pub : un jeune maître avec lequel il faut désormais compter : Simon Burki
Publié le 18 Juin 2023
Sans l’outil l’idée demeure impuissante. L’outil, justement ! Dès l’attaque, la prise de possession plutôt de l’Etude-Tableau op. 39 n°1, on mesure à quel niveau se situe Simon Bürki. Le jeune artiste suisse, né en 2000, ne joue pas avec deux mains, mais avec dix doigts ; tout au long d’une soirée qui fêtait la sortie récente d’un très beau premier CD (Aparté) on aura été continûment ébloui par la richesse, les couleurs et l'intelligence d’un jeu qui parvient à donner vie de façon exceptionnelle au texte musical, à en saisir totalement la logique tant polyphonique que contrapuntique, sans une note « morte ». Son programme reprend à l’identique celui de son enregistrement, ce qu’on ne saurait lui reprocher tant il est intelligemment conçu.
Rachmaninoff – à la mémoire duquel Bürki dédie son disque ; il peut se le permettre ... – occupe une place de choix (Etudes-Tableaux Op. 39/1, 4, 5 & 8 ; Préludes op. 32 n° 12 et 13 ; Vocalise, Les lilas) et réapparaît à diverses reprises au cours du récital. Dans tous les cas, la vie intérieure que l’artiste imprime à la musique du Russe traduit sa compréhension d’une écriture mélodiquement irrésistible certes, mais d’une incroyable inventivité rythmique aussi. Avec un résultat aussi noble que viril et capable quand il le faut d’une formidable puissance orchestrale (l’Etude-Tableau op. 39/5, le Prélude op. 32/13, saisissants ! ). Vivement qu’il aborde les deux recueils en entier ...
De toutes les qualités de Simon Bürki, l’une des plus saillantes dans le cas présent est d’évidence son sens des caractères, sa capacité à s’installer dès la première note au cœur de la pièce, à trouver instantanément l’éclairage adéquat (le In der der Nacht et le Warum ? des Fantasiestücke op. 12 de Schumann sont, de ce point de vue, littéralement fascinants). Pas une seule fois il ne manque le cœur de sa cible. A preuve par exemple : l’incroyable facilité avec laquelle il passe en quelques instants des lourds secrets de l’Etude op. 8/11 de Scriabine à la fluidité insouciante de la souriante Valse de salon op. 51 n° 1 de Tchaïkovski.
Passer d’une pièce à l’autre ... L’art des enchaînement, ou des silences, fait aussi – ô combien ! – partie de la musique ; Bürki le maîtrise au plus haut point. Excellentes idées que ce passage, direct, du In der Nacht à l’Etude op. 8/11 ou, tout au contraire, ce long silence qui suit Octobre (ext. des Saisons de Tchaïkovski) et vient amplifier sa prégnante nostalgie au terme d’une interprétation sans une once de sentimentalisme. Justesse de caractère, justesse de sentiment donc : quelle classe princière dans la Vocalise de Rachmaninov (trancr. Kocsis), dans un Rêve d’amour lisztien qui sait tantôt parler tantôt chanter, quel chic dans le Liebesleid de Kreisler/Rachmaninov, quelle poésie dans les Lilas de ce dernier, pur rêve éveillé, sensuel et vibrant.
Bonheur des concerts sans (maudit) entracte ... 75 minutes durant on s’est laissé porter par un prenant voyage musical. Retenir une pièce comme exemple de l’art de Simon Bürki ? La redoutable Etude op. 42/5 de Scriabine, proprement miraculeuse de lisibilité et de précision dans l’étagement de ses lignes et, surtout, bouleversante d’incandescence poétique, sans qu'à aucun moment la sensation d'une quelconque "performance" digitale ne se fasse sentir. Du grand art ...
Le Prélude op. 23/7 de Rachmaninoff et une improvisation (de S. Bürki) sur Les Feuilles mortes, donnés en bis, achèvent de combler un public aux anges. Vous avez manqué le récital de Cortot ? Courrez à Bagatelle où le pianiste inaugure, le 19 juin, le 38e Festival Chopin – une édition hommage à Serge Rachmaninoff – dans un programme Chopin, Schumann, Rachmaninoff.
Simon Bürki, 23 ans : un jeune maître avec lequel il faut désormais compter.
Alain Cochard