Vanitas vanitatum et omnia vanitas.

Publié le 6 Novembre 2013

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Le bonheur!... voilà le mot magique, ou pour mieux dire, le but qui domine et régit tous les mouvemennts, tous les actes de la vie humaine, comme un principe domine et régit les conclusions que la raison lui arrache.

 

Trouvez-moi un homme qui prenne son parti de ne jamais être heureux; immédiatement je renoncerai à vous parler de vos destinées. Mais vous ne trouverez même pas un homme qui se contente d'un bonheur tel quel; un homme qui n'ait pas le désir d'arriver dans la félicité à ce point où l'on ne peut plus dire ni à la plénitude, ni à la durée: encore ! encore !

 

L'homme veut être satisfait en toutes les facultés et puissances de sa nature, et l'être chaque jour davantage: à l'entendre, il lui faut des amours éternelles, une gloire incorruptivle, des joies inaltérables. L'intensité du bonheur auquel il aspire doit être pénétrée d'éternité.

 

Ai-je besoin de vous dire qu'aucun des biens extérieurs et fragiles que nous rencontrons autour de nous ne peut répondre à de pareils désirs?

 

Il y a longtemps que la sagesse humaine a pris la mesure de leur vanité. Richesses, plaisirs, honneurs: autant de viandes creuses qui trompent la faim de l'homme sans l'assouvir.

 

La richesse! - C'est le partage du petit nombre. A la peine qu'on se donne pour l'amasser, succède le tourment de la conserver et de l'accroître; peine et tourment insuffisamment compensés par les quelques jouissances qu'elle procure. Et dans quelles mains va t-elle le plus souvent s'égarer! Elle pousse au faste et à l'insolence; mais elle n'empêche pas l'homme d'être sot, vil et méprisable. Le meilleur moyen d'y trouver quelque bonheur est de s'en débarrasser pour en faire jouir les autres.

 

Le plaisir! - C'est la félicité de la brute. En faisant tressaillir l'âme dans une chair troublée, il développe en nous l'animal aux dépens des plus nobles facultés de notre être. Et, s'il n'engendre pas la satiété, après la satiété le dégoût, il nous prépare de honteuses douleurs et hâte en nos organes l'incessant travail de la mort.

 

Les honneurs! La gloire! La renommée. - vaine fumée d'un encens que les mains avares de la fortune ne distribuent qu'à regret et que dissipe trop tôt le souffle de l'envie. Vaine récompense dont la perfection tient d'autant moins compte, qu'elle la mérite davantage, et qui étreint comme un carcan ceux qui l'ont volée.

 

Quel homme sage, dites-moi, pourrait se contenter de pareils biens? Ceux qu'ils semblent satisfaire ont renversé leur nature et sont tombés du faite de la vie intellectuelle, où le désir devient vaste comme la pensée, dans les bas-fonds où la sensation ne compte que des instants et se repait de jouissances fugitives.

 

Ou, plutôt, habiles à se décevoir, ils oublient que leur félicité de bas étage doit finir un jour, et lui prêtent, dans l'enivrement de l'heure présente, une menteuse éternité. Qu'ils se donnent la peine de réfléchir et qu'ils comparent l'ampleur de leurs désirs à l'étroitesse des biens dont ils jouissent, ils auront bientôt dit avec le poète:

 

Si mon coeur fatigué du rêve qui l'obsède,

A la réalité revient pour s'assouvir.

Au fond des vains plaisirs que j'appelle à mon aide

Je trouve un tel dégoût que je me sens mourir.

 

Alfred de Musset.

 

Notre pauvre coeur voudrait bien se fixer dans une de ces pures et fidèles affections qui doublent, en quelque sorte, notre être, et tiennent lieu de tous les biens. - Si je pouvais être aimé, dit-il comme je veux aimer!

 

Vain désir! Les largesses du coeur ne sont pas toujours payées d'un juste retour. Si la naïve confiance avec laquelle il se donne ne va pas se heurter à la trahison, trop souvent elle ne rencontre que l'ingratitude. Un tout petit oubli, un malentendu, un caprice suffisent pour rompre des noeuds que l'on croyait éternels.

 

- Avons-nous la bonne fortune d'unir nos amours à des amours fidèles? - Il faudra bien un jour se résigner à des séparations qui nous laisseront pour héritage que des regrets, des gémissements et des larmes. Nous verrons partir, en plein bonheur, ceux que nous aimons, ou bien nous serons arrachés sans pitié à leurs embrassements. Infortunés témoins de la désolation, nous ne leur laisserons plus à aimer que de lamentables restes qu'il faudra proscrire et enterrer loin des vivants. - Et l'amour serait le bonheur !

