ora et labora
Publié le 14 Juin 2010
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Le travail c'est la sainteté.
Une affiche placardée à quelques mètres de ma porte m’a interpellé : on y voit les mains d’un homme agrippant des barreaux de prison. Message associé : « la retraite devrait être une libération ». La campagne, diffusée ces jours-ci, est signée PCF.
Le travail est-il un tel esclavage, que son aboutissement dans la retraite soit perçu comme une libération ? Pour un parti qui fonde son idéologie sur la lutte des classes, nul doute : le travail est un instrument de domination d’une classe privilégiée (les capitalistes) sur une classe exploitée (les prolétaires).
Le travail : un purgatoire ?
Pour le jeune pro que je suis, qui en goûte les joies et les peines, le travail est avant tout un facteur d’autonomie qui permet de plus n’être « à charge », mais également un lieu où me sont confiées des responsabilités (parfois écrasantes, mais qui font grandir).
J’ai cependant la chance d’avoir un emploi intéressant, exercé dans de bonnes conditions, et suis conscient que de nombreux travailleurs, qui souvent n’ont pas réellement choisi leur poste, pâtissent de dures conditions de travail.
La vision biblique du travail n’a, à première vue, rien à envier au communisme : dans la Genèse, la peine qui l’accompagne le travail est la conséquence du péché originel. Elle y est mise en parallèle avec la douleur (qu’on sait vive) de l’enfantement.
L’oisiveté n’a pas plus les faveurs de la Bible : difficile, à l’époque du chômage de masse, d’entendre la parole de Paul aux Thessaloniciens (2Th 3 ,10) : « celui qui ne veut pas travailler, ne doit pas manger non plus » !
Comment réconcilier ces deux positions ?
Travailler plus… ?
Faut-il, au nom du progrès, rejeter l’injonction de Paul ? Ceux qui en seraient tentés admettront que Paul était également précurseur dans la justice sociale : « il faut que celui qui laboure le fasse avec espérance et que celui qui bat le blé puisse compter sur sa part» (1 Cor. 9-9). L’homme qui a écrit cela serait sans doute aujourd’hui aux côtés des travailleurs sans papiers.
Certains passages des évangiles semblent à l’inverse s’opposer frontalement à toute logique économique : rappelez-vous la parabole des ouvriers de la dernière heure, payés à l’égal de ceux qui ont peiné toute la journée, ou de Marthe, qui après s’être affairée à le recevoir entend Jésus lui dire que Marie a choisi la bonne place…
C’est que l’Évangile n’est pas un manuel d’économie… et son message n’est pas « travailler plus pour gagner plus » ! Cette idéologie, celle du self-made man, est l’opposé du christianisme… qui invite justement à se reconnaître héritier, intendants de nos propres vies et non propriétaires.
« Travaillez plus car vous avez reçu plus » est sans doute beaucoup plus évangélique ! Souvenez-vous de la parabole des talents (Mt 25,14-30)… Le travail prend ainsi une dimension morale… difficilement audible par une génération dont les comptes publics sont en déficit constants depuis 1974 !
Convertir notre regard sur le travail et par le travail
Il nous faut donc convertir notre regard sur le travail, pour cesser de le voir seulement comme source de peine, mais aussi comme un moyen qui nous est donné de manifester notre reconnaissance face au don de Dieu.
Une seconde lecture plus attentive de la Genèse montre que le travail existe dès avant le péché originel : seule la peine qui y est associée en est la conséquence. Par le travail, au contraire, nous avons la possibilité d’être associés à l’œuvre de création de Dieu.
Le Christ a également voulu nous faire collaborateurs et associés de notre propre salut en nous donnant comme signe de son corps le pain, « fruit de la terre et du travail des hommes ».
Qu’est-ce qui sépare le travail-prison du travail-libération ? L’employé captif de l’ouvrier du Royaume ? L’histoire du Fils Prodigue (cf. Lc 15, 11-32) l’illustre assez bien. Ayant demandé sa part d’héritage (signifiant ainsi à son père qu’il est mort à ses yeux), il dilapide tout : c’est le fait de travailler loin de son Père qui lui fait prendre conscience de sa bonté, de la gratuité de ses dons.
Retrouver le goût du travail passe peut-être par laisser une place pour Dieu dans notre travail :
* cesser de travailler pour soi ou pour être bien vu, mais placer l’homme au centre en valorisant le travail de nos collaborateurs ;
* refuser de faire du travail l’unique centre de notre vie, en prenant des temps de retraite, pour cesser de guetter chaque jour LA retraite ;
* si l’on est un manager, en leur manifestant de la confiance tout en les amenant à se développer dans leurs compétences et leur personnalité.
Un saint, Josemaria Escriva, avait compris l’importance du travail vu comme une spiritualité enracinée, au quotidien, dans le Christ. L’institution qu’il a fondée, l’Opus Dei, porte dans ses gènes cette volonté de ne pas chercher les grandes choses, mais de se laisser sanctifier dans son travail1.
In fine, si nous convertissons notre regard sur le travail, c’est notre travail qui bientôt nous convertira. Nul besoin de grandes choses, de « réussir » : si vous connaissez Dieu, votre vie est déjà réussie !
A quand « travailler mieux pour trouver Dieu » ?