Publié le 7 Février 2016
Le Christ annonce à ses apôtres : «Voici, nous monterons à Jérusalem et tout ce qui a été écrit par les prophètes au sujet du Fils de l'homme s'accomplira : on se moquera de Lui, on L'outragera, on crachera sur Lui et après l'avoir battu de verges, on le fera mourir, et le troisième jour Il ressuscitera» (Lc 18, 31-33).
Est-ce possible ? Ces apôtres, nourris par toutes les prophéties, qui écoutaient chaque jour le Christ, quelle initiation plus grande pouvaient-ils recevoir ?
Et que dit le Christ ? Mort, souffrance et résurrection. Ne l'avait-Il pas déjà prêché, sous forme de paraboles, de commandements ? Le prophète Isaïe n'avait-il pas parlé de «l'Homme de douleur» ? (Is 53, 3). Les apôtres avaient donc la connaissance. Pourquoi ne pouvaient-ils comprendre ? Pour un fait tout simple, énoncé par le Christ : «Le Fils de l'homme - c’est-à-dire Moi - Je serai maltraité, Je mourrai et Je ressusciterai».
Si l'on vous disait que demain vous feriez telle ou telle chose, pourriez-vous ne pas comprendre ? Les apôtres ne croyaient-ils pas à la résurrection ? Ils y croyaient. Alors pour quelle raison l'évangile dit-il que leurs oreilles n'ont pas entendu, que leurs yeux intérieurs n'ont pas vu, qu'ils n'ont pas saisi le sens de Ses paroles ? Pourquoi ses paroles ont-elles passé outre ? Pourquoi ? Parce que, entendant réellement la Parole du Verbe, intérieurement, je dis intérieurement, ils n'acceptaient pas Son sacrifice.
Abraham, lui, a accepté ; en définitive, son geste a appelé le Christ. Celui qui peut donner aux autres toute sa vie extérieure, si, intérieurement, il n'a pas accepté le sacrifice, son oreille demeure sourde.
Une dernière remarque : considérez que les temps approchent... afin que vous retourniez en vous ; l'intention intérieure est supérieure à l'acte, car si vous faites ainsi, les résultats extérieurs viendront comme des fruits mûrs.
Les temps approchent, mes amis. Il est temps, en cette période de Carême, de boucher ses oreilles aux choses passagères. Et, en entendant les divines paroles, il ne s'agit pas de les entendre seulement, il faut les écouter pleinement, les assimiler et les réaliser.
Placez-vous devant Dieu comme un récipient qui reçoit, non comme une boule sur laquelle glisse l'enseignement du Verbe. Vous dites : je ne veux pas faire de mal à qui que ce soit, mais s'il subsiste en votre cœur un sentiment mauvais, le mal est, et un jour il se manifestera. Vous dites : je n'ai rien fait de mal, mais si vous avez quelque chose contre votre frère, cela se manifestera sans aucun doute.
Venez vous confesser pendant le Carême. Commencez dans la sincérité de votre cœur, parlez en vérité devant Dieu, pour recevoir l'absolution. Et vous ressusciterez dans la joie, avec le Christ !
Le miracle de la guérison de l’aveugle Bartimée a une position remarquable dans la structure de l’Évangile de Marc. En effet, il est placé à la fin de la section qui est appelée « voyage à Jérusalem », c’est-à-dire le dernier pèlerinage de Jésus à la Ville sainte, pour la Pâque au cours de laquelle il sait que l’attendent la passion, la mort et la résurrection.
Pour monter à Jérusalem de la vallée du Jourdain, Jésus passe par Jéricho, et la rencontre avec Bartimée a lieu à la sortie de la ville, « tandis que – remarque l’évangéliste – Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse » (10, 46), cette foule qui, d’ici peu, acclamera Jésus comme Messie à son entrée à Jérusalem. Et le long de la route était assis pour mendier Bartimée, dont le nom signifie « fils de Timée », comme dit l’évangéliste lui-même.
