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SAINT BENOÎT
Homélie prononcée
par le Très Révérend Père Dom Jean Pateau,
Abbé de Notre-Dame de Fontgombault.
(Fontgombault, le 21 mars 2014)
Chers Frères et Sœurs, mes très chers Fils,
La fête de ce jour commémore le rappel à Dieu, le 21 mars 547, de notre bienheureux Père saint Benoît. Il avait alors environ soixante-sept ans.
L’épÏtre que nous venons d'entendre applique au saint patriarche des moines d’Occident ˗ titre donné par saint Grégoire le grand ˗ l'éloge décerné par Ben Sira, auteur du livre de l'Ecclésiastique, au grand prêtre Simon II, fils d'Onias III, qui mourut vers 195 avant Jésus-Christ. À cette époque le grand prêtre est è la fois chef religieux et chef politique d'Israël.
En cette année, ce texte est d’une particulière actualité. Si la vie de saint Benoît s’est déroulée dans le contexte spirituel, érémitique d’abord, puis cénobitique, des communautés fondées par lui à Subiaco et au Mont-Cassin, cette vie n’a pas été sans porter de grands fruits pour la construction de l’Europe.
Des souverains pontifes ont souligné ce fait par les titres décernés à Benoît. Pie XII, le 18 novembre 1947 au cours d’une homélie, et Paul VI, il y a bientôt cinquante ans, le 24 octobre 1964 par la lettre apostolique Nuntius Pacis, Messager de paix, l’ont appelé respectivement Père et Patron de l’Europe.
Messager de paix, écrivait Paul VI, artisan d’union, maître de civilisation, et, avant tout, héraut de la religion du Christ et fondateur de la vie monastique en Occident [tel fut saint Benoît] ... Alors que s’écroulait l’Empire romain désormais à son terme, que des régions de l’Europe s’enfonçaient dans les ténèbres et que d’autres ne connaissaient pas encore la civilisation et les valeurs spirituelles, ce fut lui qui, par son effort constant et assidu, fit se lever sur notre continent l’aurore d’une ère nouvelle.
Le grand prêtre répara le sanctuaire, aménagea et protégea la cité. Entouré de son peuple, il était magnifique dans sa fonction tant liturgique que politique. L’auteur semble vouloir donner une liste exhaustive des comparaisons possibles pour affirmer sa grandeur : étoile du matin au milieu des nuages, lune en son plein, soleil rayonnant sur le Temple du Très-Haut, arc-en- ciel brillant dans les nuages de gloire, rose au printemps, lis près d’une source, rameau de l’arbre à encens en été, feu et encens dans l’encensoir, vase d’or massif, orné de toutes sortes de pierres précieuses, olivier chargé de fruits, cyprès s’élevant jusqu’aux nuages. (Sir 50, 6-10)
Comment saint Benoît peut-il mériter un tel honneur ?
Au début du 6e siècle, l'Italie est dévastée par les invasions barbares. Guerres, famines, épidémies déciment les populations.
Dès les premiers mots de sa Règle, saint Benoît pose une question particulièrement pertinente : « Où est l’homme qui veut la vie et désire connaître des jours heureux ? » (Ps 34/33, 13) Compte tenu du contexte, beaucoup devaient se sentir concernés par la question. Les monastères s’ouvrent comme des places de refuge, où ceux qui s’en sentent capables réapprennent à être hommes en travaillant à devenir hommes de Dieu. Paul VI disait dans son allocution au Mont-Cassin du même 24 octobre 1964 :
L’excitation, le bruit, l’agitation fébrile, l’extériorité, la foule menacent l’intériorité de l’homme. Il lui manque le silence avec son authentique parole intérieure, il lui manque l’ordre, la prière, la paix. Il lui manque lui-même. Pour retrouver la maîtrise et la joie spirituelle de lui-même, il a besoin de se remettre en face de lui-même, dans le cloître bénédictin. Dans la discipline monastique, l’homme est regagné à lui-même et à l’Église.
Au sein d’un monde qui se cherche et qui cherche, Benoît propose à son disciple l’unique nécessaire : « chercher Dieu ». Sa proposition tient encore aujourd’hui. Elle vaut pour nous, elle vaut pour les nations.
Dimanche dernier, l’Église a médité le mystère de la Transfiguration. La vision de Jésus-Christ transfiguré, unie à la voix du Père disant : « Celui-ci est mon Fils, le Bien-aimé, qui a toute ma faveur : écoutez-le ! » (Mt 17,5), remplit les disciples de frayeur. Certes, ils avaient vu les miracles, mais ils n’avaient pas touché de si près la Divinité. À présent le mystère de Jésus, Dieu et Homme, se fait comme palpable. Durant quelques instants leur quête de Dieu paraît comblée. Ils saisissent le mystère formidable de la transcendance de Dieu.
Chaque jour, nous sommes confrontés à la nature humaine, trop humaine, à commencer par la nôtre. Pourtant en nous-mêmes se déroule un mystère qui s’apparente au mystère de Jésus. Notre corps attend d’être transfiguré en un corps glorieux au moment de la résurrection des corps. Mais dès aujourd’hui, en notre âme, Dieu se dit. La grâce sanctifiante est une réelle participation à la vie divine. En nous, il y a déjà de Dieu et de sa lumière.
Le temps du Carême est propice à "nous regagner à nous-mêmes et à l’Église". Au moment de la mort sera révélé le mystère de notre vie.
Nous faudra-t-il attendre cet instant pour, tels les apôtres, être terrifiés et prendre enfin au sérieux ce qui restera de notre vie ?
Chaque instant qui passe emporte avec lui son poids d’éternité en bien ou en mal, en charité envers Dieu et le prochain ou en haine. Cherchons-nous Dieu vraiment ? Là est la question. La nature humaine nous aurait-elle absorbés au point que toute notre vie ait été ramenée à sa mesure ? C’est petit, c’est vain en face du mystère qui devrait s’opérer réellement en nous.
Saint Benoît aimante à nouveau la boussole de notre âme, devenue folle dans un monde sans repère.
Celui qui "veut la vie et désire connaître des jours heureux" doit s’appliquer généreusement à chercher Dieu.
Que Marie, reine des moines, nous accompagne sur le chemin.
Amen.