Beaucoup de gens, écoutant un discours contre la convoitise, en détestent la convoitise et se font les partisans du mépris de toutes choses ; mais aussitôt que l’âme voit ce qu’elle convoite, elle oublie ce qu’elle approuvait. Beaucoup de gens, écoutant un discours contre la luxure, non seulement ne désirent plus souiller leur chair, mais rougissent de l’avoir souillée. Mais que l’éclat de la chair apparaisse à leurs yeux, aussitôt le désir emporte leur âme comme s’ils n’avaient jamais rien décidé contre ce désir-là. Et cette âme agit pour sa condamnation, elle qui s’était souvenue de ce qu’elle avait fait et s’était déjà condamnée elle-même. Nous nous affligeons souvent de nos fautes et, après les avoir pleurées, nous y retournons.
Ainsi Balaâm pleura à la vue des tentes d’Israël et implora pour que sa mort soit semblable à la leur, en disant : « Que meure mon âme de la mort des justes et que ma fin soit comme leur fin » . Mais aussitôt l’heure de la contrition passée, le vice de l’avarice l’enflamma à nouveau, et, pour quelques cadeaux qu’on lui avait promis, il donna un conseil pour préparer la mort de ce peuple, mort dont il avait souhaité mourir lui-même ; et il oublia ce pourquoi il avait pleuré, car il ne voulut pas éteindre ce qui en lui brûlait par avarice.
La bonne terre porte du fruit par la patience, car il est bien vrai que nous ne faisons rien de bon sans savoir supporter avec sérénité ce qui est mauvais chez notre prochain. Plus on s’élève vers les choses célestes, plus rudes sont les réalités que nous devons affronter dans ce monde ; car lorsque notre esprit se détache de l’amour du siècle présent, l’hostilité de ce siècle augmente.
Voilà pourquoi la plupart des gens que nous voyons faire le bien peinent sous le lourd fardeau des tribulations : ils fuient déjà les désirs terrestres et, malgré cela, sont harcelés des maux les plus durs.
Toutefois, selon la parole du Seigneur, ils portent du fruit par la patience, car s’étant humiliés sous les coups, ils sont ensuite exaltés jusqu’au repos.
De même que le raisin foulé aux pieds s’écoule en un vin savoureux, de même que l’olive broyée et pressée se sépare de la pulpe et devient une huile onctueuse, de même que le grain de blé battu sur l’aire se sépare de la balle et parvient purifié dans le grenier, que celui qui désire dompter entièrement les vices s’applique à supporter humblement les désagréments de sa purification, pour se présenter devant le juge d’autant plus propre que le feu de la tribulation l’aura purifié de sa rouille.
St Grégoire le Grand