parler de la miséricorde sans parler de la justice de Dieu et des peines dues aux péchés, est une hérésie. en pleine confusion de la bonté et de la miséricorde.
La miséricorde est le second sentiment qui s'éleva en Dieu.
J'ai dit la miséricorde et non la bonté; la bonté c'est l'amour de l'être bon et saint, pour l'être bon et saint. La miséricorde est l'amour de celui qui est saint pour celui qui est souillé, de celui qui est juste pour celui qui est injuste: plus l'être qui en est l'objet est coupable et souillé, plus la miséricorde le recherche et le sollicite; c'est l'amour de la mère qui voit son enfant à l'état de cadavre; qui le presse encore contre son sein et qui est étonnée que son souffle et ses mamelles ne puissent lui rendre la vie qu'elle lui avait donnée.
Dieu dut éprouver pour l'homme un sentiment de miséricorde infinie. Mais comment Dieu peut-il éprouver la miséricorde avec la répulsion pour le coupable.
Comment peut-il éprouver ce mouvement contradictoire?
C'est qu'à côté du mal, dans l'être dégradé, Dieu vit encore l'être lui-même fait à son image; il restait encore dans cette intelligence décolorée, dégradée, ce qui restait dans la boîte de Pandore lorsque tous les maux en furent sortis... l'espérance!
Oui, quand celui que nous aimions nous échappe par des infamies, nous courons vers lui en lui tendant les bras: Viens, lui crions-nous, reviens; et ce qui nous soutient c'est l'espoir qu'il pourra s'arrêter, qu'il retournera sa face, et qu'un baiser de paix et de conciliation pourra se confondre entre lui et nous.
Oui, le plus grand criminel est encore un chef-d'oeuvre de grâce, de puissance, de bonté; et quand Dieu couvre de son regard les profondeurs de ces cachots où sont entassés les coupables qu'a flétris la justice humaine, il y découvre des âmes qui un jour seront dignes d'être placées sur les autels.
La justice et la miséricorde existaient donc dans Dieu, et ces deux mouvements sont comme deux lignes parallèles qui partent du coeur de Dieu et ne devraient jamais se rencontrer, et qui pourtant se coupent à un point d'intersection, à un point qui les rapproche et les accorde, et ce point c'est ... l'expiation!
L'expiation est l'arche jetée entre la justice et la miséricorde de Dieu.
L'expiaton consiste en ce que la miséricorde consent à pardonner, en faisant à la justice cette condition qu'il y aura une satisfaction; et la justice, assurée de cette satisfaction, permet à la miséricorde d'octroyer son pardon.
...
Or, quelle est cette satisfaction? C'est la peine; c'est-à-dire une excommunication totale ou partielle du bien, ou une répulsion dans la sphère du bien, dans la sphère du mal. Cette répulsion est inévitable; car, comme dit Homère, la peine suit le crime d'un pas lent mais sûr.
...
La foi nous enseigne que dans l'autre vie qui est l'époque de réparation, la peine ne modifie rien: la miséricorde est passée, la justice seule est debout; et quelque chose encore de plus terrible que la justice, l'amour méprisé pèse de tout son poids sur le tombeau du réprouvé, et scelle à tout jamais la pierre de l'enfer. ' Ce n'est pas la justice, dit Dante, qui a créé l'enfer, c'est l'amour méconnu."
Aussi, que le criminel, sur l'échafaud, ait un repentir véritable, qu'un rayon de la grâce descende dans son coeur, et quand le bourreau croira prendre sa vie, c'est lui qui l'offrira en holocauste, en esprit d'expiation. De scélérat avili, il deviendra héros, car l'héroïsme consiste à sacrifier sa vie; il deviendra victime et prêtre, et il croira entendre Dieu lui dire comme à son Fils:" Tu es sacerdos in aeternum, secundum ordinem Melchisedech." Tu es prêtre de toute éternité, selon l'ordre de Melchisédech." ....
Ainsi l'expiation consiste dans l'acceptation volontaire de la peine. Il faut qu'en acceptant la peine le coupable s'écrie avec le bon larron: Et nos quidem juste, nam digna factis recipimus; hic vero nihil gessit." Pour nous c'est avec justice que nous souffrons la peine que nos crimes ont méritée; mais celui-ci n'a fait aucun mal."
Ainsi Jésus-Christ , ne tarda pas à lui dire: " Amen dico tibi, hodie mecum eris in paradiso:" Et Jésus lui répondit: Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis."
La société te condamne et t'excommunie. Mais: va: sacer esto " Sois sacré."
....
Vous ne pourrez réhonorer celui que vous aurez flétri, que quand la société sera devenue ce qu'elle doit être, lorsque toute prison sera devenue une maison religieuse et tout geôlier un prêtre. Car le prêtre, en jetant à ses pieds la victime, confond le chrétien et le criminel dans un même embrassement; il les enveloppe d'un même manteau et les sauve l'un par l'autre.
Mais quand le prêtre se retire, la Miséricorde s'en va, toute la société s'ébranle; de même que toute machine, pour fonctionner, a besoin d'une certaine huile qui facilite ses mouvements, de même la société ne peut subsister sans cet ingrédient de la miséricorde.
Lacordaire.