Fontgombault - Septembre 2023

Publié le 19 Septembre 2023

 

 

 

 

SOIXANTE-QUINZIÈME ANNIVERSAIRE DE LA RESTAURATION BÉNÉDICTINE À FONTGOMBAULT

Homélie prononcée par le Révérend Père Augustin Pic, o.p. Fontgombault, le samedi 9 septembre 2023

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Révérendissime Père, Père vicaire général de ce diocèse, chers Pères et Frères, chers Messieurs Prêtres et Chanoines, chères Familles, chers Amis de l'Abbaye, nous voici rassemblés pour fêter les soixante quinze ans du retour de ce saint lieu à la grâce bénédictine qu'il avait perdue depuis 1741.

Merci, Révérendissime, de me faire ainsi l'honneur et la joie de parler ; merci mais que dire, entre ces incomparables murs et en un si beau jour, sur le mystère d'une présence divinement voulue et divinement rayonnante ? Que dire et sur quoi méditer ? Sur la règle de saint Benoît, joyau de l'Occident chrétien ? Mais qu'en apprendrait-on à gens qui la savent par cœur depuis toujours, et du même cœur en vivent ? Sur la solidité d'un monachisme qui, lorsque le malheur des temps le chasse de ses implantations originelles, y revient souvent tôt ou tard – alors que d'autres saintetés en effet lancent ceux dont c'est le charisme sur les routes du monde afin de gagner des âmes, celle des fils de saint Benoît est bien de consacrer, par le désir du ciel, la terre où le vœu de stabilité les fixe ? Excellent sujet, nul n'en disconviendra, mais on n'en finirait pas. Sur l'actualité de l'Abbaye et tout le bien qu'elle fait ? Mais la sainte modestie de ces messieurs Moines et de leur seigneur Abbé s'en offenserait peut- être, s'en offenserait sûrement.

Alors, que reste-t-il ? Il reste, bien chers Frères pourquoi non? les devises choisies par les Abbés depuis 1953, suite de formules spirituellement très riches. Chacune exigerait un sermon, certes, mais l'éclat de miel, empli de lumière et de force, que de chacune on tirera comme en passant, suffira bien pour rendre grâce ; comme aussi pour élever nos cœurs, tant pour les répandre en bonne odeur du Christ ici-bas et aujourd'hui, que pour les préparer à l'éternité.

Nous avons donc, avec dom Roux (1953-1962), Unum necessarium, sublime et tant aimée répartie de Jésus à Marthe. Seul compte en effet ce que Marie préféra : demeurer au pieds du Sauveur pour écouter Sa parole, unique et nécessaire. Mais ce premier Abbé de la renaissance n'aura pu ce faisant qu'avoir à l'esprit sa règle chérie, dont le prologue a pour mots- clefs, pour maîtres-mots, écoute et école. Le montrent bien les beaux entrelacs opérés par saint Benoît entre le psaume 94 et le psaume 33, où il n'est question que d'écouter et d'apprendre, pour ne rien dire de l'évangile qu'on vient d'entendre, dont c'est précisément la pointe. Écouter et apprendre, en effet, c'est là tout le monastère, là tout le monachisme. Si donc un Pontife romain ou un Abbé primat nous demandait quel patronage ajouter à l'Ordre bénédictin, si ce n'est déjà fait, nous répondrions sans hésiter, la sœur de Marthe ...

Avec dom Roy (1962-1977), voici donec dies elucescat – jusqu'à ce que resplendisse le jour : évocation, dans la seconde épître de Pierre, de la Transfiguration, dont ce prince des Apôtres avait été l'heureux témoin avec Jacques et Jean. Ils ont, dit-il, et vu la lumière incréée et entendu la voix paternelle. Et que dit cette voix paternelle ? Hic est Filius meus, ipsum audite – Celui-ci est Mon Fils, écoutez-le. Qu'ajoute l'auteur de l'épître après cela ? Ceci : firmiorem sermonem habemus, donec dies elucescat et lucifer oriatur in cordibus nostris – nous avons cette parole parfaitement solide jusqu'à ce que resplendisse le jour et que l'astre se lève en nos cœurs. Le lien se fait alors spontanément : l'Unique nécessaire est Celui qui admet Marie la sœur à son colloque, qui laisse Sa gloire embraser un instant la nuit du Thabor, tout autant que Sa chair d'homme et les vêtements qui la couvrent, Celui enfin qu'il faut écouter jusqu'à ce que vienne le jour. Notez bien le « jusqu'à ce que » – donec, car, entre cette Transfiguration où la ténèbre fut lumière autour des trois élus, et ce jour encore à venir, doit passer, en même temps que celui de l'histoire entière, tout le temps de nos vies. En ce jour d'il y a deux mille ans, la lumière ne fut que nocturne, passagère et entrevue quoique réelle, mais, en celui de la fin, elle s'offrira comme demeurant à jamais, et à posséder comme elle possède. En attendant, nous autres qui n'avons pas vu comme eux, mais croyons à leur témoignage, il nous faut faire comme eux ce qu'ordonna la voix, écouter. Si donc le même Pontife romain ou Abbé primat demandait quel autre saint patron de l'écoute ajouter à l'Ordre bénédictin, si ce n'est déjà fait, je répondrais sans hésiter, et vous avec moi, les trois du Thabor...

Il va sans dire que dom Roy et dom Forgeot (1977-2011) ne purent se concerter sur la devise que prendrait ce dernier, puisqu'un prédécesseur ne connaît pas son successeur. Une logique de fond n'en ressort pas moins de l'une à l'autre. En effet, s'il s'agit d'écouter et d'attendre jusqu'à ce que lèvent le jour et son astre, il s'agira du même coup de persévérer sous la grâce dans l'effort que précisément requièrent cette écoute et cette attente.

