la foi, un héroïsme.
Publié le 25 Janvier 2019

Frémiet a écrit ce mot Credo sur une banderole de bronze que déploie largement devant lui un chevalier en armure. Voulait-il indiquer par là que la foi est une vaillance? On la présente parfois comme une faiblesse. Si elle était le contraire, et si le mot héroïsme n'était au fond pas de trop pour souligner tout ensemble une souveraine difficulté et une grandeur, l'artiste aurait raison; le vrai croyant devrait monter, s'il n'y est pas déjà très haut, dans l'estime des hommes.
Je crois; j'offre au ciel mon esprit en hommage et comme en holocauste; je franchis d'un seul bond la limite des pensées humaines; j'adhère au mystère plein; j'adore et n'exige pas de comprendre; je dis oui à la proposition et n'attends pas la preuve; je fais confiance, sans plus à la Vérité première; j'incline mes évidences devant ce qu'on ne voit pas; j'affirme l'astre au fond du ciel noir, acceptant d'attendre au-delà du temps pour que sa clarté apparaisse; quand le monde me souffle en ricanant d'absurdes "axiomes", je me détourne et poursuis mon dialogue secret. Prenez, mon Dieu, votre droit sur moi, et commencez par ces fruits de l'esprit qui dans ma vie sont la semence de tout le reste.
Car lorsque je dis : je crois, je n'engage pas uniquement ma pensée abstraite. Ma pensée ! ce serait , pour mon honneur , l'essentiel; mais je sens bien qu'avec elle j'engage, outre l'honneur, l'existence dont elle est le guide. Pourrai-je nier en actes ce qu'en paroles j'alléguerai? J'aurai le droit d'être pécheur, si je puis dire; mais pécheur, j'éprouverai l'obligation du repentir, du relèvement, du progrès, de quotidiens sacrifices, de perpétuels combats.
On me prend par un fil ténu: ce mince raccordement à l'invisible qui s'appelle l'acte de foi, et puis, en conséquence, sans qu'une logique implacable abandonne à un seul moment ni sur aucun terrain la saisie terrible, on me demande tout: mon âme , mon corps, mon activité, mes amours, ma vie, ma mort, ma prospérité, tout, tout, sans réserve ni reprise.
Que si je prétends un jour discuter le don, déjà je suis infidèle :" Impie, me dit-on, tu mets en cause Dieu!"
Et si je réponds: je me mets en cause moi-même, on réplique: c'est pareil; car tu appartiens à Dieu. " Je crois", ce mot tombe dans l'éternel et ne peut plus revenir à tes lèvres. En le prononçant, ce mot qui ne se dit qu' "en l'Esprit" , tu as fait acte d'être divin et exercé en quelque sorte une conscience céleste. Tu as franchi avec ton Dieu intérieur, comme Dante avec Virgile et beaucoup mieux que lui - toi même, tout à l'heure, ne le disais-tu pas? - la limite des humains parages. Avec Paul, ta fréquentation est aux cieux. Tu penses donc dans ce monde de l'affirmation indéfectible, où le oui et le non ne se succèdent point: ta vie est vouée aux fins suprêmes, dont nulle autre fin ne détourne; ton amour étreint l'Absolu, qu'on ne peut ne pas aimer, ou aimer moins, ou sacrifier à un amour subalterne. Bienheureux est ton sort, si tu le comprends; mais si tu venais à le méconnaître, héros au bord de la victoire et qui voudrais fuir, toute retraite coupée derrière toi, tu ne connaîtrais qu'une chute éternelle.
Cela est grave! C'est tellement grave que beaucoup hésitent avant de faire le pas. Convaincus qu'il faut, et n'ayant rien à opposer aux raisons de croire, ils ne peuvent se décider à l'acte et demeurent là, hésitants, voulant et ne voulant pas, partagés entre la crainte d'une terrible dépossession et l'espoir d'une conquête, situation qui se prolonge parfois jusqu'au bord de la tombe.
On dit : illogisme. Eh! eh! il était illogique aussi, ce condamné du baron des Adrets qui hésitait à se jeter du haut d'une tour, sachant fort bien qu'il fallait et qu'il y passerait quand même. On a peur du grand vide, même en songent au plein qui ne se révèle pas encore. Le regard tremble, à observer fixement ce que nous veut le ciel. On goûte les idéales promesses et l'on est séduit; mais se rappelle-t-on le prix, on recule, contracté comme si la mort avait frappé à la porte. " Donne tout pour avoir tout," dit l'Imitation: on voudrait avoir tout, on redoute de donner tout, et l'on tergiverse.
Que je m'arrache à moi-même, mon Dieu? Cela ne se peut pas. Il faudra que vous-même interveniez, comme de force. Je devrai consentir à l'heureuse violence, et elle ne sera donc plus violence, mais elle le sera en ceci que l'initiative de l'arrachement ne m'appartiendra pas. La grâce, il me la faut pour me quitter et quitter tout d'une certaine façon en faveur de l'invisible, en faveur de l'insaisissable et du transcendant, en faveur de l'avenir que le temps ne perçoit pas et qui pour la durée des humains n'est que chimère.
" Faire un avenir à sa tombe " , c'est le but de notre foi, et dans cette tombe on doit comme s'enfermer vivant, laissant la vie derrière soi. Saint Paul ne dit-il pas :" Nous avons été ensevelis avec Lui par le baptême et ressuscité des morts par la gloire du Père, nous aussi nous marchions dans une vie nouvelle." (Rom. VI,4)
Tout est splendeur dans la fin de ce texte; mais il y a le début; pour commencer, on nous ensevelit; on nous baptise, c'est-à-dire qu'on nous noie; on étouffe en nous cet appétit irrité de la vie purement terrestre, de la sensualité, de l'orgueil, de la curiosité exaspérée, de la volonté de richesse et de pouvoir. Ceux qui prennent au sérieux un tel renoncement en frémissant dans les moelles, tant que les divines compensations de la grâce ne les ont pas consolés.
Ah! les consolations sont sublimes, et beaucoup plus que le mal n'est redoutable. A qui fait l'avance de son coeur, une fortune inconcevable échoit , et il le sait. A qui adhère, vrai croyant, à son Père céleste, obéissant à l'instinct de race surnaturelle insufflé en lui par l'Esprit, ce Père généreux communique sa vie même, l'établit mystérieusement, le nourrit, l'épanouit, et un jour, le poids de la matière écarté, elle se révèle dans une explosion de joie. N'importe, l'engagement de ce cycle a quelque chose de si inquiétant pour la sensibilité et pour la raison même abandonnée à ses propres forces , qu'une aide surnaturelle y est requise.
Dieu nous allèche; ensuite il nous "tire"; à sa traction miséricordieuse nous consentons, et le bonheur nous vient; telle est la politique céleste. On la bénit; mais on n'en peut nier la tendre rigueur, et c'est pour cela que j'appelle la foi un héroïsme.
Ainsi envisagée comme départ de la vie chrétienne, dont elle présente le germe secret, la foi prend un aspect dramatique; elle ouvre une aventure dont les odyssées de la mer ou de l'air, les traversées de l'éther par des essaims d'astres n'offrent que de risibles images. On a la sensation d'un risque infini; le pari de Pascal vous presse; " on n'en n'est pas revenu", dit le peuple, et ce peuple charnel parle au fond de nous tous.
En tous les cas, personne n'a le droit de prétendre que cela soit petit; l'enjeu s'y oppose, et l'ampleur même des conquérants, d'êtres " de race royale ", comme dit l'Ecriture: telle est la foi bien consciente d'elle-même, en ceux qui ont compris le "don de Dieu" .
rp Sertillanges.