


Ici aussi s’entremêlent d’une part le lien de Jésus avec un ami et avec sa souffrance et de l’autre la relation filiale qu’Il a avec le Père. La participation humaine de Jésus à l’épisode de Lazare a des traits particuliers. Dans tout le récit, on rappelle à plusieurs reprises son amitié pour lui, ainsi que pour ses sœurs Marthe et Marie. Jésus lui-même affirme : « Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais je vais le réveiller » (Jn 11,11).
Son affection sincère pour son ami est mise en relief aussi par les sœurs de Lazare, ainsi que par les juifs (cf. Jn 11,3; 11,36) ; elle se manifeste dans la profonde émotion de Jésus à la vue de la douleur de Marthe et de Marie et de tous les amis de Lazare, et elle conduit à ce qu’il éclate en larmes – de façon si profondément humaine – au moment où il s’approche de la tombe : « Alors, quand Jésus … vit pleurer [Marthe], et pleurer aussi les juifs qui étaient venus avec elle, il fut profondément bouleversé et, très troublé, il demanda : « Où l’avez-vous mis ? » Ils lui dirent : « Seigneur, viens voir ! ». Jésus éclata en larmes » (Jn 11,33-35).
Ce lien d’amitié, la participation et l’émotion de Jésus devant la douleur des parents et des connaissances de Lazare est lié, dans tout le récit, à un rapport continue et intense avec le Père. Depuis le début, l’événement est lu par Jésus en relation avec son identité et sa mission et avec la glorification qui l’attend. A la nouvelle de la maladie de Lazare, il commente en effet : « Cette maladie ne conduira pas à la mort, mais c’est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié » (Jn 11,4).
L’annonce de la mort de son ami est aussi accueillie par Jésus avec une douleur humaine profonde, mais toujours clairement en référence à la relation à Dieu et avec la mission qu’il lui a confiée. Il dit : « Lazare est mort et moi je suis content pour vous de ne pas avoir été là, afin que vous croyiez » (Jn 11,14-15). Le moment de la prière explicite de Jésus au Père devant la tombe est l’aboutissement naturel de tout l’épisode, tendu entre ce double registre de l’amitié pour Lazare et du rapport filial à Dieu. Ici aussi, les deux relations vont ensemble : « Alors Jésus leva les yeux et dit : « Je te rends grâce, Père, parce que tu m’as écouté » (Jn 11,41) »: c’est une eucharistie. La phrase révèle que Jésus n’a pas abandonné même un instant la prière de demande pour la vie de Lazare. Cette prière continue a renforcé le lien avec l’ami et en même temps, elle a confirmé la décision de Jésus de rester en communion avec la volonté du Père, avec son plan d’amour, dans lequel la maladie et la mort de Lazare doivent être considérées comme le lieu de la manifestation de la gloire de Dieu.
Chers frères et soeurs, en lisant ce récit, chacun de nous est appelé à comprendre que, dans la prière de demande au Seigneur, nous ne devons pas nous attendre à un accomplissement immédiat de ce que nous demandons, de notre volonté, mais nous confier plutôt à la volonté du Père en lisant chaque événement dans la perspective de sa gloire, de son dessein d’amour, souvent mystérieux à nos yeux.
C’est pourquoi, dans notre prière, demande, louange et remerciement devraient se fondre, même lorsqu’il nous semble que Dieu ne réponde pas à nos attentes concrètes.
S’abandonner à l’amour de Dieu qui nous précède et nous accompagne toujours est l’une des attitudes de fond de notre dialogue avec Lui.
Le Catéchisme de l’Eglise catholique commente ainsi la prière de Jésus dans le récit de la résurrection de Lazare : « Ainsi, portée par l’action de grâce, la prière de Jésus nous révèle comment demander : Avant que le don soit donné, Jésus adhère à Celui qui donne et Se donne dans ses dons. Le Donateur est plus précieux que le don accordé, il est le » Trésor « , et c’est en Lui qu’est le cœur de son Fils ; le don est donné » par surcroît » (cf. Mt 6, 21. 33) » (2604).
Cela me semble très important : avant que le don soit accordé, adhérer à celui qui donne ; celui qui donne est plus précieux que le don. Par conséquent nous aussi, au-delà de ce que Dieu nous donne lorsque nous l’invoquons, le don le plus grand qu’il puisse nous donner est son amitié, sa présence, son amour. C’est lui le trésor précieux à demander et à toujours préserver.
La prière que Jésus prononce au moment où l’on enlève la pierre de l’entrée de la tombe de Lazare, présente ensuite un développement singulier et inattendu.
En effet, après avoir remercié Dieu le Père, il ajoute : « Je savais que tu m’écoutes toujours, mais je l’ai dit pour les gens qui m’entourent afin qu’ils croient que tu m’as envoyé (Jn 11,42).
Par sa prière, Jésus veut conduire à la foi, à la confiance totale en Dieu, et dans sa volonté, et il veut montrer que ce Dieu qui a tellement aimé l’homme et le monde qu’il a envoyé son Fils unique (cf. Jn 3, 16), est le Dieu de la vie, le Dieu qui apporte l’espérance et qui est capable de renverser les situations humainement impossibles.
La prière confiante d’un croyant est alors un témoignage vivant de cette présence de Dieu dans le monde, de son intérêt pour l’homme, de son action pour réaliser son dessein de salut.
Les deux prières de Jésus à peine méditées, qui accompagnent la guérison du sourd-muet et la résurrection de Lazare, révèlent que le lien profond entre l’amour de Dieu et l’amour du prochain doit aussi entrer dans notre prière.
En Jésus, vrai Dieu et vrai homme, l’attention à l’autre – spécialement s’il est dans le besoin et souffrant -, le fait de s’émouvoir devant la douleur d’une famille amie, le conduisent à s’adresser au Père, dans cette relation fondamentale qui guide toute sa vie.
Mais vice versa également : la communion avec le Père, le dialogue constant avec Lui, pousse Jésus à être attentif, d’une façon unique, aux situations concrètes de l’homme pour lui apporter la consolation et l’amour de Dieu.
La relation à l’homme nous conduit à la relation à Dieu, et la relation à Dieu nous conduit à nouveau vers le prochain.
Chers frères et sœurs, notre prière ouvre la porte à Dieu, qui nous enseigne à sortir constamment de nous-mêmes pour être capables de nous rendre proches des autres, spécialement dans les moments d’épreuve, pour leur apporter consolation, espérance et lumière. Que le Seigneur nous accorde d’être capables d’une prière toujours plus intense, pour fortifier notre rapport personnel avec Dieu le Père, ouvrir notre cœur aux besoins de qui est à côté de nous et sentir la beauté d’être des « fils dans le Fils », ensemble, avec de nombreux frères.
Merci.
Benoît XVI