Mon Dieu, tout va mal!

Publié le 21 Janvier 2014

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©Jean-Louis PERLA

 

 

   Avant que l'homme ne soit atteint par le mal, il y a lieu de considérer que du mal se trouve dans le monde. Et à ce propos déjà, la question est de savoir d'où il vient et si on peut le justifier.

 

   Cataclysmes de la nature, hostilité des éléments entre eux, dépérissement et mort des êtres animés: le monde nous offre ce spectacle. Pourquoi, demandons-nous, faut-il que la terre tremble, que les fleuves débordent de leur lit et que la tempête déracine les arbres? Pourquoi y a-t-il des régions arides et des cieux incléments? Pourquoi le ver se met-il dans le fruit et l'agneau est-il dévoré par le loup? Pourquoi les feuilles tombent-elles des arbres et les oiseaux un jour cessent-ils de chanter?

 

 

   Nous rêvons d'un monde où rien de semblable ne se passerait, et devant le spectacle que le nôtre nous offre, nous ne nous défendons pas, abstraction faite des effets qui peuvent s'ensuivre pour nous, de certains sentiments d'effroi, d'indignation ou de mélancolie.

 

    En quoi nous n'avons pas entièrement tort. Tel que ce monde est fait, il comporte certainement du mal pour les choses particulières qui le composent. Il n'est point avantageux à l'agneau d'être dévoré par le loup. Nous commencerions toutefois d'avoir tort si nous prétendions juger ce fait du point de vue de l'agneau. Non qu'on doive adopter le point de vue du loup!

 

 

   Jugeons-en du point de vue de l'univers, et comprenons que les différents phénomènes que nous déplorons comme des maux,, en réalité relèvent de lois et expriment un ordre qui sont la beauté inviolable du monde.

 

   Peut-être y a t-il deux sortes d'esprits: ceux qui sont tout occupés par le fait et ceux qui s'élèvent aisément à la vue des lois. Nous ne jugerons correctement du mal qu'à la condition de ne pas rester entièrement étrangers à la seconde manière de penser. Platon proclamait le monde " très grand et très beau et très bon et très accompli"; il termine sur ces quatre superlatifs son dialogue de Timée, qui est tout entier un effort pour analyser la beauté du monde.  Il n'est aucun des maux auxquels sont sujets les êtres particuliers qui ne tombe sous des règles et donc ne se découvre comme un bien pour l'univers. Les accidents mêmes et les effets du hasard, pour qui aurait le regard assez pénétrant et vaste, se réduisent à l'ordre général. La science n'est rien d'autre que la tentative d'apercevoir en tout évènement particulier l'effet ou l'application nécessaire des lois selon lesquelles est réglé ce monde.

 

   Que l'on s'élève au point de vue de l'univers, et l'on verra une beauté dans les cataclysmes de la nature, dans l'hostilité des éléments entre eux, dans le dépérissement et la mort des êtres animés. Rien que d'harmonieux dans ces évènements, rien que de conforme à l'ordre, rien que d'avantageux pour le monde. Nous savons que le même phénomène qui peut choquer le profane enchante le savant, c'est-à-dire celui qui est capable de voir le fait particulier en liaison avec l'ensemble des choses, et dans le trouble même, de discerner la constance des règles, au nom desquelles nous proclamons que ce monde est bien fait.

 

   L'optimisme cosmique d'un Platon est passé dans la théologie chrétienne. Platon admirait le monde sur la considération du monde même. Nous savons qu'il a été créé par Dieu et, sur cette seule donnée, nous affirmons qu'il est bien fait. Nous allons jusqu'à dire qu'il ne pouvait être formé avec plus de sagesse et de bonté.

 

   Dieu, certes, pouvait créer des choses et des êtres meilleurs que ceux qu'il a faits; le monde que nous avons sous les yeux, à considérer les parties dont il est composé, n'est pas le meilleur des mondes possibles. Pourquoi Dieu s'est-il arrêté à faire celui-ci? Il n'en est d'autre raison que le décret de sa sagesse.

 

   Ce que nous devons dire, et l'affirmation est capitale, c'est que, les parties de l'univers étant ce qu'elles sont, il ne peut être meilleur qu'il n'est: car il règne en lui un ordre impeccable auquel concourt, tel qu'il est, chacun des êtres compris en l'univers.

 

 

   Changer un être particulier sous prétexte de le rendre meilleur, ce serait troubler l'harmonie de l'ensemble, exactement, dit S Thomas d'Aquin, comme on troublerait la mélodie de la cithare si l'on tendait une des cordres plus qu'il ne se doit. Nous mettons en question l'univers même quand nous prétendons corriger le moindre de ses détails. Et l'entreprise n'est-elle pas téméraire aux humains, de réformer l'univers?