 

   Du moins, il est au sommet de notre nature une faculté qui peut être satisfaite. L'intelligence a faim de vérité. " C'est la viande des esprits, dit Malebranche; elle est si délicieuse et donne à l'âme tant d'ardeur, quand on en a goûté, que l'orsqu'on se lasse de la rechercher, on ne se lasse jamais de la désirer et de recommencer ses recherches, car c'est pour elle que nous sommes faits. "

 

Qui ne sent que, dans l'état présent, notre faible cerveau ne pourrait pas la contenir toute sans se rompre? Qui ne se convainc, à force d'apprendre que l'homme ne peut pas tout savoir? Le puissant génie de Newton, près des portes de la mort, confessait humblement sa faiblesse:"  Je ne sais, disait-il, ce que le monde pensera de mes travaux; mais, pour moi, il me semble que je n'ai été autre chose qu'un enfant jouant sur le bord de la mer, et trouvant tantôt un caillou plus poli, tantôt une coquille un peu plus brillante, tandis que le grand océan de la vérité s'étendait inexploré devant moi."

 

Eussions-nous mille fois plus d'esprit que Newton; nous fût-il donné de connaître toutes les lois de la nature, tous les évènements de l'histoire, toute la puissance des nombres, tous les atômes et toutes les forces dont se compose le monde visible, il y aurait encore de vérités mystérieuses que notre ambitieuse intelligence voudrait pénétrer. Quoiqu'elle fasse, elle n'est jamais au bout de ses désirs.

 

Quelle étrange chose, Messieurs, que l'homme soit si avide et qu'il soit si peu satisfait !

 

Il ressemble à ces gouffres immenses dans lesquels, une pierre qui tombe, un cri que l'on pousse, éveillent mille échos endormis et révèlent d'insondables profondeurs. Les biens de la vie présente, à mesure qu'il les engloutit, vont frapper les parois de cet abîme et lui font dire: encore, encore !

 

"Il y a là comme des besoins infinis, dit un vieux philosophe, c'est donc l'infini que les hommes désirent."

 

Je ne veux pas abuser de ces prémisses pour faire ici le ténébreux et exagérer, avec certains apologistes de notre immortalité, ce que Bossuet appelle quelque part " l'inexorable ennui de la vie".

 

Pratiquement, cet inexorable ennui ne me semble pas l'état général de notre organisation morale et le fond commun de la vie humaine. Tout le monde n'est pas prédisposé aux humeurs noires; tout le monde n'est pas tellement écrasé par l'infortune qu'on soit tenté de s'écrier avec Job: " Je m'ennuie de vivre: taedet animam meam vitae meae. Job. cap X,1

 

Tout le monde n'est pas tellement convaincu de l'inanité des biens de ce monde qu'on soit toujours prêt à dire comme le sage:" Vanité des vanités et tout est vanité: Vanitas vanitatum et omnia vanitas.

 

Mais, par exemple, ce qui est vrai, ce dont tout le monde convient, ce qui est passé proverbe: c'est qu'il n'y a pas de bonheur parfait ici-bas, bien que nous en ayons le naturel désir. Ce qui est certain: c'est que l'homme qui réfléchit et raisonne est obligé de reconnaître une disproportion entre les tendances de notre nature et les biens de toute sorte, actuellement mis à sa portée par la Providence.

 

Nous voulons savoir, aimer et jouir, et, de l'heure de notre naissance à l'heure de notre mort, nous ne le pouvons pas autant qu'il faudrait pour n'avoir plus aucun bonheur à désirer. Il y a en nous une capacité immense qui n'est pas remplie; nous sommes emportés par un mouvement qui n'aboutit pas. D'où il suit que notre nature, victime d'un mensonge, est un désordre dans l'ordre universel où tous les êtres sont satisfaits.

 

L'atôme reçoit tout son bien du centre autour duquel il gravite; la plante tout son bien de la terre qui la nourrit., de l'air qu'elle respire, de la rosée et des pluies qui l'abreuvent, du soleil qui l'éclaire et la réchauffe; l'animal tout son bien des sensations qui se succèdent dans son organisme, et auxquelles se bornent les exigences de son instinct.

 

L'homme seul est condamné à désirer toujours et à mourir déçu.

 

On est en droit de se demander si sa vie vaut bien la peine de vivre; à moins qu'on ne prolonge son existence au delà de la catastrophe qui semble la supprimer, et qu'on ne donne en réponse à ses aspirations l'immortalité, la vie future.

 

  Ame humaine, mon amie, ma fille, ne crains rien; je t'attends: je t'attends, pour prolonger ton existence, avec plus de soin et de respect que je ne prolonge l'existence des éléments qui circulent perpétuellement dans l'immense tourbillon de la matière; je t'attends, pour recevoir éternellement de toi les hommages intelligents qui seuls conviennent à mon infinie majesté; je t'attends pour te faire voir le vrai sans ombre, aimer le bien sans défaillance et goûter sans crainte de le perdre jamais; je t'attends, pour juger ta vie et tes oeuvres, et décider de ton éternité. Je t'attends; tu peux chanter avec le genre humain: Credo vitam venturi saeculi.


 

 

du même auteur.

 

 


 


Rédigé par philippe

Publié dans #spiritualité

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