lent 2022 : Vanitas, vanitatis . homélie dom Jean Pateau abbé de Fontgombault
Publié le 3 Mars 2022
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MERCREDI DES CENDRES
Homélie du Très Révérend Père Dom Jean PATEAU
Abbé de Notre-Dame de Fontgombault
(Fontgombault, le 2 mars 2022)
Chers Frères et Sœurs, Mes très chers Fils,
Voici que débute le temps de la sainte quarantaine. Depuis la fête de l’Épiphanie et jusqu’à hier, beaucoup se sont livrés aux réjouissances du temps de carnaval. Peu se souvenaient, sans aucun doute, que ce terme vient des deux mots latins : carnis et levare – enlever la chair. Aux temps de chrétienté, le carême était marqué, en plus du jeûne, par l’abstinence de viande, d’œufs et de laitage. Avant d’entrer en ce temps, il fallait consommer les réserves et cela donnait lieu à de grandes fêtes aux fréquents débordements.
Aujourd’hui la pratique du Carême s’est bien assouplie. Même chez les chrétiens, l’idée de faire pénitence disparaît des horizons comme un usage suranné, dépassé dans un monde qui a évolué. Peut- être n’est-il pas inutile de rappeler la loi de l’Église en ce domaine.
Le Livre IV du Code de Droit canonique consacré à La fonction de sanctification de l’Église s’arrête au Titre 2 sur Les temps sacrés, et au chapitre 2, plus particulièrement sur Les jours de pénitence en cinq canons ou encore lois :
Can. 1249 — Tous les fidèles sont tenus par la loi divine de faire pénitence chacun à sa façon ; mais pour que tous soient unis en quelque observance commune de la pénitence, sont prescrits des jours de pénitence durant lesquels les fidèles s’adonneront d’une manière spéciale à la prière et pratiqueront des œuvres de piété et de charité, se renonceront à eux-mêmes en remplissant plus fidèlement leurs obligations propres, et surtout en observant le jeûne et l’abstinence selon les canons suivants.
Can. 1250 — Les jours et temps de pénitence pour l’Église tout entière sont chaque vendredi de toute l’année et le temps du Carême.
Can. 1251 — L’abstinence de viande ou d’une autre nourriture, selon les dispositions de la conférence des Évêques, sera observée chaque vendredi de l’année, à moins qu’il ne tombe l’un des jours marqués comme solennité ; mais l’abstinence et le jeûne seront observés le Mercredi des Cendres et le Vendredi de la Passion et de la Mort de Notre Seigneur Jésus Christ.
Can. 1252 — Sont tenus par la loi de l’abstinence, les fidèles qui ont quatorze ans révolus ; mais sont liés par la loi du jeûne tous les fidèles majeurs jusqu’à la soixantième année commencée. Les pasteurs d’âmes et les parents veilleront cependant à ce que les jeunes dispensés de la loi du jeûne et de l’abstinence en raison de leur âge soient formés au vrai sens de la pénitence.
Can. 1253 — La conférence des Évêques peut préciser davantage les modalités d’observance du jeûne et de l’abstinence, ainsi que les autres formes de pénitence, surtout les œuvres de charité et les exercices de piété qui peuvent tenir lieu en tout ou en partie de l’abstinence et du jeûne.
La Conférence des évêques de France précise cependant, par décret de 1989, que :
- Tous les vendredis de l’année, les catholiques doivent manifester [un] esprit de pénitence par des actes concrets : soit en s’abstenant de viande, ou d’alcool, ou de tabac..., soit en s’imposant une pratique plus intense de la prière et du partage.
- Pendant le temps du Carême, tous les vendredis ils doivent s’abstenir de viande s’ils le peuvent, et le mercredi des Cendres ainsi que le Vendredi-Saint, ils s’abstiennent de viande, ils jeûnent en se privant substantiellement de nourriture selon leur âge et leurs forces, et réservent un temps notable pour la prière.
