In Cena Domini - homélie dom Jean Pateau Père abbé de Fontgombault .
Publié le 1 Avril 2021
+ JEUDI -SAINT
Homélie du Très Révérend Père Dom Jean PATEAU
Abbé de Notre-Dame de Fontgombault
(Fontgombault, le 1 avril 2021)
Chers Frères et Sœurs, Mes très chers Fils,
L’Église en la fin du Carême semble rompre avec l’austérité et le dépouillement auxquels elle nous a habitués depuis le mercredi des cendres et même le dimanche de la Septuagésime. La Messe chrismale et la Messe in Cena Domini ou Messe de la Cène du Seigneur sont d’une grande richesse au plan liturgique. La première était célébrée traditionnellement dans la matinée du Jeudi-saint dans les cathédrales autour de l’évêque. Au cours de cette Messe sont bénies l’huile des malades et l’huile des catéchumènes, et est consacré le saint Chrême. Ces huiles, emportées dans chaque paroisse, sont normalement conservées dans un petit logement pratiqué dans le mur de l’église et fermé par une porte. L’huile des malades est utilisée pour le sacrement du même nom qui procure le don d’une grâce particulière pour porter l’état de maladie. L’huile des catéchumènes confère la force du Saint-Esprit aux futurs baptisés pour le combat de la vie spirituelle. Enfin, le saint chrême, une huile mêlée de parfum, est utilisée pour les onctions de consécration lors du baptême, de la confirmation, après l’ordination épiscopale et sacerdotale, lors de la dédicace des églises et des autels.
L’onction du saint chrême avec la présence du parfum symbolise la descente de la divinité qui vient à nous par le Christ et l’Esprit-Saint pour répandre sur les autres la bonne odeur du Christ.
Aujourd’hui la Messe chrismale est en général anticipée dans les premiers jours de la semaine sainte et prend souvent place au cours d’une journée de prière de l’ensemble du clergé diocésain autour de son évêque. La Messe de la Cène a conservé sa place dans l’après-midi ou la soirée du Jeudi-saint. On y commémore l’institution des sacrements de l’Eucharistie et de l’Ordre. Le déroulement de la Messe est calqué sur le dernier repas de Jésus avec ses disciples au Cénacle à Jérusalem. Aussi, le cours habituel de la Messe est-il interrompu par le rite du Lavement des pieds après l’homélie. Cet acte est un acte d’humble humanité à l’égard du visiteur dans un pays où faire de la route à pied sous le soleil est épuisant. Lors du repas pascal, le Seigneur explicite le sens de son geste : Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.
C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. (Jn 13, 13-15) Comme nous le chanterons : « Là où règne l’amour et la charité, Dieu est présent. Gardons-nous de nous diviser… Que cessent discordes et procès. Que le Christ demeure au milieu de nous. »
Comme la vie de nos familles, de nos communautés, comme notre propre vie pourraient changer si nous étions attentifs et mettions en pratique ces paroles. Comme lors de chaque Messe, le sacrifice accompli une fois pour toutes lors de la Cène du Seigneur et au Calvaire sera rendu présent au moment de la Consécration. Le récit de l’institution de ce sacrement, tiré de l’épître aux Corinthiens, a rappelé les paroles du Seigneur : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi… Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. » (1 Co 11, 24-25)
Ces paroles s’adressent à chaque prêtre. Celui-ci ne peut se contenter d’accomplir simplement des gestes. Il est uni au Christ, pris dans le mystère du Christ.
Ces paroles aussi s’adressent à chaque fidèle.
Participant eux aussi au sacrifice du Christ, ils reçoivent le Christ à la mesure de leur communion profonde avec lui, de leur adoration du mystère. La fin de la Messe déroge aussi au cérémonial habituel. Après le repas de la Cène, les disciples sont partis vers le Jardin des Oliviers. Là, Jésus entre dans une prière profonde ; il entre en agonie. Puis viendront l’arrestation, le dépouillement des vêtements, la Passion : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » (Jn 15,13)
En cheminant vers le reposoir, en adorant auprès du tabernacle, nous voulons accompagner le Seigneur dans un moment de profonde solitude où il porte le poids de chacune de nos vies. Puisse chaque communion rejoindre ces instants.
Enfin la cérémonie de ce soir s’achèvera par le dépouillement des autels à l’instar du Christ dépouillé de ses vêtements. Un verset de psaume clôturera le rite : « Ils partagent entre eux mes habits et tirent au sort mon vêtement. » Quel contraste !
D’un côté, la surabondance des dons divins répandus si largement par l’humanité du Christ ; de l’autre, des hommes armés, conduits par le traître Judas qui ne veulent que sa mort.
Telle est la réponse de l’homme à la bonté de Dieu. Du Christ, ils prendront les habits se les partageant.
Que recevons-nous du Christ ? Que faisons-nous de ses vêtements ? Saint Paul nous invite à revêtir le Christ. Nous le ferons par la garde des commandements divins, de ses paroles, qui n’ont pour vocation que de nous apprendre à adorer Dieu, à aimer notre prochain selon Dieu. Nous les mettons si facilement de côté, laissant libre cours à notre propre exaltation. Les vêtements du Christ que nous gaspillons, ce sont aussi les multiples dons divins de la création et en particulier le don de la vie. Apprenons à respecter la vie de son premier instant jusqu’à sa fin naturelle.
Que dire aussi du Christ qui a voulu demeurer nourriture pour nous à travers le sacrement de l’eucharistie et qui demeure présent au tabernacle. « Faites cela en mémoire de moi. »
Se souvenir du Christ, c’est l’accueillir dans sa vie, c’est le rencontrer, c’est l’adorer. Notre vie répand-elle en tous temps la bonne odeur du Christ pour les hommes de notre temps ?
La Messe d’aujourd’hui propose deux chemins : le chemin de l’adoration du Seigneur ou le chemin de son mépris.
Au seuil de ce triduum pascal, nous pouvons tous nous demander quels sont les lieux toujours à évangéliser dans nos vies, dans nos familles, dans nos communautés, dans notre société ; ces lieux où la présence du Seigneur est écartée ; ces lieux où la juste place ne lui est pas donnée.
Puisons dans les sacrements et dans la prière la force de la mission qui commence par le témoignage d’une vie vécue en cohérence avec les enseignements de celui en qui nous croyons, seule force contre l’apostasie de notre temps. Entrons généreusement dans ces jours qui nous séparent de la fête de Pâques afin d’y préparer notre propre Pâque. Que Marie, plus mère que jamais en ces heures, demeure proche de nous comme elle l’était de son Fils.
Amen.