homélie pour la fête de l'Epiphanie . dom Jean Pateau père abbé de Fontgombault
Publié le 7 Janvier 2025
+ ÉPIPHANIE
Homélie du Très Révérend Père Dom Jean PATEAU Abbé de Notre-Dame de Fontgombault (Fontgombault, le 6 janvier 2025)
Chers Frères et Sœurs, Mes très chers Fils,
L’évangile selon saint Matthieu s’ouvre par un grandiose triptyque. La généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham, en forme le premier tableau.
« Abraham engendra Isaac. » Si Isaac a été l’enfant de la Promesse, combien plus Jésus ! Cependant, la longue énumération des ascendants du Seigneur nous laisse sur une interrogation : « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus, que l’on appelle Christ. » (Mt 1,16) Jésus est engendré de Marie, non pas de Joseph.
Le second tableau lève le doute. L’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui annonce que l’enfant conçu vient de l’Esprit Saint ; que son nom sera « Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » Enfin, qu’en lui se réalise la prophétie d’Isaïe : « Voici que la Vierge concevra, et elle enfantera un fils ; on lui donnera le nom d'Emmanuel. »
Le troisième volet est composé par le récit de l’enfance de Jésus, avec l’épisode pittoresque et abondamment développé du voyage des Mages, des païens, vers la Crèche, suivi de la fuite en Égypte, du massacre des Innocents et du retour de la sainte Famille à Nazareth après la mort d’Hérode.
L’Évangile ne sera plus que le développement de ce triptyque où tout est dit : Dieu est venu chez nous pour nous sauver. La grande espérance, la rencontre avec le Seigneur est désormais offerte à tout homme, invité à se mettre en route vers son Dieu dans une démarche de repentir, de charité, de foi et d’espérance. Tel est le mot d’ordre du jubilé de cette 2025e année de la nais- sance du Sauveur : Pèlerins d’Espérance.
Tirons quelques enseignements de l’évangile de ce matin.
Si la tentation du désespoir nous guette, les Mages et les bergers attestent que, même au sein des ténèbres, la lumière ne manque jamais pour accompagner le chemin des cœurs droits. Au milieu de la nuit, un ange est venu à la rencontre des bergers, les tirant peut-être de leur torpeur. Une étoile a invité les Mages à abandonner leur quotidien pour prendre la route.
Comme les bergers et les Mages, soyons des veilleurs, attentifs aux signes de Dieu et méditant sa parole. Au cœur de nos nuits, Dieu n’est jamais absent. Son étoile brille toujours. Cherchons-la afin de nous mettre en route, pèlerins d’espérance. Les paroles de saint Augustin considérant sa vie passée demeurent d’actualité : « Vous étiez avec moi, et je n’étais pas avec vous. » (Confessions, X, 27, 38)
Un deuxième enseignement naît du constat que les chemins des bergers et des Mages, même s’ils aboutissent au même but, sont bien différents.
Pour les premiers, quelques paroles d’un ange, quelques pas, et voici déjà l’étable de Bethléem et l’Enfant.
Pour les seconds, pas de messager... pas de paroles... Une simple étoile et l’intuition qu’il s’agit de l’étoile du « Roi des Juifs qui vient de naître. » (Mt 2,2) Quelle leçon de foi et d’espérance offrent ces païens !
Il est commun de considérer le chemin de sa propre vie bien pénible, alors que celui des autres paraît si facile. De fait, nous ne nous épuisons pas sur le chemin des autres, alors qu’il est si facile de désespérer sur son propre chemin. Croyons, dans la foi, que le chemin sur lequel Dieu nous a invités et demeure avec nous depuis si longtemps, aboutit à la Crèche.
Mais est-ce bien vers la Crèche que se dirigent les Mages ? Voici qu’ils sont à Jérusalem et entrent dans le palais d’Hérode. À n’en pas douter, ils trouveront là l’Enfant-roi.
L’étape de la Ville sainte est révélatrice de la manière dont Dieu dispose les événements. En cherchant leur chemin, les Mages annoncent la naissance à Hérode et à Jérusalem. Païens, ils sont porteurs de la bonne nouvelle de la venue du Messie attendu, au roi, aux prêtres et au peuple.
Pour eux, tout se déroule pour le mieux. Les Mages apprennent du roi le lieu de la naissance : Bethléem. Dieu est fidèle. Les Mages reprennent leur route. Que se serait-il passé si Hérode, et tout Jérusalem avec lui, s’étaient joints à la caravane venue d’Orient ? Dieu avait donné la lumière en abondance pour qu’il en fût ainsi.
Les prêtres et les scribes, ceux qui connaissaient l’Écriture au point d’y découvrir le lieu de la naissance du Messie, ne se mettront pas en route. La venue de cet enfant trouble leur quotidien, leurs plans ; comme s’il leur semblait préférable d’emprisonner Dieu dans leurs livres, afin d’éviter de le rencontrer face à face. Du Sauveur, ils parlent, mais ils n’en ont pas besoin. Sous peu, Hérode voudra même s’en débarrasser en ordonnant le massacre de tous les enfants de moins de deux ans autour de Bethléem, et eux ne feront rien pour éviter cela.
La raison d’État, la pression publique, le désir de faire carrière et de conserver le pouvoir peuvent aveugler le cœur et l’âme. Ne craignons pas de rencontrer Dieu face à face. Tout acte de l’homme est posé devant lui, le juste juge, le Soleil de justice. Si chacun devra rendre compte de ses paroles, de ses actes, chacun est surtout appelé à rencontrer la miséricorde de Dieu.
Voici que les Mages arrivent à la Crèche. Ils entrent et se prosternent. Renouvelés par la rencontre avec l’Enfant Dieu, ils ne pourront s’en retourner que par un autre chemin.
À la suite des Mages ou des bergers, tout homme, quelle que soit sa situation, peut se mettre en route, faire un pas vers la Crèche et déjà rencontrer son Sauveur. Il n’est jamais trop tard et la route n’est jamais finie. Un seul péché n’est pas pardonnable : celui de voir la lumière et de la refuser.
Entrer dans le temps béni du Jubilé, c’est venir auprès de Jésus et se poser la question de la cohérence de notre vie avec tant de dons que nous avons reçus. « L’âme que vous remplissez devient légère ; trop vide encore de vous, je pèse sur moi » , écrivait saint Augustin (Confessions, X, 28, 39).
C’est sûr, l’Enfant de la Crèche a de quoi remplir notre vie ; de quoi remplir toute vie. Ne dira-t-il pas : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » (Lc 12,49) ?
Rayonner la bonne nouvelle de l’Évangile consiste premièrement, et j’ajouterais: simplement, à vivre de cette bonne nouvelle. Alors la gloire du Seigneur se lèvera sur nos vies. Alors nous serons témoins jusqu’aux extrémités de la terre, et beaucoup verront son étoile et viendront se prosterner devant lui.
Au cours de cette année jubilaire, que Marie soit notre guide ; qu’elle nous enfante à cette autre voie qui n’est pas du monde, la route lumineuse de l’Espérance. Dieu est avec nous, Emmanuel ; devenons Pèlerins convaincus d’espérance.
Amen. Alléluia.