La prière, le jeûne et l’aumône seront donc les trois piliers du temps du carême.
Revenons aux lectures de la Messe de ce matin. Le Seigneur, qui connaît le cœur de l’homme, sait la promptitude de ce dernier à trouver des compensations pour ses renoncements. Fuyons donc en ces saints jours, l’hypocrisie de ceux qui, jeûnant, offrent des visages marqués par la tristesse, se plaignent des conséquences de leur peu de pénitence. Au dedans, ils n’espèrent que flatteries, confisquant en quelque sorte le cœur de leur prochain à leur profit.
Celui qui jeûne en vérité ne cherche pas l’admiration ; il souhaite par la pénitence, se donner plus généreusement et plus librement à Dieu et venir en aide à son prochain. Libre par rapport aux biens de la terre, il peut alors s’amasser un trésor dans le Ciel.
Durant le temps du carême résonne un appel : Convertimini ad me in toto corde vestro – Revenez à moi de tout votre cœur. Un cœur qui se tourne comme à regret, un cœur partagé, ne marche pas vers le Seigneur. Il demeure prisonnier de lui-même.
C’est pour cela que le prophète Joël, au nom du Seigneur, incite le peuple d’Israël à revenir à Dieu en concrétisant en quelque sorte cet appel à la conversion : « Déchirez vos cœurs, et non vos vêtements. »
Déchirer ses vêtements, c’est déchirer ce qu’on ne fait que porter. Le cœur, quant à lui, demeure intact. Perdure en lui tout ce qui est bas, tout ce qui est lourd... Déchirer son cœur, c’est déchirer ce qu’on est, déchirer sa vie pour la mettre sous la lumière miséricor- dieuse et bienfaisante de Dieu, et par là la libérer. Déchirer son cœur, c’est s’accepter comme pécheur et offrir à sa vie une cure de jouvence, une nouvelle jeunesse. Déchirer son cœur, c’est l’ouvrir à la grâce.
Péguy avait bien compris cela, alors qu’il se demandait pourquoi la grâce « remportant des victoires inespérées dans l'âme des plus grands pécheurs... reste souvent inopérante auprès des plus honnêtes gens. » :
Ceux qu'on nomme-tels, et qui aiment à se nommer tels, n’ont point de défauts eux-mêmes dans l’armure... Leur peau de morale constamment intacte leur fait un cuir et une cuirasse sans faute. Ils ne présentent point cette ouverture que fait une affreuse blessure..., une invisible arrière anxiété..., une cicatrice éternellement mal fermée. Ils ne présentent point cette entrée à la grâce qu’est essentiellement le péché. Parce qu'ils ne sont pas blessés, ils ne sont plus vulnérables. Parce qu'ils ne manquent de rien on ne leur apporte rien. Parce qu'ils ne manquent de rien, on ne leur apporte pas ce qui est tout. La charité même de Dieu ne panse point celui qui n'a pas de plaies.
Voici donc que se dessine le chemin de notre carême, aux accents du trait de ce matin :
« Aide-nous, Dieu notre Sauveur, pour la gloire de ton nom ! Délivre-nous, efface nos fautes, pour la cause de ton nom ! » (Ps 78, 9)
Alors que nous cheminerons plus résolument vers le Seigneur, alors que les choses vaines et caduques de ce monde n’occuperont plus notre cœur, alors que notre charité se fera plus vive et concrète, notre visage ne pourra que rayonner la joie. Non, il n’est pas hypocrite celui qui, lorsqu’il jeûne, se parfume la tête et se lave le visage.
Au seuil de ce carême, Marie invite ses enfants à de vraies réjouissances. Usons notre chapelet et frappons sans relâche à la porte du Ciel. Le monde, nos communautés, nos familles, nos proches et nous-mêmes en avons tant besoin.
Ayez pitié de nous, Seigneur !
Saint et joyeux Carême.
Amen.