Jeudi de Pâques.
Publié le 8 Avril 2010
Comment Jésus-Christ apparut à Madeleine sous la forme d'un jardinier.
Marie ayant tourné la tête aperçut le Seigneur; elle ne le reconnut pas cependant, et elle crut qu'il était le jardinier de cet endroit.
Son erreur en ce jugement ne fut pas grande ; car le Sauveur mérite certainement ce titre : il en avait déjà rempli les fonctions en arrachant de l'âme de la pécheresse les épines de l'infidélité et de l'ignorance. Il les remplit aussi dans l'âme où il habite ; car il y répand la semence des saintes inspirations et des bons désirs, il y plante la tige fructueuse des vertus qu'il arrose des larmes de la dévotion. Les moissons de nos champs grandissent moins sous l'influence des eaux du ciel que les vertus sous l'influence de cette eau spirituelle. Enfin, Jésus garde soigneusement son jardin, il le défend contre les incursions des voleurs, c'est-à-dire des démons, et il les empêche de s'y glisser par les issues nombreuses que leur offrent les sens intérieurs et extérieurs, pour y dérober les fruits de la bonne conscience.
Comment une ame passerait-elle plusieurs années sans commettre un seul péché mortel, avec les nuées d'ennemis dont elle est environnée, si elle n'était gardée par un œil qui ne connaît pas le sommeil?
Ainsi, Madeleine ne se trompait guère dans son jugement sur le Seigneur qui se présentait à elle, quoiqu'elle ne l'eût pas reconnu.
Comme elle était à la fois sous l'impression de l'amour et du doute, car elle ne s'attendait pas à la résurrection, elle vit le Seigneur sans le reconnaître : elle le vît, parce que son amour l'en rendait digne ; elle ne le reconnut pas, à cause de ses doutes et de sa défiance. Par une permission particulière de Dieu il arrive souvent aux justes d'avoir le Seigneur en eux-mêmes et de le croire loin d'eux; ce qui les exerce à la vertu et augmente en même temps leur mérite. C'est ce qui arriva au bienheureux saint Antoine.
Un jour le Sauveur lui étant apparu au moment où il venait d'être maltraité par les démons, le saint lui dit : Où étiezvous, bon Jésus? où étiez-vous? Pourquoi ne vous trouviez-vous pas ici au commencement? vous me seriez venu en aide et vous auriez guéri mes blessures. Et le Sauveur lui répondit : Antoine, j'étais ici, regardant comment tu combattais; et puisque tu as si bien combattu, je rendrai ton nom célèbre dans tout l'univers.
Sainte Catherine de Sienne ayant été violemment attaquée par le démon qui remplissait son âme de toute sorte d'imaginations, se plaignit au Sauveur, qui lui apparut ensuite, de ce qu'il l'avait abandonnée : il lui répondit qu'il ne l'avait certes point abandonnée, qu'il était au milieu de son cœur et qu'elle devait à sa présence de n'avoir pas été vaincue par ces trompeuses images.
Il tint à l'égard de Job la même conduite : il lui donna la patience de supporter ses épreuves, quoique le saint homme se plaignît à tout moment d'être délaissé du Seigneur, qui ne daignait plus ni le regarder, ni l'écouter ; au contraire, la compassion divine se serait changée en rigueur et le Tout-Puissant, de sa main, le tiendrait loin de lui. Job, xxx.
C'est ainsi que le Seigneur en use souvent avec ses serviteurs, principalement avec ceux qu'il éprouve, et ceux qui le cherchent avec ferveur. Les uns et les autres croient en être fort éloignés, tandis qu'il est fort près des uns et des autres. Comment les premiers soutiendraient-ils l'épreuve avec patience si Dieu ne leur en donnait la force; et comment les seconds persévéreraient-ils dans leur dessein, si Dieu ne leur prêtait son appui? Tel est l'enseignement que nous pouvons recueillir de cette apparition, comme de l'apparition de Jésus aux disciples d'Emmaüs. Il s'était présenté à Madeleine sous les traits d'un jardinier; il se présenta aux disciples d'Emmaûs sous les traits d'un voyageur; et dans les deux cas, sa présence ne fut même pas soupçonnée. Luc. XXIV
Le Seigneur dit ensuite à Marie : « Femme, pourquoi pleurez-vous? qui cherchez-vous?»
