pas d’une restitution digne d’une captation actuelle. « On peut faire des miracles avec des diamants qui vont chercher le son au plus profond du sillon et avec les logiciels adaptés », sourit Jean-Baptiste Mersiol.
Le musicologue plus réservé
Si Jacques Viret admet l’intérêt historique d’un tel coffret, le musicologue sourcilleux d’authenticité dans l’interprétation du grégorien se révèle plus réservé par l’école de Solesmes : « Ils ont durablement marqué leur temps. Mais la façon dont ils abordent le grégorien paraît aujourd’hui terriblement datée. Ils sont les héritiers d’une tradition romantique du grégorien qu’ils n’ont pas fait évoluer à la lumière des avancées musicologiques actuelles », dit-il, évoquant « des brèves et des longues qui ne sont pas respectées ». C’est auprès des traditions de Byzance et de l’Orient que Jacques Viret préconise de s’inspirer. Et met en exergue l’important travail de recherches mené par Damien Poisblaud et Marcel Pérès, « les deux meilleurs interprètes du grégorien » – le premier pour le grégorien ancien, antérieur à l’an 1000, le second pour le vieux-romain et le plain-chant tardif.
De tout cela, Jean-Baptiste Mersiol en convient bien volontiers, « même s’il est difficile de se fixer sur une interprétation, mille ans après, avec une notation comme celle des neumes qui n’est pas aussi précise que la nôtre aujourd’hui ». Lui préfère privilégier l’absolue beauté du grégorien de Solesmes. « Il y a dans ces enregistrements une sérénité, un apaisement, une invitation à la méditation… », s’enthousiasme-t-il. On comprend que pour lui, elle dépasse toutes les querelles d’écoles.