Rappelons que le premier effet de la grâce et le plus décisif est l'effort, le repos et la joie qu'elle apporte aussi venant par surcroît. C'est ce qu'exprime à merveille, donc, le programme de ce regretté troisième abbé que tout le monde ici je pense a connu et apprécié : ad superna semper intenti. Ce jour de l'unique nécessaire est un jour éternel, c'est à dire non de ce monde mais de l'autre, d'où la formule ad superna – vers les réalités supérieures. Mais dans semper intenti – toujours tendus vers ces réalités, il y a semper – toujours. Pourquoi semper ? Parce qu'il s'agit d'une tension permanente. Je vois déjà tout le monde ici en perdre le souffle autant que moi : permanente ! Pensez donc ! Mais il est, entre les tensions dont sont travaillés les mondains et celle dont dom Forgeot fit le feu de son âme et de son gouvernement, cette différence que vous m'accorderez que les premières sont labeur et souffrance et rien de plus, au lieu que la seconde, malgré le labeur et la souffrance, c'est entendu, est un repos. Comment cela, un repos ? Un repos, parce que pareille tension fait entrer en l'homme, en sa substance, la vérité qui rend libre et heureux, qui fait être vraiment soi-même en Dieu, et ce, même lorsqu'on y sent labeur et souffrance. Cela dit, semper intenti n'exclut certainement pas la détente. Quoi de plus joyeux, en effet – sans idéaliser, bien sûr – qu'une récréation ou promenade entre moines, de plus revigorant pour leurs hôtes que leur entrain et leur allant ? Si donc un Pontife romain ou un Abbé primat demandait quel patronage ajouter à l'Ordre bénédictin, si ce n'est déjà fait, l'on répondrait sans hésiter, Notre Dame de l'Assomption d'abord, puisque l'Abbaye lui est consacrée et que c'est de la collecte de Sa fête qu'est tirée la devise ; saint Paul, auteur de l'épître aux Philippiens, ensuite, dont elle s'inspire manifestement ; saint Augustin enfin, qui, sur la sainte tension, prêchait ceci : antequam perveniamus ad unum multis indigemus, unum nos extendat ne multa distendant et abrumpantur ab Uno – avant que nous ne parvenions à l'Un, nous avons besoin de beaucoup : que l'Un nous tende afin que le beaucoup ne nous distende et ne nous arrache à l'Un. Qui est cet Un ? Nul autre que le Dieu unique et Trinité, notre unique Nécessaire...

Enfin, le programme du présent abbatiat, de notre cher dom Pateau : Modo geniti infantescomme des enfants nouveau-nés. Devise qui dit tout sur le tout que forment consécration baptismale et consécration monastique, et pareillement tout sur l'esprit dans lequel il faut – et par là je récapitule – à la fois s'attacher à l'Unique nécessaire et attendre le jour de cet Unique en y tendant sans cesse. Si donc un Pontife romain ou un Abbé primat demandait quel saint patron ajouter à l'Ordre bénédictin, si ce n'est  déjà fait, nous répondrons sans hésiter, je pense, les enfants que Jésus a bénis en déclarant que le Royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent...

Unum necessarium Donec dies elucescat Ad superna semper intenti Modo geniti infantes : que reste-t-il pour les réalités matérielles ? Sont-elles sans importance, et Dieu dédaignerait-il d'être glorifié aussi par le souci que l'on prend d'elles, et par elles, du prochain qu'il faut servir ? Le travail manuel, autre splendeur de la vie bénédictine, comme le fonctionnement d'une abbaye que jalouseraient les entreprises d'aujourd'hui les mieux régies, viennent rappeler qu'il n'en est rien. Si donc un Pontife romain ou un Abbé primat demandait quel saint patron ajouter encore à l'Ordre bénédictin, si ce n'est déjà fait, je répondrais sans hésiter, la sœur de Marie. Laquelle des deux, en effet, aux pieds de Jésus quatre jours après la mort de Lazare, confessa la résurrection finale ? Non pas Marie, mais bien Marthe, aussi contemplative que sa sœur donc, alors que le Maître lui avait reproché de s'être inquiétée pour trop de choses...

Ainsi, que cet anniversaire ne mette pas seulement au fond de nous la fierté d'un endroit si beau, et le vœu de le voir durer autant que l’Église – qui toutefois a seule les promesses de la vie éternelle – mais encore et surtout un zèle ardent, chacun dans sa vocation, à nous laisser habiter comme saint Benoît par cet Unique nécessaire, à L'attendre, à son exemple, comme le jour véritable et ultime, à y tendre enfin comme lui, dans le divin mélange d'effort et de repos dont le Saint-Esprit seul a le secret, jusqu'à cette stature adulte que Jésus-Christ accorde à ceux, modo geniti infantes, qu'avec leur consentement et collaboration, ne cesse de renouveler l'enfance infinie de l'âme. Il y va de la gloire de Dieu en ce monde, et de la prédication à la multitude qu'Il cherche à sauver sans en perdre aucun.

Dans la sainte lumière de notre fête, que les jeunes hommes ici présents et libres de leur avenir s'interrogent en esprit et en vérité, pour discerner à quoi, peut-être, ils sont appelés. S'ils ne le font pas dans un lieu pareil, où le feront-ils ?

Révérendissime Père, bien chers Pères et Frères, que Notre Dame, Reine et Maîtresse à Fontgombault, avocate auprès de Dieu de ses abbés, moines, et bienfaiteurs défunts, que votre Patriarche saint Benoît aussi, bien sûr, veillent sur vous toujours, comme sur tous ceux que vous aimez et qui sont si heureux de vous aimer en retour.

Rédigé par Philippe

Publié dans #homélies

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