O Roi de gloire, ô consolateur des affligés, vous venez pour consoler, et vous tenez un langage capable de désoler! Il n'y a rien, en effet, de plus propre à renouveler une douleur et à raviver les blessures d'une personne affligée, que de lui demander pourquoi elle pleure, qui elle cherche. C'est, en lui rappelant l'objet qu'elle aime, lui faire sentir de nouveau l'absence et augmenter les causes de sa peine. De là ces paroles du Prophète : "Mes larmes ont été ma nourriture et le jour et la nuit, tandis qu'on me demandait : Où est ton Dieu? » Psalm. XLI 4. C'était assez de réveiller chez le saint Roi le souvenir de Celui qu'il aimait tant et le sentiment de la privation d'un si grand bien, pour faire couler de ses yeux, et le jour et la nuit, de continuelles larmes. Cela étant, pourquoi, ô mon Sauveur, employez-vous ce langage si brusque avec une personne que vous aimez tant?
Je ne serais pas éloigné d'en trouver la raison dans le plaisir avec lequel Jésus considérait ces pleurs. Ils n'étaient pas pour lui des pleurs de douleur : il regardait, non la douleur, mais le principe de la douleur, qui était l'amour.
Or, l'amour plaît tant à ce Seigneur, qu'il n'y a rien sur la terre et au ciel qui lui soit aussi agréable. Une chose lui plaît-elle; c'est parce qu'elle est parée et revêtue de cette vertu. Sans l'amour, ni la foi, ni l'espérance , ni le martyre, ni le langage des anges, ni le langage des hommes ne sauraient plaire à ce grand Dieu.
« Femme, pourquoi pleurez-vous? qui cherchez-vous ? » O vous, le désir de son cœur, s'écrie Origène, pourquoi, Seigneur, lui adresser cette question : pourquoi pleurez-vous? qui cherchezvous? Hélas! elle a bien peu de ses yeux pour pleurer! Elle a vu naguère, le cœur déchiré, crucifier son unique espérance; et vous lui demandez, « pourquoi .pleurez-vous ? » Elle a vu, il y a trois jours, ces mains avec lesquelles vous l'aviez bien souvent bénie, ces pieds qu'elle avait couverts de baisers et qu'elle avait arrosés de ses larmes, percés de clous sur une croix; et vous lui demandez le sujet de ses pleurs! Elle vous a vu, ce même jour, rendre le dernier soupir; et vous lui demandez le sujet de ses pleurs !
Ajoutez encore à tout cela qu'elle croit votre corps dérobé ; ce corps sacré qu'elle venait oindre de parfums, dans l'espoir d'y trouver quelque soulagement ; et vous lui diles : «Pourquoi pleurez-vous? qui cherchez-vous?»
Vous le savez; c'est vous seul qu'elle cherche, vous seul qu'elle aime, pour vous seul qu'elle méprisa toutes choses; et vous lui demandez qui elle cherche ! O doux Maître, pourquoi ranimer la douleur de cette femme? pourquoi émouvoir ses entrailles? Elle est tout entière en vous; elle demeure tout entière en vous; elle vous cherche; et en vous cherchant elle ne pense qu'à vous. C'est peut-être pour cette raison qu'elle ne vous reconnaît pas; car elle n'est plus à elle-même ; votre amour l'en a complétement arrachée. Et vous lui dites, après cela : Pourquoi pleurez-vous? qui cherchez-vous? » Origen.
Madeleine, pensant avoir devant elle le jardinier, lui répondit: « Seigneur, si vous l'avez pris, dites-moi où vous l'avez mis, et je l'emporterai. » Joan. xx. Evidemment la pieuse femme ne se possède pas, et toutes ses paroles décèlent le désordre de ses pensées. D'abord, elle ne répond pas à la question qui lui est adressée, et elle ne comprend pas ce qu'on lui demande. Elle ne comprend que son amour, et elle n'a pas de sentiment pour autre chose. De plus, elle donne à un jardinier le, titre de seigneur, qualification d'un respect excessif pour une personne chargée de fonctions si communes. Au lieu d'employer des noms dans sa réponse, elle n'use que de pronoms : « Si vous l'avez pris, dites-moi où vous l'avez mis, et je l'emporterai. »
Comme si tout le monde suivait les mêmes idées qu'elle, et comme si elle n'avait pas besoin de donner plus d'explications. C'eût été quelque chose de par trop étrange de supposer qu'un jardinier emportât des cadavres; et il l'eût été davantage de croire qu'il allait, sur une simple parole, les remettre à une personne qu'il ne connaissait pas. Toutes ces saintes divagations étaient l'œuvre de l'amour.
