notre souffrance.
Publié le 21 Octobre 2021
Comme les grandes pluies d'orage, les pluies battantes et interminables d'été deviennent la sève du blé, l'humeur des grappes pesantes, la souplesse du bourgeon, la fraicheur du pré, la vie et l'ornement de la terre: ainsi la douleur chrétienne arrose, assouplit, féconde, devient " pain " comme dans la phrase du psaume, devient verger intérieur, source fraîche qui jaillit, prairie où poussent des fleurs immortelles .
Nous avons besoin de cette violence pour nous féconder; nous en avons besoin aussi pour nous protéger; nos vrais ennemis sont toujours nos flatteurs, hommes et choses. Qui sait si le salut n'est pas, pour tel être en péril du fait de ses succès et de sa tranquillité tentatrice, dans cet échec ou dans cette épreuve tragique que Dieu lui envoie, dans ce coup de cloche en avant de l'écueil, dans cet arrêt soudain en pleine course vers sa perte !
Là-bas, dans les régions de la mort éternelle, là où la souffrance sans Dieu tord des êtres sans espérances et, hors la communion de l'amour, les crucifie sans un regard au ciel, ne soupire-ton pas désespérément vers les souffrances rédemptrices de la terre? Ah ! si le damné pouvait être en croix ! .... Mais la croix ne peut être plantée que dans ce sol à la fois âpre et divinement fertile. La croix veut le tertre humain , dont elle fait un asile sauveur.
Mais aussi, la douleur, outre qu'elle est une utilité, est une beauté qu'on gémit, aujourd'hui, de voir avilie chez tant de pauvres êtres. Qui se doute, dans certains groupes , que la souffrance bien accueillie est plus grande que ce qu'on appelle grandeurs, que cette passante ensanglantée tresse une couronne plus belle que le laurier et plus belle que l'or ! Etre, après Jésus-Christ, l'un des points où la souffrance universelle prend conscience de soi et accomplit au bénéfice de chacun et de tous sa tâche rédemptrice, quelle sublimité !
Mais ceux qui rejettent le Christ ne peuvent pas jalouser ses glorieux opprobres. Ceux qui ont fermé le ciel et pour qui le coureur humain , épuisé de sa dernière étape, va buter contre le tombeau, ne peuvent songer à magnifier ce qui nous réduit à une sorte de mort vivante: l'impuissance , la maladie, la ruine, l'humiliation les séparations de l'amour, la détresse. On ne peut que déshonorer la souffrance, quand on lui retire l'âme de religion qui la fait glorieuse. La Niobé païenne était déjà morne et stupéfaite; la douleur matérialiste et hideuse et hagarde. Ils ont défiguré la martyre chrétienne; on ne la reconnaît plus; ils en ont fait une forcenée et une décharnée dont chacun s'écarte; ils ont vitriolé cette beauté !
Au vrai, il n'y a qu'une seule douleur qui soit supportable, c'est celle qui se fait sainte femme ou Cyrénéenne et, par amour , en larmes, mais avec un sourire dans le coeur, accompagne au calvaire son ami divin.
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Ah ! certes, nous ne vénérons pas la douleur pour elle-même. Nous ne tombons pas dans le mysticisme voisin de la névrose qui retournerait les valeurs de vie. En soi, la joie est normale, la douleur ne l'est pas .
Si nous portons la croix, c'est pour que la croix nous porte. Souffrir pour croître; souffrir pour mériter; souffrir pour expier; souffrir pour aider; souffrir pour Jésus-Christ et ses frères; souffrir comme on travaille , pour gagner sa vie, cette fois sa vie éternelle , c'est notre programme.
" Les saints, disait le bon curé d'Ars, sont moins heureux que nous; ils vivent de leurs rentes, ils ne peuvent plus rien gagner. "
Nous gagnons , nous, quotidiennement par un labeur actif et passif, ce que le Christ a commencé de payer. Au fond de sa bourse opulent nous joignons nos piécettes. Ainsi se forme, ainsi s'accroît, sans que rien ne s'en déprécie ni ne s'en perde, le trésor du temple éternel.
Sertillanges. OP