Publié le 24 Octobre 2024
ancien sacristain Fontgombault
in memoriam dom de Feydeau R.I.P. +
Il y a un quart de siècle, le matin du 15 septembre, bien avant l’aube, les fondateurs de notre monastère rassemblèrent leurs derniers effets et se préparèrent à entreprendre le long voyage de France en Amérique. Pendant le chant du cantique Benedictus , vers la fin de l’office des Laudes, ils se rassemblèrent au milieu de l’ancienne église abbatiale de Fontgombault et sortirent, conduits par l’abbé, Le bluff des aigles avec l'abbé de Solesmes par le portail ouvert et montèrent dans le véhicule qui les conduirait à un train pour Paris. A Paris, lieu autrefois peuplé de saints et de monastères célèbres, ils embarquèrent dans un avion à destination de terres d’outre-mer.
C'est assez tard ce même jour, jour de la fête de Notre-Dame des Douleurs, que les moines posèrent enfin le pied sur le sol de l'Oklahoma. Un accueil chaleureux les attendait à l'aéroport de Tulsa. De nombreux vœux furent échangés, ainsi que des chants et des prières ferventes. La dernière étape du voyage fut une aventure, car les moines s'entassèrent dans plusieurs automobiles amicales et se dirigèrent vers le cœur du comté de Cherokee, certains conducteurs se perdant au milieu des routes de campagne sinueuses, loin des lumières de la ville. Il était bien après minuit lorsque tous furent enfin réunis dans ce qui avait été un ranch familial, ayant appartenu à un célèbre contrebandier d'Oklahoma.
Beaucoup de choses se sont passées à Clear Creek au cours des vingt-cinq dernières années, et beaucoup d’entre vous ont pris part à ce voyage. Des jeunes gens ont reçu leur formation à la vie monastique et ont prononcé leurs vœux ; quelques-uns d’entre eux ont été ordonnés prêtres. De beaux bâtiments de proportions considérables (bien qu’encore inachevés) ont surgi du sol à un endroit où auparavant seuls des serpents à sonnettes habitaient. Les moines ont depuis longtemps travaillé sous le soleil intense de l’Oklahoma, acquérant des compétences précieuses et contribuant à la construction de quelque chose de beau pour Dieu. Certains d’entre eux sont maintenant ratatinés et courbés par l’âge.
Alors que de nombreux monastères en Europe et aux États-Unis continuent de souffrir d’un déclin des vocations, Dieu nous a bénis en nous accordant une moisson abondante. Des treize membres originels, nous sommes aujourd’hui plus de 70 moines. Quel est le secret ? Dieu seul le sait. Nous n’avons pas de talents ou de qualités particulières, mais nous nous efforçons de collaborer du mieux que nous pouvons avec les grâces qui nous ont été accordées. C’est une histoire qui continue.
Comme nous le savons tous, un anniversaire est une sorte de point de vue d’où l’on peut réfléchir à ce qui s’est passé auparavant et entrevoir, peut-être, quelque chose de l’avenir. Au cours de l’année à venir, j’espère partager avec vous quelques photos et histoires des premiers jours de l’abbaye Notre-Dame de Clear Creek, ainsi que quelques nouvelles perspectives qui s’offrent à nous. Voyez-vous, nous pensons qu’à vingt-cinq ans, nous venons tout juste d’atteindre l’âge adulte, nous venons à peine de commencer.
En fait, du point de vue d’un anniversaire (un jubilé d’argent dans notre cas présent), on peut devenir en quelque sorte un prophète. De son propre point de vue, à l’aube de l’ère moderne, G. K. Chesterton s’est montré prophétique à plus d’une occasion. Je voudrais citer ici un extrait du discours prononcé il y a quelques années par un éminent érudit chestertonien :
Selon Chesterton, la famille devra sauver la civilisation. Dans le Nouvel Âge des ténèbres, la famille devra remplacer le rôle autrefois joué par les monastères. Elle devra transmettre la culture, le savoir et l’art à la génération suivante, car nos institutions ne le feront plus. En même temps, dit-il, dans un autre paradoxe, lorsque les moines reviendront, les mariages reviendront.
Peut-être avez-vous entendu parler de « l’option bénédictine ». Rod Dreher donne une brillante analyse des nouveaux âges sombres et présente des arguments convaincants sur la manière de former des communautés chrétiennes. Mais même si je suis d’accord avec une grande partie de ses propos, il y a quelque chose dans cette stratégie qui me semble être celle d’un retrait plutôt que d’un engagement, une mentalité de siège… Saint Benoît n’a pas cherché à sauver la culture. Il cherchait Dieu. L’Incarnation est le centre de la réalité. C’est la vérité qui affecte toutes les autres vérités. Nous ne devons pas avoir peur de dire cette vérité. Elle vaut la peine de mourir pour elle. Mais plus important encore, elle vaut la peine de vivre pour elle. (Dale Ahlquist, Discours de fin d’études, Thomas More College of the Liberal Arts, 20 mai 2017)
« Cela vaut la peine de vivre… » Voilà une description appropriée de notre vie monastique, une vie consacrée à quelque chose pour lequel il vaut la peine de vivre (et de mourir), une vie qui ne doit pas se tourner vers l’intérieur de manière égoïste, mais rayonner autour d’elle-même, sans jamais perdre ce qui est au centre, c’est-à-dire Dieu. Ce que signifie cette idée de « diffusion » (au sens ancien du terme) de l’influence monastique autour du monastère, c’est que vous êtes vous aussi invités à vous laisser prendre dans l’acte, que vous soyez une famille ou un individu, jeune ou vieux, riche ou pauvre.
Alors, participez à notre Jubilé d'Argent au cours de l'année à venir. Vous ne serez pas déçus.
Fr. Philip Anderson, abbé