Une erreur encore plus grande était d'avoir Jésus en sa présence et de ne pas le reconnaître. Malade d'amour, pour ainsi parler, elle avait un voile épais sur les yeux; de telle manière qu'elle ne se rendait pas compte de ce qu'elle voyait, et qu'en voyant Jésus elle ignorait que ce fût Jésus. O Marie, si vous cherchez Jésus, vous l'avez près de vous. Peut-être ne reconnaissez-vous pas vivant celui dont vous cherchez le cadavre. Sans doute, telle est la raison de l'ignorance où vous êtes. Pourquoi Jésus se montrerait-il à vous, si vous le cherchez autrement qu'il n'est? Vous cherchez ce qui n'est pas, et vous ne cherchez pas ce qui est; vous cherchez Jésus, et on peut dire que vous ne le cherchez pas: voilà pourquoi vous le voyez sans le connaître.
- O doux et tendre Maître, je ne saurais excuser entièrement votre servante, ni défendre son erreur. Elle vous cherchait tel qu'elle vous avait vu, et tel qu'elle vous avait laissé dans le sépulcre. Elle avait vu votre cadavre descendu de la croix et mis dans un monument; et votre mort ainsi que votre sépulture l'avaient remplie d'une douleur si vive qu'il ne lui restait plus l'espérance de vous voir ressuscité et plein de vie. Enfin, pendant que Joseph déposait votre corps dans le lieu qui lui avait été préparé, Madeleine y ensevelissait son âme; et elle l'unissait si étroitement à vos restes adorables, qu'il eût été plus facile d'arracher cette âme au corps qu'elle animait, que de l'arracher à l'objet de sa tendresse. Son âme était plus dans votre corps que dans le sien. Aussi en cherchant votre corps, elle cherchait son âme; et en perdant votre corps, elle avait perdu son âme. Est-il étonnant ensuite qu'elle ne vous reconnaisse pas puisqu'elle n'a plus sa faculté de connaître? Rendez-lui donc, Seigneur, son esprit; rendez-lui le sentiment, et elle sortira bientôt de l'erreur où elle est. - Mais pouvait-elle se tromper, elle qui vous aimait tant et qui vous pleurait tant! - Oui, elle se trompait, quoiqu'elle ne s'aperçut pas de son erreur. Ainsi son erreur procédait non de l'erreur, mais de l'amour.
C'est pourquoi, ô Juge miséricordieux et juste, l'amour qu'elle a pour vous, et la douleur qu'elle éprouve à cause de vous, plaident auprès de vous en sa faveur, et vous supplient d'avoir égard à l'amour de la sainte, et non à l'erreur de la femme.
Ce n'était pas par erreur, c'était par amour et tristesse qu'elle pleurait, et qu'elle vous disait:" Si vous l'avez pris, dites-moi où vous l'avez déposé et je l'emporterai."
Que signifie ce langage, femme? Que ditez-vous là? Quoi! Joseph d'Arimathie n'a osé descendre le corps du haut de la croix que la nuit et avec l'autorisation de Pilate; et Madeleine, sans attendre la nuit, sans tenir compte de Pilate, s'engage hardiment et dit: moi, je le prendrai ! O Marie ! ...
Et si par hasard le corps de Jésus était dans la maison du prince des prêtres, là où le chef des apôtres renia son Maître, près du brasier devant lequel il se chauffait, que feriez-vous? "Je l'emporterai," répond-elle.
O courage admirable! ô femme! ô femme! Et si la servante qui veille à la porte vous interroge, que lui direz-vous? - Je l'emporterai. - O amour ineffable! ô fermeté merveilleuse! Elle n'exclut aucun endroit, elle n'en désigne aucun: elle parle sans crainte, elle s'engage absolument:" Dites-moi où vous l'avez déposé, et je l'emporterai. "O femme! grande est votre foi, grande est votre force. O bon Maître, pourquoi n'ajoutez-vous pas ce qui suit:" Qu'il vous soit fait selon votre parole." Matth XV, 28. Est-ce que vous auriez oublié votre miséricorde accoutumée?
Ne différez pas davantage, ô doux Seigneur, les consolations que vous lui réservez. Depuis trois jours elle vous attend: elle est sans nourriture; elle n'a rien pour apaiser la faim de son âme à moins que vous ne lui révéliez votre présence corporelle. Si vous ne voulez pas qu'elle tombe en chemin de défaillance, venez en aide à la faiblesse de son âme par la douceur de cet aliment. Vous êtes le pain vivant qui renferme en soi toute suavité. Sa vie matérielle ne se soutiendrait pas longtemps, si vous ne lui découvriez les traits de celui qui est la vie de son âme.
La miséricorde du Seigneur ne se fît pas longtemps attendre et l'épreuve arriva bientôt à sa fin....
louis de Grenade