Publié le 8 Février 2008

Honoré de Balzac
Extrait du chap. 6 de Séraphîta
Séraphîta -
Que la soif et la faim de Dieu vous saisissent ! Courez à lui comme le cerf altéré court à la fontaine ; le désir vous armera de ses ailes ; les larmes, ces fleurs du repentir, seront comme un baptême céleste d'où sortira votre nature purifiée. Élancez-vous du sein de ces ondes dans la prière. Le silence et la méditation sont les moyens efficaces pour aller dans cette voie.
Dieu se révèle toujours à l'homme solitaire et recueilli. Ainsi s'opérera la séparation nécessaire entre la matière qui vous a si longtemps environnés de ses ténèbres et l'esprit qui naît en vous et vous illumine, car il fera alors clair en votre âme. Votre coeur brisé reçoit alors la lumière, elle l'inonde. Vous ne sentez plus alors des convictions en vous, mais d'éclatantes certitudes.
Le poète exprime, le sage médite, le juste agit ; mais celui qui se pose au bord des mondes divins prie ; et sa prière est à la fois parole, pensée, action ! Oui, sa prière enferme tout, elle contient tout, elle vous achève la nature en vous en découvrant l'esprit et la marche. Blanche et lumineuse fille de toutes les vertus humaines, arche d'alliance entre la terre et le ciel, douce compagne qui tient du lion et de la colombe, la prière vous donnera la clef des cieux.
Hardie et pure comme l'innocence, forte comme tout ce qui est un et simple, cette belle reine invincible s'appuie sur le monde matériel, elle s'en est emparée ; car, semblable au soleil, elle le presse par un cercle de lumière. L'univers appartient à qui veut, à qui sait, à qui peut prier ; mais il faut vouloir, savoir et pouvoir ; en un mot posséder la force, la sagesse et la foi. Aussi la prière qui résulte de tant d'épreuves est-elle la consommation de toutes les vérités, de toutes les puissances, de tous les sentiments.
Fruit du développement laborieux, progressif, continu de toutes les prospérités naturelles animé par le souffle divin de la parole, elle a des activités enchanteresses, elle est le dernier culte : ce n'est ni le culte matériel qui a des images, ni le culte spirituel qui a des formules ; c'est le culte du monde divin.
Nous ne disons plus de prières, la prière s'allume en nous, elle est une faculté qui s'exerce d'elle-même ; elle a conquis ce caractère d'activité qui la porte au-dessus des formes ; elle relie alors l'âme à Dieu, avec qui vous vous unissez comme la racine des arbres s'unit à la terre ; vos veines tiennent aux principes des choses, et vous vivez de la vie même des mondes.
La prière donne la conviction extérieure en vous faisant pénétrer le monde matériel par la cohésion de toutes vos facultés avec les substances élémentaires ; elle donne la conviction intérieure en développant votre essence et la mêlant à celle des mondes spirituels. Pour parvenir à prier ainsi, obtenez un entier dépouillement de la chair, acquérez au feu des creusets la pureté du diamant, car cette complète communication ne s'obtient que par le repos absolu, par l'apaisement de toutes les tempêtes. Oui, la prière, véritable aspiration de l'âme entièrement séparée du corps, emporte toutes les forces et les applique à la constante et persévérante union du visible et de l'invisible.
En possédant la faculté de prier sans lassitude, avec amour, avec force, avec certitude, avec intelligence, votre nature spiritualisée est bientôt investie de la puissance. Comme un vent impétueux ou comme la foudre, elle traverse tout et participe au pouvoir de Dieu. Vous avez l'agilité de l'esprit; en un instant, vous vous rendez présent dans toutes les régions, vous êtes transporté comme la parole même d'un bout du monde à l'autre.
