homélie pour la fête de l'Epiphanie 2022
Publié le 7 Janvier 2022
+ ÉPIPHANIE
Homélie du Très Révérend Père Dom Jean PATEAU Abbé de Notre-Dame de Fontgombault
(Fontgombault, le 6 janvier 2022)
Per aliam viam. Par un autre chemin. (Mt 2,12)
Chers Frères et Sœurs, Mes très chers Fils,
Plus de neuf mois avant la naissance de l’Enfant Dieu à Bethléem, les signes du Ciel annonçant l’ouverture de temps nouveaux se sont multipliés.
L’Ange Gabriel porta d’abord l’annonce à Zacharie qui officiait dans le Temple à l’heure de l’offrande du soir. Le Temple est la maison de Dieu, le lieu où, d’une manière particulière, il s’adresse au cœur de l’homme, lequel est venu en ce lieu attiré par sa présence pour l’adorer.
Quelle est donc cette annonce ? Sa femme, Élisabeth, allait concevoir un fils dont la vocation serait de préparer au Seigneur un peuple bien disposé. Un peu plus tard, le même messager angélique se rendit auprès d’une vierge du nom de Marie, dans la cité de Nazareth en Galilée. A nouveau, il annonce la naissance d’un enfant qui sera appelé Fils de Dieu et dont le nom sera Jésus, c’est-à-dire « Dieu sauve ».
Un peu plus tard encore, un pas est à nouveau franchi au moment de la naissance de Jésus.
Les cohortes des anges de la Nativité annoncent à des bergers la venue au monde du Sauveur, le Christ, le Seigneur. L’humilité, la simplicité de ces solitaires, gardiens de troupeaux, font que la nouvelle de la naissance, tout en commençant à se répandre, est demeurée assez confidentielle. Du moins, elle ne semble pas avoir engendré de mouvements particuliers dans la vie sociale du pays. Ce ne fut pas le cas de l’arrivée des Mages venus d’Orient à Jérusalem en quête du « roi des Juifs qui vient de naître » qui, elle, ne passa pas inaperçue.
La ville entière est prise d’inquiétude, d’Hérode jusqu’au dernier de ses sujets. De façon paradoxale, alors qu’aucun être surnaturel ne semble s’être manifesté, ni pour guider les Mages, ni pour avertir Hérode de leur venue, l’arrivée de ces hommes et de leur caravane suscite un profond trouble dans la ville pourtant habituée à voir grouiller en tous sens des étrangers au milieu des Juifs.
De nos jours, en nos crèches, ces personnages, d’abord éloignés puis s’approchant de jour en jour, tranchent avec les autres santons dont le sort semble comme fixé pour l’éternité. Eux, ils marchent.
L’Église a reconnu dans la venue des Mages à la crèche un premier appel adressé aux gentils.
Pour eux aussi, cet enfant est né, bien qu’ils ne connaissent pas Dieu comme les Juifs, qu’ils n’aient pas à leur disposition les livres sacrés et les souvenirs de la tradition d’Israël.
Qui étaient ces Mages ?
Des membres de la caste sacerdotale perse, des philosophes, des détenteurs d’un savoir et d’un pouvoir surnaturel, des astronomes, des magiciens ? Compte tenu de la qualité de ces hommes, le motif si incertain, si futile, de leur déplacement semble difficilement conciliable avec la possession orgueilleuse d’un savoir ou l’exercice d’une domination sur leur prochain : suivre une étoile, abandonner pour un temps son pays, ses travaux, à cause d’une simple étoile.
Le fait est là, et il nous révèle sans aucun doute une qualité du cœur de ces hommes : la simplicité.
Celle-ci s’unissait à une inquiétude du cœur qui les poussait à chercher la vérité sur Dieu, et Dieu lui-même.
Ces hommes avaient acquis la conviction que la contemplation et la méditation des choses de la terre ouvraient un chemin vers le Ciel.
Remarquons que selon leurs dires, il ne s’agit pas de n’importe quel astre. « Nous avons vu son étoile à l’Orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. » (Mt 2,2)
Ils avaient vu une étoile, une étoile peut-être étonnamment brillante, une étoile dont la course inhabituelle pouvait interroger ces spécialistes de l’astrologie, une étoile dont ils savaient par une voix intérieure qu’elle était celle du roi des Juifs. Plus que toute explication matérielle, c’est cette voix qu’ils ont suivie. Comme l’étoile, l’enfant qui va naître sera la « vraie lumière… qui éclaire tout homme » (Jn 1,9), qui « brille dans les ténèbres. » (v.5)
Mais le chemin des Mages n’est pas de tout repos.
Leur route nous interroge : Pourquoi ce passage par Jérusalem ? Pourquoi ne pas avoir suivi l’étoile jusqu’à la crèche ? L’évangile se montre discret. L’étoile aurait-elle disparu à l’approche de la ville ? Dieu aurait-il abandonné les mages ? Ceux-ci, pratiquement arrivés au but, auraient-ils douté et jugé plus prudent de se faire renseigner par Hérode ? Auraient-ils renoncé à suivre l’étoile qui semblait les égarer puisque le roi de Juifs ne pouvait naître que dans un palais et à Jérusalem ?
Forts des lumières reçues des grands prêtres et des scribes du peuple, et tirées des saints livres, les Mages reprennent le chemin de Bethléem, et aperçoivent à nouveau l’étoile qui les précède pour finalement s’arrêter au-dessus de la maison où se trouve l’Enfant. La joie renaît dans les cœurs et vient préluder à la rencontre du nouveau-né et de sa Mère. Mais l’intervention de Dieu ne s’arrête pas là. Les Mages doivent repartir dans leur pays. Ils se souviennent de la mission donnée par Hérode : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. » (Mt 2,8)
C’est là qu’une nouvelle intervention de Dieu, un songe, les avertit de s’en retourner chez eux par un autre chemin.
Une nouvelle fois, les Mages suivent avec simplicité ce qu’ils ont reçu dans le cœur.
A l’école des Mages, retrouvons la jeunesse de la foi qui nous rappelle au devoir de poursuivre sans relâche le chemin vers Dieu.
A l’audience d’avant Noël, le Pape François citait cette prière d’un bénédictin, saint Anselme (1033-1109) : Seigneur, apprends-moi à te chercher. Montre-toi, quand je te cherche. Je ne peux pas te chercher si tu ne m'enseignes pas, ni te trouver si tu ne te montres pas. Que je te cherche en te désirant et te désire en te cherchant ! Que je puisse te trouver en te cherchant et t'aimer en te trouvant ! (Proslogion, 1)
Recevons par leur intercession une grâce de simplicité, d’enfance, d’accueil de l’instant présent, quel qu’il soit, comme le lieu d’un rappel au devoir pressant que reçoit tout homme d’y chercher Dieu, et ce, dans le chaos du monde et de nos vies si distraites, si gaspillées par l’addiction aux médias et aux blogs.
Sur le chemin des Mages, lumières et ténèbres, joies et inquiétudes, alternent. Mais l’étoile a comme recueilli leurs cœurs. Ils ont abandonné les vanités du temps qui passe, et ils l’ont suivie.
Renonçons donc aux nouvelles pour chercher la vraie nouvelle. A l’école des Mages, avançons vers la maison de Bethléem pour adorer. Avançons vers la patrie céleste. Là, nous retrouverons Jésus et Marie, là, nous trouverons Dieu.
Amen.