 

 

   Nous sommes prêts à reconnaître qu'il doit y avoir du mal dans le monde. Puisque les créatures sont constituées en des degrés différents d'être et donc de bonté, les unes seront bonnes à ce point qu'elles sont soustraites à toute diminution et défaillance, les autres dans une telle mesure telle qu'elles sont sujettes à défaillir, à décliner, à disparaître. Il faut des êtres corruptibles, si nous voulons que l'univers soit parfait et accompli; il faut des êtres susceptibles de mal comme des êtres définitivement établis dans leur bonté. Mais s'ils sont susceptibles de mal, admettons aussi que le ma les atteigne quelquefois; tout de même que ce qui est corruptible ne peut manquer de connaître la corruption. Voudrait-on que Dieu mît à la corruption un empêchement soudain? Mais s'il est justifié d'avoir fait certaines natures corruptibles, il fait bien aussi de les laisser suivre leur cours. Autrement, il corrigerait son oeuvre, comme si, du premier coup, il ne l'avait pas réussie. La beauté de l'univers, en vue de laquelle il avait fait ces natures, ne peut être lésée lorsque ces natures, en effet, révèlent leurs imperfections. ....

 

   Car n'est-il pas vrai que de ce mal non empêché du bien procède, que jamais nous n'aurions connu si le mal d'abord n'avait eu lieu? Il n'y aurait pas la douceur du printemps s'il n'y avait les rigueurs de l'hiver, ni l'éclat des matins s'il n'y avait l'obscurité des nuits. Il n'y aurait point le rassasiement s'il n'y avait la faim ni l'éclosion de la semence si elle ne mourrait pas dans la terre. Il n'y aurait pas l'avènement des générations nouvelles si les anciennes ne s'en allaient, ni la croissance admirable des enfants s'il n'y avait le déclin des vieillards. Cette observation est juste en même temps que belle. Il faut voir exactement de cette manière le mal dont notre monde est le théâtre. Du mal qui arrive, Dieu tire du bien. A ce prix, l'univers est en effet plus beau de contenir du mal, comme un chant, dit encore st Thomas d'Aquin, est en effet plus suave du fait des silences qui en ponctuent le développement.

 

   ....

 

 

 

    En présence du mal dont la création nous offre le spectacle, nous ne sommes pas déconcertés. Il ne concerne jamais que des êtres ou des cas particuliers. En définitive, il se réduit à l'ordre et il concourt à la beauté de l'ensemble. Dieu est plus glorifié d'avoir fait un univers où le mal a sa place. A nous de comprendre que toute créature a son prix et de concevoir devant tout évènement de la nature l'admiration que mérite l'ordre inviolable de l'univers. Le lyrisme des psaumes où sont exaltées la splendeur des cieux et la gloire de la terre est passible de la plus rigoureuse justification théologique. S. François d'Assise est dans la vérité lorsqu'il laisse s'échapper de son âme le cantique des créatures. Si nous sommes empêchés d'entrer dans les mêmes sentiments, la raison n'en est-elle pas que d'emblée nous interprétons la nature dans son rapport avec l'homme? Elle nous inspire l'effroi, l'indignation ou la mélancolie. C'est que déjà nous nous introduisons de quelque manière dans la nature. Elle nous effraie, parce qu'elle risque de nous faire mal. Si nous nous sentions en sécurité, ses cataclysmes produiraient sur nous un tout autre effet: " Suave mari magno..." Elle nous indigne, parce que le loup dévorant l'agneau nous voyons l'homme rapace et sanguinaire asservir à ses convoitises l'innocent: le genre littéraire des fables est tout fondé sur cette transposition.  Elle engendre en nous la mélancolie en vertu de l'on ne sait bien quelles analogies subtiles et parce que le paysage nous devient un état d'âme.

 

   En réalité, il n'y a pas de larmes des choses. La communion sentimentale de l'homme avec la nature n'est point illégitime; il est véritable que l'homme fait partie de cet univers et que sa vie est indissolublement mêlée avec celle du monde. Mais il ne doit pas être dupe.  Il nous appartient de regarder l'univers comme il est. Nous nous priverions d'un objet admirable et nous nous vouerions à l'erreur si nous n'êtions point capables de traiter d'abord l'univers comme un spectacle.

 

Il est étendu sous nos yeux afin que nous en considérions les merveilles et qu'à travers tout ce qu'y s'y trouve et s'y déroule nous découvrions l'ordre irréprochable de ses mouvements, mieux encore, l'incorruptible gloire de Dieu.

 

 


R.P. DEMAN O.P.


Rédigé par philippe

Publié dans #spiritualité

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