Il est une harmonie, et vous y participez ; il est une lumière, et vous la voyez ; il est une mélodie, et son accord est en vous. En cet état, vous sentirez votre intelligence se développer, grandir, et sa vue atteindre à des distances prodigieuses : il n'est en effet ni temps ni lieu pour l'esprit. L'espace et la durée sont des proportions créées pour la matière, l'esprit et la matière n'ont rien de commun.
Quoique ces choses s'opèrent dans le calme et le silence, sans agitation, sans mouvement extérieur, néanmoins tout est action dans la prière, mais action vive, dépouillée de toute substantialité, et réduite à être, comme le mouvement des mondes, une force invisible et pure. Elle descend partout comme la lumière, et donne la vie aux âmes qui se trouvent sous ses rayons, comme la nature est sous le soleil. Elle ressuscite partout la vertu, purifie et sanctifie tous les actes, peuple la solitude, donne un avant-goût des délices éternelles.
Une fois que vous avez éprouvé les délices de l'ivresse divine engendrée par vos travaux intérieurs, alors tout est dit ! une fois que vous tenez le sistre sur lequel on chante Dieu, vous ne le quittez plus. De là viennent la solitude où vivent les esprits angéliques et leur dédain de ce qui fait les joies humaines. Je vous le dis, ils sont retranchés du nombre de ceux qui doivent mourir ; s'ils en entendent les langages, ils n'en comprennent plus les idées ; ils s'étonnent de leurs mouvements, de ce que l'on nomme politique, lois matérielles et sociétés ; pour eux plus de mystère, il n'est plus que des vérités.
Ceux qui sont arrivés au point où leurs yeux découvrent la porte sainte, et qui, sans jeter un seul regard en arrière, sans exprimer un seul regret, contemplent les mondes en en pénétrant les destinées, ceux-là se taisent, attendent et souffrent leurs dernières luttes ; la plus difficile est la dernière, la vertu suprême est la résignation : être en exil et ne pas se plaindre, n'avoir plus goût aux choses d'ici-bas et sourire, être à Dieu, rester parmi les hommes ! Vous entendez bien la voix qui vous crie : « Marche ! marche ! »
Souvent en de célestes visions, des anges descendent et vous enveloppent de leurs chants. Il faut sans pleurs ni murmures les voir revolant à la ruche. Se plaindre, ce serait déchoir. La résignation est le fruit qui mûrit à la porte du ciel. Combien sont puissants et beaux le sourire calme et le front pur de la créature résignée ! Radieuse est la lueur qui lui pare le front ! Qui vit dans son air devient meilleur ! Son regard pénètre, attendrit.
Plus éloquente par son silence que le prophète ne l'est par sa parole, elle triomphe par sa seule présence. Elle dresse l'oreille comme le chien fidèle qui attend le maître. Plus forte que l'amour, plus vive que l'espérance, plus grande que la foi, elle est l'adorable fille qui, couchée sur la terre, y garde un moment la palme conquise en laissant une empreinte de ses pieds blancs et purs ; et, quand elle n'est plus, les hommes accourent en foule et disent : « Voyez ! » Dieu l'y maintient comme une figure aux pieds de laquelle rampent les formes et les espèces de l'animalité pour reconnaître leur chemin.
Elle secoue, par moments, la lumière que ses cheveux exhalent, et l'on voit ; elle parle, et l'on entend, et tous se disent : « Miracle ! » Souvent elle triomphe au nom de Dieu ; les hommes épouvantés la renient et la mettent à mort ; elle dépose son glaive, et sourit au bûcher après avoir sauvé les peuples.
Combien d'anges pardonnés ont passé du martyre au ciel ! Sinaï, Golgotha ne sont pas ici ou là ; l'ange est crucifié dans tous les lieux, dans toutes les sphères. Les soupirs arrivent à Dieu de toutes parts. La terre où nous sommes est un des épis de la moisson, l'humanité est une des espèces dans le champ immense où se cultivent les fleurs du ciel. Enfin, partout Dieu est semblable à lui-même, et partout, en priant, il est facile d'arriver à lui.
Balzac
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