Les évêques français n'étaient point restés en arrière, et, plus que les rois, ils avaient à coeur le succès de cette admirable dévotion. Ils comprenaient trop bien l'efficacité de la prière et de la prédication du Rosaire, pour ne pas chercher à les faire fleurir au milieu de leur troupeau.Ils donnaient eux-mêmes l'exemple et se montraient les fidèles serviteurs de l'auguste Reine des cieux.
Le Cardinal François de la Rochefoucauld récitait deux fois par jour son Rosaire. Belzunce, évêque de Marseille, Languet, évêque de Soissons, Jean-Louis de Fromentières, évêque d'Aire, nous ont laissé d'éloquents discours sur le Rosaire. Le cardinal de Bérulle puisait dans cette dévotion la connaissance et l'amour de Jésus-Christ, qui font le charme et la beauté de ses écrits.
Derrière ces grandes lumières de l'épiscopat viennent se ranger les noms les plus humbles des prêtres et des religieux qui ont aimé et pratiqué la dévotion du Rosaire.
C'est Humbert de Romans, qui céda le Dauphiné à la France pour entrer dans l'Ordre de Saint Dominique, et qui écrivit le plus ancien traité que nous ayons sur le Psautier de la Vierge;
c'est ensuite Saint Vincent de Paul, qui, dans ses affreuses tentations contre la foi, cherchait la force dans son chapelet;
M. Olier, le fondateur de Saint-Sulpice, qui demanda à la dévotion à la Sainte Vierge la rénovation de sa paroisse; le vénérable Grignon de Montfort, qui, dans ses missions, faisait porter en procession quinze bannières représentant les quinze mystères;
le père Dassier, à qui nous devons le plus beau panégyrique du Rosaire, et une foule d'autres saints prêtres appartenant aux Ordres de Cluny, des Oratoriens, des Franciscains, des Capucins et des Jésuites.
Le Rosaire n'était pas seulement la dévotion des hommes d'église et des enfants du cloître; des monastères il était passé dans les camps, et nos vieux capitaines maniaient aussi bien le chapelet que l'épée.
C'est par lui que Simon de Monfort put, avec une poignée de braves, tailler en pièces une armée de cent mille hommes.
C'est avec lui que Philippe-Auguste remporta ses victoires sur les Anglais.
C'est lui qui ouvrit à Louis XIII les portes de la Rochelle.
C'est près de lui que le vieux connétable de Montmorency venait chercher cette intrépidité et ce mépris de la mort qui ont fait sa gloire; la veille des batailles il récitait son chapelet devant sa tente, et quand les soldats le voyaient ainsi égrener son rosaire, ils sentaient que la journée du lendemain serait chaude, et les ennemis eux-mêmes avaient pris l'habitude de dire: " Dieu nous garde des patenôtres du connétable de Montmorency"
Les temps modernes, aussi bien que les temps anciens, ont été les témoins de la dévotion de nos guerriers à Notre-Dame du Rosaire, et les champs de bataille de la Crimée et de l'Italie ont révélé au monde une fois de plus que le soldat français est religieux autant que brave.
Les arts et les artistes n'ont pas manqué de rendre hommage à leur tour au Rosaire. Que faut-il à l'artiste? un idéal et l'inspiration. Or quel type plus touchant et plus sublime que celui de la Vierge dans ses joies, ses douleurs, et ses gloires? quel sujet plus propre à faire vibrer la lyre et inspirer le pinceau. Aussi, bien qu'en France nous n'ayons pas eu beaucoup d'artistes religieux, les meilleures compositions en musique et en peinture ont été inspirées par le Rosaire.
Il y a encore dans le peuple de ces cantiques simples, doux et majestueux, et qui remuent et attendrissent profondément les âmes; il y a dans nos musées et dans nos églises de ces tableaux signées de le Sueur, le Poussin, Flandrin, qui retracent les plus admirables scènes du Rosaire, et qui lui doivent ainsi la cause principale de leur inspiration.
Le peuple surtout y a gagné; il y a gagné des moeurs pures, le secret du détachement, et le sentiment si difficile de la résignation; il y a gagné de rester catholique, et de ne se laisser entamer ni par l'hérésie, ni par l'indifférence.
Si la foi est encore debout dans certaines paroisses, c'est grâce à la pratique fidèle du chapelet; si, après tout, la France n'est ni protestante ni schismatique, c'est grâce à la dévotion du Rosaire.
(mais depuis, 68 et Vatican II sont passés par là avec les doux ravages que l'on sait dans l'Eglise et dans les âmes.... !
La raison de cette attraction mystérieuse du Rosaire est bien simple.
Le Rosaire est une dévotion essentiellement logique; ce n'est ni une théorie abstraite, ni une formule irréfléchie, ni une pratique dénuée de principes; c'est une dévotion admirable, qui s'adresse à l'esprit et au coeur, et saisit l'homme tout entier. Elle parle à notre intelligence, qu'elle ravit dans la contemplation des plus grands et des plus doux mystères; elle éveille au fond de l'âme les sentiments les plus tendres, en y évoquant les plus chers souvenirs de la charité de Dieu et de la maternelle bonté de la sainte Vierge; elle demande enfin au chrétien, témoin de ces grandes scènes de la rédemption, d'y conformer sa vie.