homélie pour la fête de St Benoit - dom Jean Pateau père abbé de Fontgombault
Publié le 22 Mars 2021
+ SAINT BENOÎT
Homélie du Très Révérend Père Dom Jean PATEAU Abbé de Notre-Dame de Fontgombault
(Fontgombault, le 22 mars 2021)
"Centuplum accipiet"
Il recevra le centuple (Mt 19,29)
Chers Frères et Sœurs, Mes très chers Fils,
Saint Grégoire dans sa Vie de saint Benoît évoque un événement étonnant : la vision du monde entier dans un seul rayon de lumière accordée au Père des moines d’Occident. Servandus, diacre et abbé d’un monastère était venu visiter le patriarche. Comme Benoît, c’était un homme de Dieu. « Comme par une sorte de courant allant de l’un à l’autre, ils s’imprégnaient mutuellement des douces paroles de la vie, et, cette suave nourriture de la patrie céleste dont ils ne pouvaient jouir encore parfaitement, ils la goûtaient du moins en soupirant après elle. »
L’heure du repos arrivé, les deux moines se séparèrent. Mais, Benoît, alors que les frères reposaient, debout à sa fenêtre priait. Soudain, dans la nuit profonde, il vit une lumière répandue d’en haut chasser toutes les ténèbres de la nuit et briller d’une splendeur qui surpassait la lumière du jour.
Dans cette lumière, Benoît voyait « le monde entier, comme rassemblé sous un seul rayon de soleil. »
Désirant associer à sa vision, un témoin, saint Benoît appela Servandus qui vit « un petit reste de lumière. » La vie de saint Benoît écrite par saint Grégoire fait partie d’un ensemble plus important intitulé Dialogues. Saint Grégoire y converse en effet avec le diacre Pierre. Celui-ci interroge : « Suivant quel ordre de choses peut-il bien se faire que le monde entier soit vu par un seul homme ? La réponse du Pape Grégoire est limpide : Pour l’âme qui voit le Créateur, toute créature paraît bien exiguë… Ce n’est pas que la terre et le ciel se fussent contractés, poursuit le pape, mais que l’âme du Voyant s’était dilatée, elle qui, ravie en Dieu, put voir, sans difficulté, tout ce qui était au-dessous de Dieu.
Ainsi donc, en union avec cette lumière qui jaillissait devant ses yeux, à l'extérieur de lui-même, il y avait, dans son esprit une lumière intérieure qui, parce qu’elle ravissait l'âme du Voyant vers les hauteurs, lui montrait combien étaient exiguës toutes les réalités d’en bas. L’union avec Dieu donne accès à un nouveau regard sur le monde. C’est la leçon que donne cet épisode de la vie de saint Benoît.
Celui-ci prend place juste après sa dernière rencontre avec sa sœur Scholastique et la mort de celle-ci. Lors de cette rencontre, cette dernière avait donné une leçon à son frère en obtenant une abondante pluie qui contraignit son frère à demeurer avec elle pour prier : elle avait été plus puissante parce qu’elle avait plus aimé.
Tout quitter pour suivre le Christ assure une récompense.
Jésus assure Pierre que lorsqu’il reviendra, lorsque que le Fils de l’homme sera assis sur son trône de gloire, les douze qui l’ont suivi siégeront « aussi sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël. »
Mais comme souvent Jésus ne limite pas sa perspective à la question de son interlocuteur, il l’élargit : Celui qui aura quitté, à cause de mon nom, des maisons, des frères, des sœurs, un père, une mère, des enfants, ou une terre, recevra le centuple, et il aura en héritage la vie éternelle.
Ce centuple ne serait-il pas une part à ce regard que les apôtres auront sur le monde à la fin des temps pour juger et que saint Benoît partagea dès cette terre dans la vision que rapporte saint Grégoire.
Le chapitre 19e de saint Matthieu s’est ouvert sur une discussion avec les pharisiens pour savoir s’il est permis à un homme de renvoyer sa femme pour n’importe quel motif. Jésus répond que « ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (v.6)
Alors que l’on conduit à Jésus des enfants, ce ne sont plus les pharisiens, mais les disciples eux-mêmes qui veulent les éloigner de Jésus. La réponse du maître est sans équivoque : « Laissez les enfants, ne les empêchez pas de venir à moi, car le royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent. » (v.14)
Voici alors qu’un jeune homme, probablement encouragé par l’accueil fait aux enfants, s’approche de Jésus : « Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? »
Jésus l’invite à pratiquer les commandements. L’homme pieux affirme que déjà, il les a mis en pratique et qu’il veut faire davantage. Pour atteindre la perfection, Jésus ne l’invite pas à faire davantage mais à abandonner ce qui le retient, ce qui au fond l’empêche d’aimer plus pleinement : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi. » (v.21)
Le jeune homme ne donnera pas suite. L’évangéliste en donne la raison : il avait de grands biens… il n’était pas libre comme un enfant. Il ne pouvait accueillir davantage le Christ dans sa vie en renonçant à tout pour lui.
Les biens de la terre qui occupent le cœur ne laissent que peu de places aux biens éternels. Le regard que portent les pharisiens sur les commandements de Dieu, le regard que portent les disciples sur les enfants ne sont pas le regard que Dieu porte sur celui qui est faible ou vulnérable. Dieu accueille.
L’évangile de ce jour et l’enseignement de saint Benoît invitent à détourner le cœur des préoccupations vaines et caduques pour épouser dès maintenant le plan de Dieu, la vision de Dieu sur chaque homme.
Comme les pharisiens nous pouvons tirer à nous les commandements de Dieu, en faire des armes à notre usage. Comme les disciples, nous pouvons estimer que tel ou tel n’est pas digne d’approcher Jésus.
Pour devenir ami de Dieu, il ne s’agit pas tant de faire plus – Dieu n’a besoin de rien – que d’abandonner ce qui retient du don total, ce qui prend dans un cœur la place de l’amour. Alors que le carême va s’achevant et que s’approchent les solennités pascales, souvenons-nous qu’il n’y a pas de plus belle preuve d’amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.
Ouvrons nos cœurs secs à la rosée bienfaisante de la grâce. La vision de saint Benoît rappelle que Dieu embrasse tout l’univers. Rien n’échappe à sa Providence, à son gouvernement. L’ami de Dieu voit selon Dieu et agit selon Dieu. Voici une part du centuple accordé par le Seigneur à ses amis. Qu’il nous unisse pour toujours à sa vie dans l’éternité.
Amen.