Tout l’Évangile de Marc est un itinéraire de foi, qui se développe graduellement à l’école de Jésus. Les disciples sont les premiers acteurs de ce parcours de découverte, mais il y a aussi d’autres personnages qui occupent un rôle important, et Bartimée est l’un d’eux. Sa guérison est la dernière guérison miraculeuse que Jésus accomplit avant sa passion, et ce n’est pas par hasard que c’est celle d’un aveugle, c’est-à-dire d’une personne dont les yeux ont perdu la lumière. Nous savons aussi par d’autres textes que la condition de cécité a une signification chargée de sens dans les Évangiles. Elle représente l’homme qui a besoin de la lumière de Dieu, la lumière de la foi, pour connaître vraiment la réalité et marcher sur le chemin de la vie. Il est essentiel de se reconnaître aveugles, de reconnaître qu’on a besoin de cette lumière, sans quoi on reste aveugle pour toujours (cf. Jn 9, 39-41).
À ce point stratégique du récit de Marc, Bartimée est donc présenté comme un modèle.
Il n’est pas aveugle de naissance, mais il a perdu la vue : il est l’homme qui a perdu la lumière et en est conscient, mais il n’a pas perdu l’espérance, il sait accueillir la possibilité de la rencontre avec Jésus et se confie à lui pour être guéri. En effet, quand il entend que le Maître passe sur la route, il crie : « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ! » (Mc 10, 47), et il le répète avec force (v. 48).
Et quand Jésus l’appelle et lui demande ce qu’il veut de lui, il répond, « Rabbouni, que je voie ! » (v. 51).
Bartimée représente l’homme qui reconnaît son mal et crie vers le Seigneur, confiant d’être guéri. Son invocation, simple et sincère, est exemplaire, et en effet – comme celle du publicain au temple : « Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis » (Lc 18, 13) – elle est entrée dans la tradition de la prière chrétienne.
Dans la rencontre avec le Christ, vécue avec foi, Bartimée retrouve la lumière qu’il avait perdue et avec elle la plénitude de sa dignité : il se remet debout et reprend sa marche, qui à partir de ce moment a un guide, Jésus, et une route, la même que Jésus parcourt. L’évangéliste ne nous dira plus rien de Bartimée, mais en lui il nous présente qui est le disciple : celui qui, avec la lumière de la foi, suit Jésus « sur la route » (v. 52).
Dans un de ses écrits, Saint Augustin fait sur la figure de Bartimée une observation très particulière, qui peut être intéressante et significative aussi aujourd’hui pour nous. Le saint Évêque d’Hippone réfléchit sur le fait que, dans ce cas, Marc rapporte non seulement le nom de la personne qui est guérie, mais aussi celui du père, et il aboutit à la conclusion que « Bartimée, fils de Timée, avait été autrefois dans une grande prospérité, et la misère dans laquelle il était tombé avait eu un grand retentissement, non seulement parce qu’il était devenu aveugle, mais parce qu’il était assis demandant l’aumône. Tel est le motif pour lequel saint Marc n’a désigné que lui par son nom. Le miracle qui lui rendait la vue dût avoir d’autant plus d’éclat que son malheur était partout connu » (L’accord entre les Évangiles, 2, 65, 125 : PL 34, 1138). Ainsi parle saint Augustin.
Cette interprétation, que Bartimée soit une personne déchue d’une condition de « grande prospérité », nous fait penser ; elle nous invite à réfléchir sur le fait qu’il y a des richesses précieuses pour notre vie que nous pouvons perdre, et qui ne sont pas matérielles.
Dans cette perspective, Bartimée pourrait représenter tous ceux qui vivent dans des régions d’ancienne évangélisation, où la lumière de la foi s’est affaiblie, et qui se sont éloignés de Dieu, ne le retenant plus comme important pour la vie : des personnes qui par conséquent ont perdu une grande richesse, sont « déchues » d’une haute dignité – non de celle qui est économique ou d’un pouvoir terrestre, mais de celle qui est chrétienne –, elles ont perdu l’orientation sûre et solide de la vie et sont devenues, souvent inconsciemment, mendiants du sens de l’existence.
BENOIT XVI